Une rivalité qui façonne la politique étrangère américaine
Le retour de M. Donald Trump à la Maison Blanche semblait annoncer une purge des agences de renseignement. Le président républicain leur reprochait d’avoir cherché à lui nuire en alimentant les affabulations du « Russiagate ». Mais, en période de tensions internationales, le rôle croissant des opérations secrètes et des technologies de pointe ne lui permet pas d’écarter la CIA au profit du Pentagone.

Thomas Downing. — « 2×2 Circle Matrix » (2×2 Matrice circulaire), 1964
© The Estate of Thomas Downing
Dès sa création au lendemain de la seconde guerre mondiale, la Central Intelligence Agency (CIA) basée à Langley (Virginie) s’est imposée en grignotant le territoire de ses voisins : la police fédérale d’abord, à qui elle retire la responsabilité de l’espionnage en Amérique latine, ensuite le Bureau du renseignement du ministère des affaires étrangères, affaibli par les purges maccarthystes des années 1950. L’antagonisme le plus marqué l’oppose toutefois au Pentagone, siège du ministère de la défense. Sur le papier, la ligne est nette depuis la création en 1952 de la National Security Agency (NSA), rattachée au Pentagone : renseignement humain pour la CIA ; renseignement électromagnétique et opérations conventionnelles pour les militaires.
Dans les faits, la frontière est restée poreuse. Sous couvert de « guerre psychologique », la CIA a acquis une longue expérience paramilitaire — Cuba, Iran, Congo, Laos, Chili, Afghanistan, etc. Au moment de la guerre du Vietnam, irrité par les opérations clandestines au Sud-Vietnam et au Laos, le Pentagone créa en 1961 sa propre agence de renseignement humain, la Defense Intelligence Agency, pour briser le monopole de Langley et contredire ses évaluations jugées trop pessimistes sur l’efficacité d’une escalade militaire.
CIA et forces armées diffèrent dans leur conception du renseignement : outil diplomatique et stratégique pour la première, soutien opérationnel pour les secondes. Cette divergence reflète aussi leurs ancrages sociaux. Langley cultive une tradition patricienne, recrutant ses cadres dans l’élite universitaire et les grands cabinets d’avocats de Wall Street. Elle entretient des liens anciens avec les multinationales et les grandes compagnies pétrolières, dont elle a parfois été le bras armé, comme lors du renversement du premier ministre iranien Mohammad Mossadegh en 1953. L’armée demeure, à l’inverse, un vecteur d’ascension pour la classe moyenne : face à une CIA encore très majoritairement blanche, plus de 30 % des effectifs de (…)
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