Le mouvement écologiste continue à affronter des vents contraires. Et ce mois de décembre pourrait être un moment charnière. De nombreuses associations engagées en faveur du climat et de la biodiversité sont actuellement confrontées à une baisse de financement brutale qui précarise leur activité. À la clé : de possibles licenciements, des missions abandonnées. Une cure d’austérité qui ne dit pas son nom.
L’inquiétude grandit au sein du petit monde des chargés de collecte. « On a peu de lisibilité sur ce qui nous arrive », dit Charlotte Béal de Zero Waste France alors que le montant de ses dons a baissé de 9 % cette année. « La situation est très préoccupante », ajoute, pudiquement, Anne Bringault, la directrice du Réseau Action Climat.
À l’instabilité politique qui gèle nombre de subventions publiques s’ajoute aussi la crise économique et l’inflation qui grèvent les dons des particuliers. Dans ce contexte morose, l’écologie semble être la dernière roue du carrosse. Alors même qu’elle est marginalisée dans le débat public et prise à partie par les forces réactionnaires.
« On a déjà acté qu’on allait finir l’année en déficit »
Le 12 novembre dernier, Greenpeace s’est fendu d’un courriel, comme un cri d’alarme, à l’ensemble de ses donatrices et donateurs. « Nous faisons face à une baisse du nombre de nos soutiens et nos ressources collectées ne sont plus à la hauteur de nos besoins », écrit l’ONG. Quelques jours plus tard, c’était au tour des Amis de la Terre. « Les financements publics étant réduits à peau de chagrin, notre budget est actuellement déséquilibré, et cela menace la pérennité de nos activités », prévenaient-ils.
Chez Greenpeace, cette année, 20 000 donateurs n’ont pas renouvelé leur don, soit une hausse de 10 % par rapport à 2023. La grande majorité pour des raisons économiques.« Depuis deux ans, l’érosion du pouvoir de don de nos adhérents est palpable », concède Marie-Ève Lhuillier, directrice de la collecte de fonds au sein de l’ONG. Régulièrement, Greenpeace demande à ses donateurs s’ils peuvent augmenter leur don. Leur réponse est de plus en plus négative. « Les donateurs font des arbitrages, le don est pris sur le reste à vivre. Les gens priorisent les factures et l’écologie peut paraître moins urgente que des causes de premières nécessités, humanitaires ou sociales. »
Plus d’actions, moins d’argent
Chez Les Amis de la Terre, on se fait également du souci. « Nous avons besoin de 170 000 euros d’ici la fin du mois pour boucler notre budget et pour qu’il reste à la hauteur de celui de l’année dernière, détaille Hugo Emo. On a déjà acté qu’on allait finir l’année en déficit, autour de 10 000 euros, ce n’est pas catastrophique mais ce n’est jamais bon. Indéniablement, c’est une source de stress. »
L’association est prise en étau. « Nous avons dû intensifier nos activités pour faire face à l’urgence climatique, c’était indispensable. Mais, en parallèle, nous n’avons pas trouvé assez de ressources financières, même si, depuis 2016, notre budget a doublé. Ce n’est pas suffisant. Nous allons devoir chercher d’autres sources de financement l’année prochaine car l’activité, elle, ne va pas diminuer », explique le chargé de collecte.
Au sein du réseau Sortir du nucléaire, les nouvelles ne sont pas non plus réjouissantes. « On a accusé 50 000 euros de déficit en 2023 et la dynamique s’accentue, raconte Joël Domenjoud, administrateur du réseau. On va aujourd’hui vers les 80 000 euros, c’est encore difficile à évaluer, tout dépend de la campagne de don de décembre. »
Une « dégringolade collective »
« On a mis en place un budget participatif, une forme d’autogouvernance avec les salariés pour gérer cette situation avec de l’intelligence collective, voir les priorités à faire et là où on pourrait rogner les budgets. Mais clairement, au sein du milieu écolo, on assiste à une dégringolade collective qui nécessite un sursaut », juge Joël Domenjoud.
La collecte auprès des particuliers n’est pas le seul problème. Les associations qui misent sur les fondations et le mécénat d’entreprises sont aussi difficulté. « Nous allons probablement faire un déficit pour la deuxième année consécutive, ce qui ne nous était pas arrivé depuis vingt ans », annonce Hélène Gassin, la présidente de l’association Négawatt.
L’organisation se finance par des subventions, principalement de l’Ademe (l’agence de la transition écologique), les adhésions et les dons de particuliers et le mécénat et les partenariats d’entreprises. Ce sont ces deux dernières sources qui se sont taries. En 2023, le mécénat d’entreprise, principalement du secteur des énergies renouvelables, était déjà en baisse de 21 % par rapport à l’année précédente. « Il y a un sujet de contexte économique général, observe Hélène Gassin. Quand on contacte les entreprises en juin-juillet, la plupart nous répondent qu’elles ne peuvent rien nous dire avant la fin du troisième trimestre, car elles-mêmes ne savent pas comment elles vont atterrir. »
Même topo du côté des fondations. « Comme de nombreuses associations françaises du secteur de l’énergie et du climat, nous sommes beaucoup financés par l’European Climate Foundation. Laquelle a subi des restrictions budgétaires dont nous sommes les victimes collatérales », poursuit la présidente.
En conséquence, l’équipe a dû se serrer la ceinture : « Des projets relatifs à la communication, au site internet… ont été reportés ou annulés. Nous avons renoncé à une embauche en communication. » Ces mesures ont été jusqu’au licenciement économique d’un salarié spécialisé en plaidoyer. « C’était notre dernière cartouche. Nous n’avions plus le choix », insiste la présidente.
