l’élan solidaire de la Tunisie pour Gaza


L’accueil réservé à ces navires n’a pas seulement rassemblé les militants aguerris, les associations et les activistes engagés, mais aussi une foule bien plus large et inattendue : jeunes et étudiants, femmes voilées ou non, retraités, fonctionnaires, commerçants et même des sans-emploi. Autant de visages reflétant une Tunisie plurielle, souvent éloignée des cercles politiques, mais qui, pour cette occasion, a choisi d’investir pleinement l’espace public. Les rues et les quais se sont transformés en lieux de fête et de revendication. Les chants, les slogans et les drapeaux brandis jusque tard dans la nuit ont témoigné d’une ferveur rare, rappelant les grandes mobilisations populaires. Par moments, l’émotion se faisait presque palpable : certains Tunisiens, saisis par l’élan collectif, se sont avancés instinctivement dans l’eau jusqu’à la taille, comme pour dire qu’ils voulaient rejoindre symboliquement l’équipage. Leurs âmes, semblaient-ils dire, voguaient avec la flottille, mais leurs corps, ancrés dans une réalité contraignante, restaient à quai. Ce geste fort résumait à lui seul une vérité : la solidarité ne consiste pas à tout pouvoir, mais à faire tout ce qui est possible, sans tricher, sans renoncer.

À travers cette escale, une évidence s’imposait : la cause palestinienne demeure profondément inscrite dans la conscience collective tunisienne. Elle traverse les générations depuis la Nakba de 1948, nourrie par l’histoire récente d’un pays qui a lui-même subi les bombardements et les assassinats ciblés israéliens. Cette ferveur, déjà palpable dans les ports européens comme Barcelone ou Gênes, confirmait l’ampleur internationale du mouvement.

Réunis en Tunisie, les navires ont formé une flotte d’une cinquantaine de bateaux, unis dans ce défi pacifique : défier le blocus imposé à Gaza, en affirmant le droit fondamental d’un peuple à vivre libre. Le voyage de la flottille, suivi par plusieurs millions de personnes à travers les réseaux sociaux, illustre à quel point cette initiative résonne à l’échelle planétaire. Elle est perçue comme bien plus qu’un convoi maritime : un symbole de résistance civile et de solidarité internationale. J’étais moi-même présent, à Sidi Bou Saïd, au milieu de cette foule vibrante. L’émotion était contagieuse, mais au fond de moi subsistait une inquiétude profonde. Car au-delà des chants et des sourires, une question ne cessait de hanter mon esprit : comment cette aventure allait-elle se terminer ? Face à l’intransigeance et à l’irrationalité du gouvernement israélien actuel, le pire est à craindre. Je souhaite de tout cœur me tromper. En attendant, et pour celles et ceux qui ignoreraient peut-être les efforts entrepris depuis 2008 pour briser le blocus de Gaza, cette flottille n’est qu’un chapitre supplémentaire d’une longue histoire de solidarité. Une histoire où la Tunisie, une fois de plus, a tenu à écrire une page vibrante et déterminée.

La flottille Global Sumud Flotilla, lancée en août 2025, représente une initiative humanitaire d’envergure visant à briser le blocus israélien de Gaza, en place depuis 2007, et à acheminer de l’aide humanitaire à la population Gazaouie confrontée à une crise sans précédent. La Global Sumud Flotilla tire son nom du terme arabe soumud, qui signifie persévérance ou résilience, symbolisant la résistance non violente du peuple palestinien face à l’occupation israélienne. Cette initiative est présentée comme la plus grande mission citoyenne jamais entreprise pour défier le blocus de Gaza, impliquant des dizaines de navires et des centaines de participants issus de 44 pays. Elle est soutenue par une coalition internationale de mouvements citoyens et d’organisations non gouvernementales, se définissant comme indépendante et non affiliée à aucun gouvernement ou parti politique. Parmi les principaux acteurs à l’origine de la flottille figure le Mouvement mondial vers Gaza, qui avait tenté en juin 2025 d’organiser une marche terrestre depuis l’Égypte, stoppée par les autorités égyptiennes. Cette expérience a conduit à privilégier une approche maritime pour cette nouvelle tentative.

