Lors de son discours sur « l’état de l’Union » du 10 septembre 2025, Ursula von der Leyen, haut-fonctionnaire international, présidente de la Commission européenne, a annoncé un plan visant à « mobiliser jusqu’à 170 milliards d’euros d’actifs russes immobilisés au sein de l’UE pour soutenir les besoins budgétaires » de l’Ukraine. Il s’agirait d’un prêt sans intérêt accordé à l’Ukraine, qui rembourserait avec le produit d’éventuelles réparations payées par les Russes à l’issue du conflit. En l’absence de réparation, le prêt deviendrait un don.
Ce plan a été préparé par la Commission et sa présidente. Nous ne développerons pas ici la légalité d’un tel procédé ni ses conséquences potentielles sur les avoirs européens encore présents en Russie, mais sur la compétence de la Commission et de sa présidente à prendre de telles décisions.
En effet, l’action de l’actuelle présidente de la Commission est caractérisée par une omniprésence de celle-ci et une politique de pas successifs avec effet cliquet, pour toujours plus de compétences et pouvoirs. Cette course à toujours plus de pouvoirs est conduite au mépris des dispositions des traités et alors qu’aucune opposition significative ne lui fait obstacle.
Dans cet article nous rappellerons les réels pouvoirs de la Commission et de sa présidente, tels que prévus par les traités, et les actions hors champ, perpétrées depuis ses prises successives de fonction.
Les compétences de la Commission européenne
La Commission est l’une des institutions de l’Union européenne. Elle tire son existence et ses compétences des traités en vigueur, actuellement les deux traités de Lisbonne (Traité de l’Union européenne (TUE) et Traité de fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).
Le TUE, dans son article 17, définit la Commission. Le premier alinéa souligne que la Commission « veille à l’application des traités ». Donc sa fonction première est clairement de respecter les traités. La Commission a l’initiative des lois (dans un pays démocratique, cette compétence appartient au Parlement qui peut aussi la partager avec le gouvernement, comme c’est le cas en France) dans les domaines dévolus à l’Union européenne.
La répartition des compétences entre l’UE et les États membres
Les traités prévoient des compétences exclusives de l’Union, des compétences partagées et des compétences restant nationales. Mais une compétence partagée avec l’Union ne veut pas dire avec la Commission, et encore moins avec sa présidente, car le Conseil reste l’institution théoriquement prépondérante.
Il existe actuellement deux traités, formant ce qu’on appelle couramment le « traité de Lisbonne », qui est une version légèrement remaniée du projet de constitution européenne (rejeté par le référendum de 2005) : le Traité de l’Union européenne (TUE) et le Traité de fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).
La répartition de ces compétences figure dans les article 3 à 6 du TUE (1).
L’examen des dispositions des traités permet de constater l’étendue des pouvoirs concédés au niveau supra national par des États qui, de fait et même de droit, ne sont plus souverains. Cependant on constate que malgré tout, les compétences de l’Union et plus encore, de la Commission, restent délimitées. Si l’UE ne saurait être considérée comme un État, elle a déjà l’aspect d’un empire, sur le modèle de feu le Saint Empire Romain germanique.
Les compétences réelles de la présidente de la Commission
Il convient de rappeler que la Commission n’est qu’un organisme administratif chargé de missions de contrôle et de coordination, composé de fonctionnaires nommés, même si la désignation des commissaires et de leur président doit faire l’objet d’un vote de confirmation par le Parlement européen.
Le président de la Commission, en l’espèce sa présidente, est défini par l’article 17-6, qui dispose que :
« Le président de la Commission :
- a) définit les orientations dans le cadre desquelles la Commission exerce sa mission ;
- b) décide de l’organisation interne de la Commission afin d’assurer la cohérence, l’efficacité et la collégialité de son action ;
- c) nomme des vice-présidents, autres que le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, parmi les membres de la Commission.
Un membre de la Commission présente sa démission si le président le lui demande. Le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité présente sa démission, conformément à la procédure prévue à l’article 18, paragraphe 1, si le président le lui demande ».
En outre, l’article 249 du TFUE dispose que « la Commission adopte son propre règlement intérieur », qui définit précisément le processus de décision au sein de la Commission. Ces documents présentent l’organisme sous un jour très favorable et transparent.
La pratique de l’actuelle présidente de la Commission
Depuis sa prise de fonction en 2020, madame von der Leyen a profité de la crise Covid pour s’emparer de la compétence de santé publique, puis celle de la défense.
L’achat centralisé de vaccins en a été la première manifestation. Au départ, huit contrats ont été passés avec différents industriels en novembre 2020, sur la base d’un accord écrit en juin 2020 des États membres qui en donnaient compétence à la Commission, dans l’urgence et sous certaines conditions. Sur la base de cet accord, la Commission a pris l’initiative d’un nouveau contrat d’approvisionnement avec le seul Pfizer (300 millions de doses), en février 2021 puis en mai 2021 (1,8 milliards de doses). Il convient de noter que le dernier contrat, le plus important, aurait été « négocié » directement par la présidente de la Commission par échanges de SMS avec le CEO de Pfizer, Albert Bourla. Pour ce dernier contrat, le prix unitaire des doses facturé était le plus élevé de tous.
Or, la présidente de la Commission ne dispose d’aucune prérogative en matière de commande publique, et son rôle était inexistant dans l’accord de juin 2020, celui-ci prévoyant une équipe de négociation et un comité de pilotage, qui ne semblent pas être intervenus lors de la passation de ce dernier contrat.
