Si le féminisme dérange, ce n’est pas parce qu’il est injuste, mais parce qu’il remet en question un ordre établi et des privilèges. On l’accuse à tort de semer la division, d’exagérer les inégalités ou encore de nuire aux hommes. Pourtant, le féminisme n’est pas une guerre des sexes, mais une lutte pour la justice… qui profite également aux hommes. La vérité derrière 10 clichés anti-féministes.
Il est légitime de se poser des questions sur le féminisme, celui-ci bouleversant les évidences, les acquis et les rapports de domination de notre paradigme. Les préjugés autour de ce mouvement sont ainsi nombreux et tenaces. S’ils sont souvent véhiculés par des hommes, des femmes les partagent aussi, le patriarcat pouvant être intériorisé par n’importe qui d’entre-nous. Or, la mauvaise réputation du féminisme repose souvent sur des malentendus, des lectures biaisées ou des récupérations idéologiques.
En réalité, le féminisme ne vise ni à inverser les rapports de domination, ni à imposer un dogme, mais à rendre la société plus égalitaire pour toutes et tous. Face aux clichés qui l’accusent d’aller « trop loin », il est urgent de rétablir les faits.
1. « Le féminisme, c’est contre les hommes. »
FAUX. Le féminisme n’est pas une guerre des sexes, c’est une lutte pour l’égalité entre les genres. Bien sûr, il arrive de croiser des slogans un peu piquants, mais n’est-ce pas le rôle historique d’une pancarte d’être percutante d’un seul coup d’œil pour secouer le statu quo et forcer le débat ?
En pratique, il ne vise pas à dominer les hommes, mais à corriger les injustices systémiques que subissent les femmes et dont les origines sont séculaires, voire millénaires.

Le féminisme, certes, vise les privilèges de genre des hommes, mais expose également à quel point ils sont empoisonnés : pour prendre leur part de charge mentale, les hommes perdent en insouciance et en temps libre ? Mais ils sont enfin concernés par la gestion de leur propre existence, apprennent à maîtriser leur environnement et à en avoir une meilleure lecture. Par ailleurs, vouloir attribuer aux femmes les mêmes conditions sociétales, comme un salaire décent, ne prive pas les hommes des leurs, mais permet un nivellement par le haut où chacun est également considéré dans un climat plus sain.
Défendre les droits des femmes n’implique pas de nier ceux des hommes : au contraire, le féminisme remet aussi en cause les stéréotypes qui les enferment (virilité toxique, injonction à la réussite, tabou des émotions, etc.). C’est une démarche inclusive qui aspire à une société plus juste, où chaque personne peut vivre librement sans discrimination ni violence.
S’opposer au sexisme ne signifie pas s’opposer aux hommes, mais s’opposer à un système nuisant dans le fond à tout le monde. Le féminisme, lui, bénéficie à toutes et tous. Ce n’est pas « les femmes contre les hommes », c’est « toutes et tous contre l’injustice ». En ce sens, il faut bien rappeler que même si le féminisme ne bénéficiait pas aux hommes directement, il resterait légitime par nature d’attendre d’eux qu’ils se battent aux côtés de la moitié de la population pour une vie équitable.
2. « Les hommes souffrent aussi, mais personne n’en parle. »
Dire que « les hommes souffrent aussi » est vrai, mais ce n’est pas un argument contre le féminisme, c’est un argument pour.
Le féminisme dénonce justement les normes patriarcales qui nuisent aussi aux hommes : interdiction d’exprimer leurs émotions et de se faire aider, injonction à être forts, virils, violents, dominants. Ce sont ces stéréotypes qui empêchent une vraie reconnaissance de leur souffrance.
Si « personne n’en parle », c’est parce que notre société ne valorise pas la vulnérabilité masculine – et non parce que le féminisme l’interdit. Au contraire, le féminisme ouvre la voie à une libération de la parole. Il ne nie pas la souffrance masculine, il en analyse les causes profondes qui résident dans un système patriarcal rigide.
Toutefois, les chiffres sont implacables : les femmes étant les victimes massives du patriarcat, il est contre-productif d’user en boucle de ce whataboutisme à chaque action ou libération de la parole féministe. Il est crucial de respecter l’espace d’expression récent des femmes, jusque-là invisibilisées et silenciées, et de défendre le sort des hommes victimes en parallèle et toutes proportions gardées.
3. « Les femmes sont déjà égales aux hommes aujourd’hui ! »
Dire que les femmes sont déjà égales aux hommes ne résiste pas aux faits. Certes, en droit, l’égalité entre les sexes est inscrite dans la loi, mais dans la réalité, elle reste très incomplète et fragile.
En France, les femmes gagnent en moyenne 24 % de moins que les hommes (et 15 % de moins à temps de travail équivalent). Elles sont également massivement sous-représentées dans les postes de pouvoir. En 2025, en France, moins d’un tiers des personnes au pouvoir sont des femmes.
