Alors que des voix de plus en plus nombreuses s’élèvent en faveur d’un retour aux urnes pour le scrutin majeur de la République, l’élection du Président au suffrage universel, deux objections principales sont avancées par les partisans du maintien en poste de M. Macron.
D’une part, les délais impartis par la Constitution ne permettraient pas une campagne électorale digne de ce nom, et seraient la cause d’un nouveau rendez-vous présidentiel raté. D’autre part, ce serait un fâcheux précédent qui inciterait dans le futur à réclamer la démission d’autres chefs de l’État.
Ni l’un, ni l’autre de ces arguments ne me paraissent pertinents.
Évoquons d’abord le grand débat national destiné à structurer notre vie publique autour du pivot qu’est, depuis 1958, le président de la République, son élection permettant la formation d’une majorité présidentielle, destinée à se retrouver ensuite dans la composition de l’Assemblée nationale.
L’élection présidentielle de 2022 n’a certainement pas répondu à ces caractéristiques. Même s’il s’agissait du renouvellement d’un premier mandat, ce scrutin – qui a pourtant eu lieu en temps et en heure – n’a pas pour autant permis un vrai débat national, et moins encore la formation d’une majorité de gouvernement pour la durée d’une législature au Palais Bourbon. Dès sa naissance, en 2022, cette Assemblée avait vocation d’être dissoute. Dans les deux années qui ont mené à la dissolution de 2024, on a vu ce qu’était une soi-disant « majorité relative ». C’est tout simplement une absence de majorité. La majorité est absolue, ou n’est pas.
Les opposants à la démission de M. Macron estiment que les délais fixés par la Constitution pour l’élection d’un nouveau Président (« vingt jours au moins et trente-cinq jours au plus après l’ouverture de la vacance ») ne sont pas suffisants pour que le peuple français se prononce en connaissance de cause.
Mais la longue histoire de la Vᵉ République leur répond. Elle a connu la démission d’un président de la République, Charles de Gaulle, à la suite de l’échec d’un référendum, mais aussi le décès d’un Président en exercice, Georges Pompidou. Le général de Gaulle démissionne dans la nuit du 27 au 28 avril 1969. Georges Pompidou est élu le 15 juin 1969, après un premier tour de scrutin le 1ᵉʳ juin. Georges Pompidou décède le 2 avril 1974. Valéry Giscard d’Estaing est élu le 19 mai suivant, après un premier tour le 5 mai. Et personne ne s’est alors élevé contre ces délais constitutionnels.
Dans la mesure où la « règle du jeu » est connue, et établie constitutionnellement, il appartient aux partis politiques de s’organiser en conséquence. C’est d’ailleurs bien ce qu’ils font. Observons pour s’en convaincre que ce sont, pour la plupart, des chefs de partis qui ont accédé à la magistrature suprême. Valéry Giscard d’Estaing, François Mitterrand, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy en sont l’illustration. Et François Hollande avait été Premier secrétaire du parti socialiste pendant 10 ans avant d’accéder à l’Élysée.
Il est certain, aujourd’hui encore, que la conquête de la direction d’un parti est bien conçue – on l’a vu récemment chez Les Républicains – comme un tremplin pour une candidature présidentielle.
Au surplus, est-on assuré qu’une longue campagne électorale soit le gage d’une bonne campagne ? Rien n’est moins sûr…
Seconde argutie : si les demandes de démission d’Emmanuel Macron entraînaient son départ avant le terme de son mandat, il serait possible à l’avenir de demander la démission de tout chef d’État dont le pays ne serait pas satisfait.
Mais enfin, comment peut-on méconnaître à ce point que la situation d’un futur président de la République ne sera pas nécessairement celle de l’actuel occupant de l’Élysée ? Outre qu’il aura le droit d’être meilleur, ce n’est tout de même pas un geste banal que d’avoir décidé, certes comme il en avait le pouvoir, de dissoudre l’Assemblée nationale au lendemain de la défaite de son camp aux élections européennes et de renvoyer les député(e)s devant leurs électrices et leurs électeurs.
Le peuple français a répondu au président Macron. Il lui a clairement signifié qu’il n’avait pas confiance en lui, en envoyant au tapis une centaine de ses député(e)s, et en refusant de lui apporter une majorité.
Le spectacle qui est donné depuis plus d’un an, et aujourd’hui encore, sur la scène publique n’est rien d’autre que « le jeu des ambitions, illusions, combinaisons et trahisons » qui avaient cours sous les Républiques antérieures.
Les politiques qui s’opposent au départ d’Emmanuel Macron seraient plus crédibles s’ils déclaraient clairement qu’ils ne se sentent pas prêts à affronter le suffrage universel. C’est pour cette raison, et pour cette raison seulement, qu’ils tiennent tant à ce que l’hôte de l’Élysée aille au bout de son mandat. Et il ne demande que cela ! Mais ce n’est assurément pas l’intérêt de la France, ni celui des Françaises et des Français.
Alain Tranchant