
Il y a parfois des conjonctions discrètes mais significatives. Sont sortis en juin-juillet sur les écrans français trois films norvégiens : Loveable, de Lilja Ingolfsdottir, Sous hypnose, d’Ernst de Geer, et Rêves, de Dag Johan Haugerud, qui vibrent d’une même inquiétude morale, d’un même regard critique sur les normes qu’impose la société à l’individu, et content des trajectoires de femmes ni idéalisées ni sacrifiées (1).
Julie (en 12 chapitres), du Norvégien Joachim Trier, développait déjà en 2021 certains motifs : pluralité des récits, trouble face à une liberté sans bornes, mais aussi Oslo, qui, avec ses interminables journées d’été, fournit un horizon plastique et métaphysique au foisonnement des possibles (2). Julie fuyait les déterminismes tout en peinant à habiter ses propres choix ; Maria (Loveable), Vera (Sous hypnose) et Johanne (Rêves) avancent, chacune à sa manière, dans un monde où la possibilité conquise par les femmes de vivre comme elles l’entendent produit moins de soulagement que de vertige.

C’est ce vertige qu’explorent ces films. Rêves est raconté par la voix d’une adolescente, Johanne, dont l’émoi amoureux pour sa professeure devient matière littéraire. Le manuscrit, lu par la grand-mère (poétesse frustrée) puis par la mère, déclenche chez les aînées un entrelacs d’émotions : inquiétude, plaisir du voyeurisme, mais aussi jalousie face à la jeunesse et à la puissance de l’imagination. Le texte dérange, comme s’il cristallisait les failles de transmission entre générations.

Sous hypnose prend le détour de la comédie grinçante à la Ruben Östlund (The Square, Triangle of Sadness) — mais sans son cynisme. La séance d’hypnose à laquelle Vera, jeune entrepreneuse, recourt pour arrêter de fumer aura un effet secondaire imprévu : une désinhibition radicale. Elle devient alors un corps étranger dans le monde des start-up, où l’on prétend valoriser la spontanéité alors que tout y est codifié. Loveable, enfin, accompagne le lent démantèlement d’un idéal conjugal : Maria découvre que ce n’est pas un homme qui l’enferme, mais l’image de l’impossible amour fusionnel. Se dessinent ainsi des héroïnes lucides, parfois brutales, qui ne cherchent plus à plaire mais à se comprendre, quitte à faire l’expérience d’une forme sans fard de responsabilité.
Ce qui relie ces films, c’est la volonté de sonder, par la fiction, les limites du tissu social. La parole, le corps, les affects y écartent les mailles qui relient les êtres en société. Tous trois sont signés par de jeunes cinéastes — ou du moins jeunes au cinéma : De Geer et Ingolfsdottir réalisent leur premier long-métrage, tandis que Haugerud, bibliothécaire devenu cinéaste à près de 50 ans, a été propulsé sur le devant de la scène par Rêves, Ours d’or à la dernière Berlinale, premier volet de la Trilogie d’Oslo, dont les deux autres titres, Amour et Désir, sont sortis en salles les 9 et 16 juillet.
Pourquoi cette floraison vient-elle du Nord ? Peut-être parce que les sociétés scandinaves, à la pointe de l’égalité entre hommes et femmes, rendent plus visibles des contradictions qu’elles n’ont pas encore résolues. Comme chez Henrik Ibsen, dont l’ombre plane discrètement sur ces récits, les personnages doivent désormais s’émanciper non plus des contraintes extérieures, mais de leurs propres illusions. Le cinéma norvégien contemporain, tel qu’il se donne ici à voir, est une tentative de faire exister, dans l’espace du récit, une conscience en travail. On y parle, on y doute, on y écrit — chaque film comme un chapitre possible dans un roman sans plan préétabli.