Dans le monde de l’entreprise, seulement 25 % des dirigeants sont des femmes alors qu’elles sont 49 % de la population active. Dans le monde politique, économique ou médiatique, les femmes peinent encore gravement à accéder aux sphères décisionnelles.
Sur le plan des violences, les chiffres font froid dans le dos. Chaque année, plus de 100 femmes sont tuées par leur compagnon ou ex-compagnon, rien qu’en France, soit en moyenne, une femme tous les trois jours. 85 % des victimes de violences conjugales sont des femmes. Des centaines de milliers de cas chaque année.
97 % des victimes de violences sexuelles sont également des femmes. Chaque année, 94 000 femmes sont victimes de viol ou de tentative de viol. Des chiffres probablement sous-estimés sachant que seule une minorité des victimes ose porter plainte.
Au quotidien, les inégalités se traduisent aussi par une charge mentale disproportionnée, liée à la gestion du foyer et des enfants. Les femmes consacrent en moyenne 1h30 de plus par jour que les hommes aux tâches domestiques et parentales, un travail gratuit pourtant bénéfique à la société. Cette inégalité dans la sphère privée freine leur carrière, alimente la précarité économique et renforce leur dépendance.
Face à cela, le féminisme ne réclame ni passe-droit ni privilège, mais l’application effective d’une égalité déjà proclamée. Tant qu’une femme devra encore prouver qu’elle mérite sa place, se justifier, se faire discrète pour éviter les représailles ou craindre pour sa sécurité, pas seulement en rentrant tard le soir mais aussi et surtout, dans son propre foyer, l’égalité ne pourra être considérée comme acquise. Le féminisme est une réponse à ces injustices, pas une attaque contre les hommes – mais contre un système qui perpétue les dominations.
4. « Le féminisme d’aujourd’hui est trop radical » ou ce sont « des féminazies »
Qualifier le féminisme de « trop radical » revient souvent à rejeter toute remise en cause profonde des injustices. Mais étymologiquement, radical signifie « qui prend les problèmes à la racine ».
Or, le sexisme structure nos sociétés depuis des siècles : l’attaquer en profondeur dérange, mais est nécessaire. Il est normal qu’une cause qui demande des changements profonds bouscule. Mais ce ne sont pas les revendications féministes qui sont extrêmes, ce sont les inégalités qu’elles dénoncent.
Refuser la violence, exiger le respect, réclamer l’égalité réelle n’a rien d’excessif. Ce discours sur le féminisme « trop radical » sert surtout à discréditer celles et ceux qui dérangent l’ordre établi – comme on l’a fait à une époque avec les abolitionnistes ou les suffragettes. Être ferme face à l’injustice n’est pas être extrême. C’est simplement être lucide.
5. « Pourquoi dire féminisme et pas égalitarisme ou humanisme ? »
On parle de féminisme parce que ce sont les femmes qui ont historiquement été et sont encore les principales victimes des inégalités de genre.
Dire « égalitarisme » ou « humanisme » gomme cette réalité concrète : l’oppression a un sens, une histoire, une structure, et elle vise les femmes de façon spécifique. Le mot féminisme nomme cette lutte avec précision, comme on parle d’antiracisme pour lutter contre le racisme.
Vouloir le remplacer, c’est chercher à neutraliser une contestation trop dérangeante. Le terme « féminisme » n’a rien à voir avec une supposée « supériorité des femmes », il s’agit simplement de nommer une lutte pour l’égalité du point de vue de celles à qui elle a été refusée. Par ailleurs, le féminisme est indissociable de l’humanisme.
6. « Les hommes sont toujours présentés comme les méchants. » (#NotAllMen)
Cet « argument » confond la critique d’un système (le patriarcat) et de violences structurelles, encouragées ou excusées par celui-ci, avec l’accusation d’un sexe. Dès lors que l’on dénonce des violences sexuelles, surgit systématiquement le fameux « NotAllMen » (« tous les hommes ne sont pas comme ça »).
Pourtant, le féminisme ne dit pas que tous les hommes sont oppresseurs, mais que toutes les femmes subissent des oppressions. Quand on parle de violences masculines ou de domination, on parle de faits sociaux, pas d’individus diabolisés.
D’ailleurs, le féminisme, dans son essence, ne cherche pas à accuser individuellement, mais à transformer les rapports de pouvoir pour qu’ils ne nuisent à personne. Le féminisme universitaire explique notamment en profondeur comment les hommes sont porteurs de privilèges et, en ce sens, ont un rôle à jouer contre leurs propres constructions sociales, même infimes et inconscientes. C’est en cela seulement que tous les hommes sont parfois visés : comme les responsables d’un pouvoir arbitraire hérité d’une histoire inégalitaire et dont il est important de céder une partie à différents degrés et échelles selon les individus.
« Si tous les hommes ne sont pas des oppresseurs, tous bénéficient toutefois d’un système qui les privilégie. Le reconnaître, ce n’est pas se flageller : c’est une première étape pour agir de manière plus juste ».