Cette coalition internationale, active depuis 2010, apporte son expertise logistique et juridique. Elle a déjà organisé des expéditions, notamment celles des navires Madleen et Handala. Du côté maghrébin, la coalition régionale a mené des convois terrestres en Afrique du Nord, tel le Convoi de la résistance en juin 2025, et coordonne désormais les départs depuis la Tunisie. À l’Est, Sumud Nusantara, une organisation sud-asiatique dirigée notamment par la Malaisie, assure la coordination des départs de bateaux depuis l’Asie. L’objectif principal est triple : acheminer des aides d’urgence (médicaments, denrées alimentaires, matériel médical), briser symboliquement et physiquement le blocus israélien, et dénoncer l’inaction de la communauté internationale face à ce que les organisateurs qualifient de « génocide » et de « famine orchestrée » à Gaza.

La campagne a récolté plus de 2,28 millions d’euros, dépassant largement les fonds nécessaires pour financer les navires, l’aide humanitaire et la logistique. La flottille bénéficie du soutien et de la participation de nombreuses personnalités issues de divers horizons, militants, artistes, responsables politiques, médecins, avocats, renforçant sa visibilité médiatique et son impact symbolique. Plus de 300 participants de 44 pays, parmi lesquels des figures comme l’acteur suédois Gustaf Skarsgård, la romancière irlandaise Naoise Dolan, le skipper Reva (ancien détenu d’une mission précédente) et Nkosi Zwelivelile « Mandla » Mandela, petit-fils de Nelson Mandela se sont engagés dans l’opération. Ce dernier a déclaré que les Palestiniens endurent des conditions « pires que l’apartheid, alors que la famine sévit dans l’enclave ». Des milliers de personnes (28 000 selon certaines sources), représentant près de 160 nationalités, se sont portées volontaires pour embarquer, bien que tous n’aient pu trouver place à bord, faute de capacités suffisantes.

Depuis l’imposition du blocus israélien en 2007, 38 tentatives maritimes ont été organisées, dont seulement cinq ont réussi à atteindre les côtes de Gaza. En août 2008, le Free Gaza Movement, une organisation pro-palestinienne basée aux États-Unis, a brisé pour la première fois le blocus avec deux petits bateaux, le SS Free Gaza et le SS Liberty. Partis de Larnaca (Chypre) le 22 août avec 44 militants de 17 nationalités, ils transportaient des fournitures humanitaires (appareils auditifs, jouets, matériel médical). Le 23 août, ils ont accosté à Gaza sans interception israélienne, marquant la première arrivée de navires étrangers depuis 1967. Ce succès, salué par des milliers de Gazaouis, s’explique par l’effet de surprise, la forte médiatisation, la nature non menaçante des navires et l’hésitation d’Israël à intervenir pour éviter un scandale diplomatique. Cette mission, l’une des cinq réussies entre 2008 et 2009, a accru la visibilité de la crise humanitaire à Gaza, mais a conduit Israël à durcir ses contrôles maritimes pour les tentatives suivantes. En 2010, la flottille turque dirigée par le navire Mavi Marmara a été attaquée par les forces israéliennes dans les eaux internationales, causant la mort de neuf militants et des dizaines de blessés. L’incident a suscité une indignation mondiale et demeure un rappel des risques encourus par de telles initiatives.

