« Remettre du plomb dans la toiture, c’est sciemment continuer à polluer »


7 décembre 2024 à 09h47

Mis à jour le 7 décembre 2024 à 16h33

Durée de lecture : 5 minutes

Après plus de cinq ans de travaux de reconstruction, à la suite de l’incendie du 15 avril 2019, la cathédrale Notre-Dame de Paris doit rouvrir ses portes le samedi 7 décembre. Les polémiques autour de sa reconstruction ne s’arrêtent pas. Notamment celle de la contamination des alentours par le plomb utilisé pour recouvrir le toit et la flèche de la cathédrale.

L’Association des familles victimes du saturnisme (AFVS), la CGT Paris et l’association Henri Pézerat continuent de dénoncer de « graves conséquences sanitaires ». « Le plomb est neurotoxique, cancérogène et néfaste pour la reproduction », explique Annie Thébaud-Mony, présidente de cette dernière association.

Reporterre — Vous estimez que la réouverture de Notre-Dame est « une fuite en avant délibérée d’une contamination continue au plomb ». En quoi la cathédrale pollue même après l’incendie ?

Annie Thébaud-Mony — D’une part, la pollution issue de l’incendie n’a absolument pas disparu. Il y a eu une décontamination de l’intérieur de la cathédrale, tardive, mais il est quasiment impossible de tout enlever. Les abords de Notre-Dame, eux, sont encore pollués. Il y a eu un peu de décontamination sur le parvis, mais, là aussi, ils n’ont pas réussi à tout enlever. Et dans les abords qui n’ont pas été décontaminés, la poussière de plomb s’envole en permanence : c’est une source de contamination non négligeable qui va se poursuivre. D’autre part, la toiture et la flèche ont été rénovées avec du plomb.

En quoi est-ce problématique ?

Il s’agit de feuilles de plomb posées les unes sur les autres, du plomb laminé. Cela relargue régulièrement des poussières. Le Haut Conseil de la santé publique a évalué que 21 kilos de plomb par an seront relargués dans les eaux de ruissellement à partir de la toiture et la flèche de Notre-Dame. Avoir remis du plomb sur la toiture et la flèche, c’est sciemment continuer à polluer.

« Le plomb est neurotoxique, cancérogène et néfaste pour la reproduction »

Le plus préoccupant est que cela banalise le recours au plomb comme matériau de couverture dans les monuments historiques, alors que l’on sait que c’est une source de contamination, et qu’il n’y a pas de seuil de toxicité. Nous avons le sentiment de n’avoir été écoutés sur rien par les autorités. On demandait un confinement du chantier, pour éviter que les poussières se répandent. Cela demandait certainement un gros délai par rapport au planning fixé ; Emmanuel Macron avait dit qu’il fallait reconstruire en cinq ans.

Jusqu’où va cette contamination autour de la cathédrale ?

Le plomb s’est répandu avec le nuage de fumée au gré des vents. Les autorités n’ont pas du tout cherché à cartographier précisément la présence du plomb aux alentours.

Ce que l’on sait, c’est que la station Saint-Michel a été plusieurs fois nettoyée et fermée juste après l’incendie. Après, ils ont arrêté de mesurer. On ne sait donc pas exactement quelle est la situation aujourd’hui. On sait aussi que les abords immédiats, la rue du Cloître-Notre-Dame et probablement une grande partie de l’île de la Cité, surtout côté ouest, ont été impactés. Mais cette pollution ne s’arrête pas aux abords immédiats de Notre-Dame.

Quels sont les risques pour les touristes, les personnes qui travaillent et vivent autour de la cathédrale ?

Si vous passez une heure devant Notre-Dame, vous allez peut-être en respirer un peu et être au contact. Mais c’est surtout préoccupant pour toutes les personnes qui résident ou travaillent là, les restaurants, les cafés, magasins, bouquinistes, nettoyeurs, exposés toute la journée. Avec la CGT, on a tenté de les informer ; personne ne leur avait donné les moyens de se protéger.

Il y a aussi les écoles. Une enquête de Mediapart a montré la défaillance du suivi des enfants [chez l’enfant, l’intoxication au plomb, dite saturnisme, peut avoir des effets neurologiques et mener à des retards de développement].

Il n’y a pas de seuil en dessous duquel le plomb n’est pas toxique pour les reins et le système cardiovasculaire. Il est neurotoxique, cancérogène et néfaste pour la reproduction. Chez une femme enceinte contaminée, le plomb peut passer dans le sang et atteindre l’enfant à naître.

Philippe Jost, président de l’établissement public chargé de la conservation et de la restauration de Notre-Dame de Paris, déclarait au Figaro il y a un an qu’ils « innover[aient] en installant un système de recueil et de filtration des eaux de pluie qui [ruisselleraient] sur la toiture de la cathédrale ». Qu’en pensez-vous ?

Toutes les poussières de plomb n’iront pas dans les gouttières. Un coup de vent, et ça redescend sur le trottoir. Cette toiture est énorme, il est impossible d’éviter tout envol de poussière.

Malgré les alertes sur le plomb, pourquoi la toiture a-t-elle quand même était refaite dans ce matériau ?

C’est une mauvaise interprétation de la charte de Venise sur la reconstruction des monuments historiques. Il n’y est pas du tout écrit qu’il faut faire une reconstruction « à l’identique », comme a insisté Emmanuel Macron. Son article 10 dit même que s’il y a des matériaux inadéquats, il est possible d’utiliser d’autres techniques. Sans compter que la flèche et l’utilisation du plomb datent du XIXe siècle et de la restauration de la cathédrale par Viollet-le-Duc. À Chartres, Nantes, Reims, des rénovations ont été faites dans le respect de l’esthétique, avec des matériaux moins dangereux.

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