Monsieur le Premier ministre,
Vous auriez pu laisser le soin à « l’arc incertain d’un sagittaire improvisé » de cibler les Françaises et les Français responsables de la dette publique.
Certains y voient du panache, d’autres un manque de sens politique, d’autres encore un dérapage incontrôlé. Vous avez tenté, du reste, un rétropédalage peu convaincant. Toujours est-il que, sur le plateau du journal de 20 heures de TF1, vous n’avez laissé à personne d’autre que vous-même la tâche de dénoncer les fauteurs de dette : les « boomers », avez-vous dit, dans un langage peu conforme à celui d’un agrégé de lettres.
La très officielle radio publique « France Info » a résumé votre propos de la manière suivante : « Interrogé sur les raisons de la dette, mercredi sur TF1, François Bayrou a notamment pointé la responsabilité des baby-boomers » ; il a « parlé du confort des boomers ».
L’enfant de l’après-guerre que je suis s’adresse donc aujourd’hui au « boomer » que vous êtes pour vous dire combien il refuse cette stigmatisation, cette culpabilisation, et surtout à quel point il rejette toute responsabilité dans la situation financière du pays.
Il est trop facile, alors que vous avez été au pouvoir à plusieurs reprises, et tout au long de votre vie dans les allées du pouvoir, de rejeter sur certains citoyens la faute des gouvernants.
D’abord, parce qu’il était prévisible que 50 années de déficits budgétaires consécutifs conduiraient le pays à un endettement dont le règlement des seuls intérêts obère gravement le budget de l’Etat, au point d’en devenir bientôt le premier poste de dépenses.
Ensuite, puisque l’on met en avant le coût des retraites dans la dépense publique, parce que les courbes démographiques étaient connues. Et « gouverner, c’est prévoir », comme avait pu le répéter Pierre Mendès-France, à la suite d’Emile de Girardin lançant en 1849 : « Gouverner, c’est prévoir ; et ne rien prévoir, c’est courir à sa perte ». Tout le monde savait évidemment que la génération de l’après-guerre arriverait un jour à l’âge de la retraite, et que – du fait du régime de retraite « par répartition » – la charge du paiement des pensions reposerait sur un nombre sans cesse plus faible de cotisants.
Ma mémoire me dit d’ailleurs que, dès 1973, Michel Debré alertait le Président de l’époque, Georges Pompidou, sur ce sujet.
La même remarque sur les courbes démographiques vaut pour le secteur de la santé et les déserts médicaux, qui ne sont que le résultat de l’impéritie des princes qui étaient censés nous gouverner. Il ne vous reste plus, Monsieur le Premier Ministre, qu’à mettre sur le dos des médecins cette situation scandaleuse qui fait que, dans une ville de 55 000 habitants de l’ouest de la France, 10 000 habitants se trouvent, au 21ème siècle ! sans médecin traitant. Vous n’allez tout de même pas demander à ces praticiens de travailler jusqu’à 80 ans !
On ne saurait méconnaître non plus que des choix politiques et électoraux n’ont pas été sans lourdes conséquences pour les finances de la nation, et les boomers ne sauraient en être tenus pour responsables, même s’ils sont partis à la retraite plus tôt que leurs aînés.
Faut-il vous rappeler, Monsieur le Premier Ministre, qu’en 1981 eut lieu le choc socialiste ? 39 heures payées 40, 5ème semaine de congés payés, puis retraite à 60 ans, autant de mesures qui permettent de capter les suffrages des électeurs, sans aucun souci du lendemain. De 1981 à 1983, il en résulta trois dévaluations du franc, avant que François Mitterrand ne décrète l’illustre « tournant de la rigueur », comme si l’on pouvait gérer un pays autrement qu’avec rigueur.
Mais la leçon n’a pas été retenue. A la faveur, et à la suite, de la fameuse dissolution de 1997, astucieusement suggérée par M. de Villepin à Jacques Chirac ! la France a eu droit aux 35 heures payées 39 de Lionel Jospin et Martine Aubry. En annualisation du temps de travail, l’équivalent de cinq semaines de congés payés supplémentaires ! A l’époque, le Chancelier allemand a pu déclarer, non sans ironie, que c’était une excellente mesure pour … l’Allemagne ! Ce qui n’était pas faux, hélas ! Tandis que les socialistes français expliquaient qu’ils montraient la voie à l’Europe, qui s’est bien gardée de nous emboîter le pas. Et, avec l’euro, la facilité de la dévaluation de la monnaie n’existe plus.
Alors, puisqu’il fallait bien demeurer compétitif à l’international, l’Etat français a dû accorder des allègements de charges aux entreprises. En d’autres termes, l’Etat subventionne les entreprises pour produire moins, ce qui est un comble, alors qu’en d’autres temps l’Etat apportait un appui aux entreprises pour aller conquérir des marchés à l’export.
Bien sûr, Monsieur le Premier Ministre, vous répondrez à cela que vous n’étiez pas aux manettes. Mais tous celles et tous ceux qui suivent la vie publique de notre pays depuis des décennies ont gardé le souvenir de vos tentatives de négociation avec Ségolène Royal dans l’entre-deux-tours de la présidentielle de 2007, du soutien que vous avez apporté en 2012 à François Hollande pour qui vous avez appelé à voter, de votre engagement aux côtés d’Emmanuel Macron pour conquérir le pouvoir en 2017, alors même qu’il appartenait – ce qui était bien son droit, au demeurant – à la famille socialiste.
Voilà pourquoi, Monsieur le Premier Ministre, ayant combattu par la plume ces orientations contraires à l’intérêt national, je refuse toute responsabilité dans la situation financière de la France de 2025.
Et, comme l’immense majorité du peuple français, je n’ai certainement pas confiance en vous. Quand on s’est trompé autant de fois dans ses choix politiques, il n’est pas interdit de se remettre en question, plutôt que de désigner à la vindicte de l’opinion une catégorie de Françaises et de Français.
Vous êtes même allé encore plus loin, dimanche soir sur les chaînes d’information en continu, en faisant porter la responsabilité de la dérive des comptes publics sur l’ensemble des Français, comme si c’étaient eux qui détenaient les cordons de la bourse. Trop, c’est trop !
Alain Tranchant