Trois petits mois à peine. Nommé Premier ministre le 5 septembre 2024, Michel Barnier et l’ensemble de son gouvernement ont été censurés par l’Assemblée nationale le 4 décembre. Un vote qui les oblige constitutionnellement à démissionner — et qui fait de l’homme de 73 ans le plus éphémère locataire de Matignon de l’histoire de la Ve République.
Ce trimestre à la tête du pays, marqué du sceau de l’austérité et des coupes budgétaires, lui aura laissé le temps d’enclencher une politique écologique extrêmement décriée pour son manque d’ambition, voire ses régressions inquiétantes. Pour les associations écologistes, toutefois, la situation est ambivalente. Si la motion de censure permet de couper court aux attaques en règle contre l’écologie, elle ouvre une nouvelle période d’incertitude. Alors même que l’urgence climatique et l’état de la biodiversité devraient imposer une accélération de la planification écologique.
Coup d’arrêt bienvenu aux politiques anti-écologiques
Côté positif, donc, l’abandon de la « saignée » promise aux budgets des politiques écologiques. Le projet de loi de finances pour 2025, qui est suspendu à cause de la chute du gouvernement, tranchait à la hache dans de nombreuses mesures climatiques : MaPrimeRénov (le dispositif d’aide à la rénovation énergétique des bâtiments), le fonds vert visant à financer la transition des territoires et le bonus à l’achat de véhicules plus écologiques étaient les trois principales victimes des près de 2 milliards d’euros de coupes budgétaires écologiques annoncées par le gouvernement.
Dans le viseur de l’exécutif figuraient également les promesses d’un plan vélo à 2 milliards d’euros annoncé en 2023 mais abandonné dans le projet de budget 2025. Les agences de l’eau se voyaient amputées de 130 millions d’euros tandis que les ministères de l’Écologie et des Territoires craignaient un véritable « démantèlement » avec des centaines de postes supprimés.
Autant de « coupes scandaleuses et préjudiciables à la transition écologique » pour Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace France. « Toutes ces coupes court-termistes étaient dramatiques, à la fois pour le climat et pour les emplois : les filières industrielles ont besoin de visibilité de long terme pour se projeter. Ces politiques de stop and go permanentes sont un très mauvais signal envoyé aux acteurs de la transition », ajoute Anne Bringault, directrice des programmes du Réseau Action Climat.
On ne regrettera pas non plus le départ de Michel Barnier chez le WWF France, qui déplore le désintérêt total pour les enjeux de biodiversité de la part de l’équipe sortante. « Un marqueur fort, c’est la réduction annoncée de la moitié du budget alloué à la Stratégie nationale biodiversité, ce qui veut dire des abandons de nombreux projets sur le terrain. Et le Premier ministre disait vouloir encore assouplir la loi contre l’artificialisation des sols, alors même qu’on continue d’artificialiser l’équivalent de 30 000 terrains de foot par an en France », dénonce Arnaud Gilles, chargé de plaidoyer au sein de l’ONG.
« Toutes ces mesures de régression environnementale vont être stoppées », se réjouit donc Cécile Claveirole, vice-présidente de France Nature Environnement. À la longue liste des griefs, elle ajoute l’intention du gouvernement démissionnaire de diminuer de pas moins de 72 % le budget alloué au Pacte pour les haies, une végétation pourtant cruciale pour la biodiversité, l’eau et la résilience de l’agriculture.
La crainte du gel des budgets
Côté inquiétudes maintenant, cette censure du gouvernement ouvre une nouvelle période d’instabilité politique, voire de vacance du pouvoir, dont les associations écologistes se seraient bien passé. « On craint de revenir à l’immobilisme de cet été, qui a suivi la dissolution », rappelle Cécile Claveirole.
Les ONG redoutent notamment les nouveaux retards sur les textes cadres nécessaires à la planification écologique. La nouvelle stratégie nationale bas carbone (SNBC), la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) et le troisième plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC) ont tous déjà accumulé des mois de retard, délétère pour l’adaptation comme pour l’atténuation du changement climatique.
« On craint de revenir à l’immobilisme post-dissolution »
« Quelle que soit l’issue du vote de ce soir, les consultations PNACC, PPE et SNBC se poursuivent jusqu’à leur terme », voulait rassurer le 4 décembre le cabinet d’Agnès Pannier-Runacher, ministre de l’Écologie en partance. Mais, au-delà de ce processus de consultations publiques, « on ne pourra avoir aucun décret d’application avec un gouvernement démissionnaire. Un nouveau gouvernement peut mettre plusieurs mois à arriver. Et quid de l’hypothèse qu’on reste avec un gouvernement démissionnaire pendant plus de six mois, jusqu’à une prochaine dissolution ? Sans cap, on ne pourra pas avancer, alors que la transition ne peut pas attendre », s’inquiète Anne Bringault.
Autre grand flou : en attendant une éventuelle nouvelle équipe gouvernementale, et le vote d’un nouveau budget, l’hypothèse de la reconduction automatique du budget 2024 permettrait-elle vraiment de reconduire tous les budgets des politiques écologiques ? Le gouvernement pourrait être autorisé par la loi à débloquer les crédits essentiels au bon fonctionnement des services publics, comme l’explique le média Contexte, mais ceux dédiés à la transition écologique pourraient être gelés.
Le caractère inédit de la situation rend ses implications juridiques et politiques incertaines. Toutes les associations écologistes contactées avouent n’avoir aucune idée de la réalité d’un tel risque de blocage des fonds publics. « On entend tout et n’importe quoi sur le sujet, avec aussi une volonté de faire peur », se méfie Cécile Claveirole.
Une rupture du dialogue depuis plus d’un an
En attendant de voir ce que l’avenir leur réserve, les défenseurs du climat et du vivant accueillent également comme un répit le départ d’un gouvernement perçu comme méprisant, voire totalement sourd au dialogue avec les ONG.
« Cela ne date hélas pas des trois derniers mois, précise Arnaud Gilles, du WWF. Ça fait plus d’un an que c’est la nature qui est censurée. Le gouvernement Attal actait déjà de profondes régressions sur l’écologie. C’est le jour et la nuit par rapport au début du second quinquennat d’Emmanuel Macron, lorsque la Première ministre Élisabeth Borne consultait largement la société civile. Il y a une rupture depuis un an avec un manque profond d’ambition, et une absence d’écoute. Cela participe d’un discours politique qui tente de nous faire passer pour irresponsables, alors que nous nous appuyons toujours sur la science et que c’est l’effondrement de la nature qui serait le plus nuisible pour l’économie », regrette-t-il.
« On n’attend plus rien d’Emmanuel Macron »
Les coupes budgétaires drastiques, actées et annoncées, dans les subventions, fragilisent dangereusement de nombreuses associations environnementales sur le terrain. « Déjà en 2024, on nous faisait remonter une très forte pression au niveau local. On sent une forte baisse de considération pour nos sujets de la part des décideurs, alors qu’ils restent très importants dans la société », témoigne Cécile Claveirole. La vice-présidente de FNE dit craindre que le prochain gouvernement reste dans les mêmes dispositions vis-à-vis de l’écologie.
« On n’attend plus rien d’Emmanuel Macron. C’est lui qui choisira le futur Premier ministre et lui fixera une feuille de route », dit également Jean-François Julliard, de Greenpeace France. « Aujourd’hui, notre mobilisation doit se concentrer sur le terrain, au plus près des territoires plutôt qu’à Matignon. »
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