Si certains hommes se sentent visés, c’est peut-être qu’ils s’identifient justement au système critiqué. Or, le but n’est pas de désigner des « gentils » et des « méchants », mais de construire une société plus juste. Si tous les hommes ne sont pas des oppresseurs, tous bénéficient toutefois d’un système qui les privilégie. Le reconnaître, ce n’est pas se flageller : c’est une première étape pour agir de manière plus juste.
7. « Moi je n’ai jamais agressé personne, je suis respectueux, donc je ne suis pas concerné »
Être respectueux est essentiel, mais cela ne suffit pas à se dire « non concerné ». Ce serait comme dire « je ne suis pas raciste, donc la lutte antiraciste ne me concerne pas » : même si on ne contribue pas au problème, on peut contribuer à la solution.
Le sexisme est un système collectif, pas une simple affaire de comportements individuels. Même sans agresser qui que ce soit, on peut bénéficier – souvent sans s’en rendre compte – de privilèges liés à ce système.
Refuser de se sentir concerné, c’est laisser perdurer un déséquilibre injuste. Un homme féministe n’est pas seulement innocent, il est solidaire. Il reconnaît que l’injustice existe, même s’il n’en est pas l’auteur, et choisit de ne pas détourner le regard. Ne pas nuire, c’est bien. Mais soutenir celles et ceux qui luttent pour plus de justice et d’égalité, c’est encore mieux.
8. « Les féministes veulent castrer les hommes / interdire la séduction »
C’est une caricature et une peur infondée, alimentée par des discours réactionnaires. Le féminisme ne s’oppose pas à la séduction, mais à la domination, à l’insistance non consentie, au harcèlement et aux violences. Il ne rejette pas le désir, il revendique le respect mutuel.
« Ce n’est pas la drague qui est remise en question, c’est l’idée que l’insistance ou la pression seraient des formes de séduction acceptables ».
Confondre séduction et pouvoir, ou galanterie et emprise, révèle justement un problème dans la conception des relations hommes-femmes. Le féminisme ne veut pas supprimer le lien entre les sexes, il veut qu’il soit libre, égal et consenti. Une séduction sincère, basée sur le respect, n’a rien à craindre du féminisme – au contraire, elle y gagne en authenticité. Ce n’est pas la drague qui est remise en question, c’est l’idée que l’insistance ou la pression seraient des formes de séduction acceptables.
9. « On ne peut plus rien dire »
Cette phrase n’est rien d’autre qu’une gêne face au fait que certains propos sexistes, racistes ou violents sont désormais remis en question. En réalité, on peut toujours parler. Personne n’interdit à qui que ce soit de s’exprimer librement dans les limites de la loi. Simplement, on ne peut plus blesser sans conséquences.
Ce n’est pas la liberté d’expression qui est menacée, c’est l’impunité face aux discours oppressifs. La parole s’étant désormais ouverte à celles et ceux qui étaient réduits au silence : ce n’est pas une censure, c’est un rééquilibrage. Si certaines paroles choquent aujourd’hui, c’est parce que les consciences évoluent. Être libre de s’exprimer n’a jamais voulu dire être libre d’humilier ou d’oppresser.
10. « Et les violences contre les hommes, alors ? »
Les violences contre les hommes existent, sont graves, et doivent être prises au sérieux. Mais les évoquer pour discréditer le féminisme est une erreur : ce dernier n’est pas l’ennemi de ces luttes, il en au contraire l’allié. Le féminisme dénonce justement un système patriarcal valorisant la domination, niant les émotions masculines, et stigmatisant les hommes victimes. Ce système nuit à toutes et tous.
Reconnaître la spécificité des violences faites aux femmes (massives, systémiques, liées à une culture de l’inégalité) n’empêche pas de lutter aussi contre celles subies par les hommes. C’est ensemble, et non en concurrence, qu’on fera reculer toutes les formes de violence. Ce n’est pas une compétition et les luttes ne s’annulent pas entre elles – au contraire, elles se complètent. Somme toute, ce n’est qu’en unissant nos combats que l’on pourra avancer.
Agir pour l’égalité, ensemble
Face aux inégalités persistantes et aux résistances au changement, on ne peut que se demander : que peut-on faire, à notre échelle ?
La première étape consiste à s’informer, à écouter les voix féministes, y compris dans notre entourage, à lire, regarder, comprendre, mais aussi à questionner les stéréotypes de genre que nous avons tous et toutes intégrés.
Cela passe aussi par l’éducation : parler d’égalité aux enfants, déconstruire les injonctions virilistes, soutenir une éducation au respect et au consentement dès le plus jeune âge. On peut également soutenir les associations qui œuvrent pour les droits des femmes, partager des contenus pédagogiques, signaler les propos, discours ou publicités sexistes, ouvrir des discussions, même inconfortables, dans notre entourage. Chaque geste compte. Car c’est bien dans la société tout entière, et avec les hommes – pas contre eux – que l’égalité pourra progresser.
– Elena Meilune
Photographie d’en-tête : @Leonardo Basso/Unsplash