Plus récemment, en Mai 2025 : le navire Conscience a été attaqué par un drone israélien au large de Malte. En Juin 2025 : le voilier Madleen, transportant 12 militants, a été arraisonné par la marine israélienne à 185 km de Gaza. Les passagers ont été arrêtés, brièvement détenus puis expulsés. En Juillet 2025 : le navire Handala, également organisé par la Flottille pour la liberté, a été intercepté dans les eaux internationales. Ces échecs ont conduit les organisateurs à changer de stratégie pour la Global Sumud Flotilla : multiplier le nombre de navires afin d’augmenter les chances que certains atteignent Gaza, tout en maximisant la visibilité médiatique. La Global Sumud Flotilla fait face à des risques majeurs. Israël considère ces initiatives comme une provocation et une menace à son contrôle sur Gaza. Toutes les tentatives récentes (Conscience, Madleen, Handala) ont été interceptées dans les eaux internationales, en violation du droit maritime international. Les passagers ont été arrêtés, interrogés, puis expulsés. Avec des dizaines de navires impliqués, l’opération d’interception pourrait s’avérer plus complexe, mais la marine israélienne dispose des moyens pour la bloquer. Le ministre israélien de la Sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir a affirmé dans le Jerusalem Post du 1er septembre 2025 que « les navires seraient interceptés, leurs équipages emprisonnés – plutôt qu’expulsés immédiatement – et les bateaux confisqués ».

En septembre 2025, deux attaques de drones ont visé des navires de la flottille ancrés à Sidi Bou Saïd, en Tunisie, provoquant un incendie sur le Family Boat. Les organisateurs ont accusé Israël, tandis que les autorités tunisiennes ont parlé d’un incendie d’origine interne. Ces incidents montrent que la flottille pourrait être ciblée avant même d’atteindre Gaza. L’attaque du Mavi Marmara en 2010 a montré qu’Israël est prêt à employer la force létale. Et bien que la flottille se présente comme non violente, les déclarations de Ben-Gvir, qualifiant les participants de « terroristes », laissent présager une répression plus dure. Certains gouvernements, comme l’Espagne, ont promis une protection consulaire à leurs ressortissants, ce qui pourrait compliquer l’action israélienne. Mais l’absence de réaction internationale forte face aux interceptions précédentes laisse présager un soutien limité. Un rapport israélien publié par le ministre Amichai Chikli allègue des liens entre certains organisateurs (Saif Abukeshek, Yahia Sarri) et le Hamas ou les Frères musulmans, qualifiant Greta Thunberg de « figure de couverture » pour masquer des motivations « extrémistes ». Ces accusations, contestées par les organisateurs, pourraient néanmoins servir de justification à une répression accrue. Enfin, la Tunisie, d’où partent plusieurs navires, adopte une posture ambiguë : elle facilite discrètement l’accostage mais reste silencieuse officiellement, sans doute sous pressions diplomatiques.

Même si la Global Sumud Flotilla est interceptée, son impact médiatique et politique est déjà monumental. En mobilisant des personnalités influentes et des délégations de 44 pays, elle expose la tragédie humanitaire à Gaza, où plus de 65 000 Palestiniens, dont près de la moitié sont des femmes et des enfants, ont été tués depuis octobre 2023, selon le ministère de la Santé de Gaza, avec des estimations indépendantes suggérant un bilan dépassant 100 000 en incluant les morts indirectes dues à la famine et au manque de soins.

À mes yeux, cette flottille, par son ampleur et ses participants internationaux, représente un défi sans précédent pour Israël. Cependant, les risques sont considérables : interceptions violentes, confiscations de navires, détentions prolongées, voire pertes humaines, comme l’illustre l’attaque du Mavi Marmara en 2010. Les déclarations d’Itamar Ben-Gvir, menaçant d’emprisonner les participants dans des conditions réservées aux « terroristes » et de saisir les bateaux, laissent présager une réponse israélienne musclée, probablement dans les eaux internationales, en violation du droit maritime. Les attaques de drones en Tunisie contre les navires Family et Alma suggèrent également des actions préventives pour saboter la mission avant son arrivée près de Gaza. Qu’elle parvienne à destination ou non, la Global Sumud Flotilla incarne un acte de résistance non violente, galvanisant la solidarité mondiale et exposant l’injustice du blocus. Son interception probable ne fera qu’amplifier son message, incitant de nouvelles vagues de mobilisation pour la cause palestinienne.

Mounir Kilani



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