
Robin Rhode. – De la série « Principle of Hope » (Principe de l’espoir), 2017
© ADAGP, Paris, 2025 – Robin Rhode – Courtesy de l’artiste et Mennour, Paris
L’exceptionnalisme juif est moins exceptionnel que nous l’imaginons. Nous ne sommes pas le seul peuple à utiliser un récit victimaire pour justifier notre suprématie. Au début du XXe siècle, les Afrikaners ont parsemé l’Afrique du Sud de monuments commémorant les camps de concentration où ils avaient été parqués par les soldats britanniques durant la seconde guerre des Boers (1899-1902). Cette histoire a beau être méconnue et nous sembler anecdotique au regard de nos persécutions millénaires, elle n’en a pas moins largement influencé leur vision du monde. Car ils s’estimaient menacés de l’intérieur et de l’extérieur : chez eux par les Noirs, censés vouloir leur mort ; au-dehors par le Royaume-Uni et les autres pays occidentaux, hypocrites imprévisibles prêts à laisser faire.
Si grotesque et délirante que cette fable puisse paraître aujourd’hui, je peux témoigner, pour avoir passé une partie de mon enfance au Cap durant l’apartheid, que les Afrikaners et la plupart des autres Blancs sud-africains y croyaient dur comme fer. D’ailleurs, qu’on le veuille ou non, elle ne diffère pas tant que cela de l’histoire que se racontent souvent les Juifs à propos d’Israël. Beaucoup d’entre eux, lorsqu’ils imaginent un État garantissant l’égalité des droits aux Palestiniens « du fleuve à la mer », ont la vision d’une Tel-Aviv immaculée sur laquelle déferleraient soudain la barbarie et le chaos qu’ils associent au Proche-Orient. Les Blancs d’Afrique du Sud, qui n’avaient pas une meilleure opinion de leur continent, étaient animés de peurs comparables. Ils parlaient du Nigeria et du Congo avec autant d’effroi que les Juifs parlent actuellement de la Syrie ou de l’Irak. Dans ces régions où la violence est endémique, se murmurait-on, les minorités sans défense n’ont aucune chance de survivre.
L’exemple de leur voisin zimbabwéen les effrayait tout particulièrement. En 1987, Helen Suzman elle-même, députée progressiste sud-africaine, rappelait que la fin de la domination blanche dans ce pays avait « coûté vingt mille (…)
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Peter Beinart
Journaliste américain, auteur de Being Jewish After the Destruction of Gaza. A Reckoning, Atlantic Books – Alfred Knopf, Londres – New York, 2025, dont ce texte est tiré.