Quel est l’intérêt de cette centralisation ? Aucun intérêt économique, car l’UE est l’organisation au monde qui a payé le plus cher les doses Pfizer, et les contrats successifs aux quantités pharaoniques ont conduit … à une augmentation des prix unitaires ! Les arguments présentés sont la sécurisation de l’accès aux produits (apparemment aucune pénurie n’a été constatée dans le monde, concernant ces produits) et l’urgence impérieuse (compréhensible en juin 2020, date du mémorandum des États membres autorisant la Commission à acheter des doses, plus contestable en mai 2021).
Non satisfaite de cette première « avancée », une agence permanente, HERA, censée apporter des réponses en cas d’urgence sanitaire, a été créée. Sans modification des traités, la Commission sous l’impulsion et à l’initiative de sa présidente, a ajouté la santé publique à ses compétences.
La défense et la sécurité restent, selon les traités, des compétences exclusives des États membres, l’Union ne jouant qu’un rôle marginal et de coordination, même si le traité de Lisbonne a étendu la notion de politique étrangère et de sécurité commune (PESC) : l’article 42 du TUE se limite à des déclarations d’intention tout en confirmant la compétence exclusive du Conseil et la soumission à l’OTAN, les moyens restant nationaux. Dans la pratique, la présidente de la Commission a initié le grand projet « Rearm Europe » qui prévoit 800 milliards d’euros de dépenses militaires. Bien plus, selon Eurativ, « La Commission européenne exige aujourd’hui un suivi annuel des achats d’armes par les États membres afin de dresser un bilan global du réarmement de l’Union, selon un document envoyé aux capitales européennes et consulté par Euractiv ». De telles prérogatives n’existent nulle part dans les traités.
Ursula von der Leyen a même fait une déclaration pour l’envoi de troupes terrestres en Ukraine, contestée par le ministre allemand de la Défense qui a souligné qu’elle agissait en dehors de ses prérogatives.
Si les traités prévoient la désignation au sein de la Commission un « haut représentant pour la politique étrangère », cette politique reste dans la main du Conseil européen (article 15 TUE). La présidente de la Commission ne dispose d’aucune attribution en politique étrangère, ce qui ne l’a pas empêchée de programmer de nombreuses visites de « chef d’État » dans l’UE (en Bulgarie) et hors UE : en Ukraine, en Israël, en Chine, et de même s’ingérer dans les processus électoraux de pays de l’UE (la Roumanie) ou en dehors de celle-ci (la Moldavie)…
Enfin, l’accord conclu par Ursula von der Leyen avec Donald Trump en juillet 2025 doit être rappelé. Cet accord léonin, totalement déséquilibré, correspond à une soumission totale de l’UE aux USA. Malgré les communiqués triomphalistes, on peut se poser des questions sur la légitimité de la signature de la présidente de la Commission, même si la négociation des accords commerciaux reste une compétence exclusive de l’UE. Avait-elle mandat du Conseil pour accorder autant d’avantages aux USA sans aucune contrepartie ?
Cette capitulation économique, conjuguée à une attitude résolument va-t’en guerre, n’est-elle pas en contradiction flagrante avec les dispositions de l’article 3 du TUE qui vise à promouvoir la paix, les intérêts de l’UE ?
On pourrait aussi évoquer le MERCOSUR qui est l’illustration parfaite des intérêts divergents des États membres et donc, au-delà du problème de la présidente de la Commission, l’intérêt et la viabilité de la « construction européenne ».
Ursula von der Leyen se présente donc comme une véritable impératrice de l’Europe, sans rencontrer de véritable opposition, même si elle va bientôt devoir faire face à une seconde tentative de motion de censure au Parlement européen. Les « partis de gouvernement » lui ont permis d’échapper à la première, qu’en sera-t-il cette fois ?
1) Les compétences exclusives de l’UE sont décrites dans l’article 3 TUE, ils concernent : l’union douanière, les règles de concurrence nécessaires au fonctionnement du marché intérieur, la politique monétaire de la zone euro, la politique commune de la pêche, la politique commerciale commune, la conclusion d’un accord international dans certaines conditions
L’article 4 décrit les compétences partagées, tout en rappelant le « principe de subsidiarité », qui signifie que l’échelon UE ne prend en compte que ce que l’échelon national ne peut totalement régler. Ce domaine partagé très vaguement défini fait l’objet d’un grignotage permanent au profit de l’UE qui agit non pas comme une structure fédérale mais impériale, en cherchant à imposer partout des règles identiques et uniformes. On citera dans ces compétences partagées : le marché intérieur, la politique sociale pour les aspects définis dans le traité, la cohésion économique, sociale et territoriale, l’agriculture et la pêche, l’environnement, la protection des consommateurs, les transports et réseaux européens, l’énergie, l’espace de liberté, de sécurité et de justice, les enjeux communs de sécurité en matière de santé publique.
De plus, l’article 5 du TUE prévoit que les États membres « coordonnent leurs politiques économiques au sein de l’Union », à cette fin la Commission prépare les « grandes orientations de ces politiques ». Cette compétence partagée revient en réalité à une compétence exclusive car les États membres sont en pratique tenus d’appliquer les « grandes orientations des politiques économiques (GOPÉ). Cela se traduit en France par des réformes imposées de force comme la réforme des retraites, par exemple.
Enfin, selon l’article 6, l’Union « dispose d’une compétence pour mener des actions pour appuyer, coordonner ou compléter l’action des États membres » dans certains domaines (protection et amélioration de la santé humaine ; industrie ; culture ; tourisme ; éducation, formation professionnelle, jeunesse et sport ; protection civile ; coopération administrative).