Des baisses de financements des Régions
Du côté des associations qui reposent sur des subventions publiques, ce n’est guère mieux. Le Réseau Action Climat est actuellement suspendu à l’attente d’une subvention de l’Ademe qui risque de voir son budget amoindri, à cause du contexte global d’austérité. Ces dernières semaines, France Nature Environnement n’a cessé de recevoir des mauvaises nouvelles : la région Nouvelle-Aquitaine a décidé de diminuer ses subventions auprès des associations — et donc de FNE — de 50 %, la région Nord de 30 %.
« Beaucoup d’acteurs publics ne nous donnent que 60 ou 70 % de l’enveloppe de la subvention attendue et nous disent que l’on verra pour la suite l’année prochaine. On est incapable de dire aujourd’hui si on boucle notre budget. On est dans un flou colossal », témoigne le président de FNE Antoine Gatet. Quand il a tenté d’interpeller Agnès Pannier-Runacher, l’ex-ministre de la Transition écologique lui a sèchement répondu, « chacun ses problèmes ».
« On est entré en mode survie »
« C’est la triple peine pour les associations : la baisse du budget de l’État se répercute sur les Dreal [Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement] et sur les collectivités territoriales, puis sur nous, constate-t-il. On est entré en mode survie. »
Au sein des Amis de la Terre, la situation est similaire. « En 2016, 35 % de notre budget reposait sur des subventions publiques, soit 280 000 euros. En 2023, elles ne représentaient plus que 5 % de notre budget. Soit 80 000 euros. Et en 2024, les subventions publiques correspondent à seulement 70 000 euros, cela n’arrête pas de baisser », constate Hugo Emo.
Une crise politique autant que budgétaire
Vu la teneur des récents débats parlementaires, l’avenir paraît sombre. Au cours de l’examen du projet de loi de finances pour 2025 — avant la chute du gouvernement de Michel Barnier — le RN et la droite ont mené une offensive majeure contre le milieu écolo en proposant de « suspendre les réductions d’impôts dont peuvent bénéficier les donateurs de ces associations », jugées « extrémistes ». Si ces amendements étaient maintenus dans une nouvelle mouture du texte, ce serait un coup fatal pour les organisations militantes.
Car, la crise est, au fond, politique. « Nous sommes pris dans une grosse vague réactionnaire qui dépasse la simple instabilité institutionnelle française. Et depuis le discours de Belfort d’Emmanuel Macron en 2022, on assiste à une espèce de revival des années 1970 avec un retour au tout-nucléaire », s’inquiète Hélène Gassin de Négawatt.
« Les difficultés financières que nous traversons sont indissociables de la question stratégique, estime Nicolas Haeringer de 350.org. Face à la multiplication des effets du réchauffement climatique et à la montée de l’extrême droite, le mouvement écolo erre. On ne sait pas quoi faire dans ce marasme. On ne trouve pas la manière d’embrayer et d’opérer la bascule. Le climatoscepticisme regagne du terrain. C’est un substrat qui nous enlève de la force et les gens s’interrogent. Pourquoi nous donneraient-ils du pognon si on perd ? »
« Pourquoi nous donneraient-ils du pognon si on perd ? »
Un cercle vicieux se dessine, que retrace très bien Jan, militant à Action Justice Climat. « Vu le contexte ultrarépressif, il est de plus en plus difficile d’organiser des mobilisations. On perd peu à peu en visibilité et on obtient logiquement moins de dons, ce qui nous fragilise ensuite pour mener des campagnes d’action. La boucle est bouclée. »
Changer de stratégie
« Il faut impérativement sortir de ce moment de déprime militante », argue Joël Domenjoud. Plusieurs pistes stratégiques s’esquissent, au gré des discussions collectives, pour reconquérir les esprits et retrouver de la marge de manœuvre. Face à l’adversité, le mouvement écolo devrait se positionner plus clairement en contre-pouvoir et assumer la conflictualité avec les autorités, plaident de nombreux militants. Tout en renforçant la solidarité en son sein, pour ne plus être en concurrence les uns avec les autres.
« On arrive au bout d’une certaine logique, estime Joël Domenjoud. Il faut changer de méthode. Vu que tout le monde a des difficultés financières, chacun veut tirer la couverture à soi, c’est contre-productif, il faudrait imaginer plus de mutualisme dans nos luttes, et arrêter de démarcher les gens comme si on essayait de leur vendre un nouvel isolant pour leur toiture. »
Au cours de ce mois décisif de décembre, certaines initiatives donnent de l’espoir. La dernière campagne de France Nature Environnement centrée sur « les justicier.e.s de la Terre » fonctionne bien. « On a arraché plusieurs victoires juridiques ces dernières semaines contre la mine d’or en Guyane ou la pêche dans le golfe de Gascogne, raconte Antoine Gatet, et on attend des décisions de justices importantes contre la mégabassine de Sainte-Soline ou l’A69. On voit que cela paie. Les gens nous soutiennent et nous attendent sur ce terrain. Le réseau juridique est notre bras armé pour défendre l’État de droit. »
Le grand retour des luttes locales — dont Reporterre vous contait les succès lors de sa dernière rencontre — est aussi inspirant. Loin de la déprime ambiante, ces luttes de territoire ont su être conquérantes. En dix ans, elles ont mis à terre plus de 164 projets nuisibles pour l’environnement. Avec des budgets ridicules — 4 000 euros en moyenne par an — elles ont su terrasser des projets d’infrastructures 10 000 fois plus coûteux et sauver du béton des dizaines de milliers d’hectares. Et elles peuvent désormais compter en partie sur l’association Terres de luttes, qui a lancé un fonds de dotation tout spécialement pour les financer.
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