Nommer les naufragés en Méditerranée, par Paolo Valenti (Le Monde diplomatique, septembre 2025)


Depuis 2014, 32 000 morts sans sépulture

Année après année, des milliers de migrants meurent noyés en essayant de gagner l’Europe. Au nom de la dignité humaine, quelques rares initiatives médico-légales italiennes tentent de leur rendre justice en les identifiant pour informer leurs familles. Mais ce processus demeure incertain, car la collecte d’ADN et le traitement des corps retrouvés ne sont pas obligatoires dans le cas des victimes de ces traversées.

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Nabil El Makhloufi. — « Pool Light », 2021

© Nabil El Makhloufi – Galerie d’art L’Atelier 21, Casablanca

Des photographies transformées en aquarelles abstraites sur lesquelles ne subsistent que des taches de couleur indistinctes. Une carte d’identité malienne rongée par le sel. Une paire de gants pour enfant avec l’écusson du Real Madrid cousu au dos. La docteure Cristina Cattaneo extrait ces reliques de sachets en plastique rigoureusement étiquetés et les dispose une à une sur la table. Nous sommes dans une salle du laboratoire d’anthropologie médico-légale de l’université de Milan, qu’elle dirige, et ces objets appartiennent aux victimes du naufrage du 18 avril 2015, le pire jamais enregistré en Méditerranée : plus de mille personnes noyées au large de la Libye. Leurs corps, comme la plupart de ceux qui meurent sur les routes migratoires, sont longtemps restés anonymes. Dix ans après les faits, ils commencent enfin à être identifiés grâce à une collaboration inédite entre scientifiques, institutions politiques et organisations humanitaires. Une initiative qui risque toutefois de rester un cas isolé. « Déjà à l’époque de ce drame, l’identification des migrants morts en mer était un sujet impopulaire, déplore Mme Cattaneo. Aujourd’hui, presque plus personne ne s’en soucie. »

Si l’Organisation mondiale pour les migrations estime à plus de 32 000 le nombre de migrants morts en Méditerranée depuis 2014, moins de 10 % des corps auraient été retrouvés, et seule une partie d’entre eux identifiés, selon la Croix-Rouge. Les autres reposent au fond de la mer, anonymes, alors que leurs proches cherchent toujours des réponses.

L’oubli n’est pourtant pas une fatalité, comme le montre l’exemple du naufrage du 18 avril 2015. Cette nuit-là, un chalutier de vingt-trois mètres sur lequel se sont entassées plus d’un millier de personnes en provenance du Bangladesh, de Côte d’Ivoire, d’Éthiopie, de Gambie, du Mali, du Sénégal, de Somalie et de Syrie coule dans les eaux internationales, au large des côtes libyennes. Plus d’un an plus tard, sur décision gouvernementale, la marine (…)

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