l’envers toxique d’un poisson industriel


Bombes de carbone, impacts sanitaires douteux, monopole commercial, souffrance animale et insécurité alimentaire… l’élevage industriel de saumons est dévastateur. L’ONG Seastemik a dressé une carte mondiale des « bombes roses », ces futurs projets d’élevage intensif de saumons en cages terrestres, émettant à eux seuls jusqu’à 16,9 millions de tonnes de CO2 par an. De quoi largement revoir le contenu de notre assiette.

Les chiffres donnent le vertige : chaque minute, l’industrie salmonicole capture 486 420 poissons sauvages pour nourrir les saumons d’élevage, émet 30 tonnes de CO2 et abat 1080 saumons. En mai 2024, en collaboration avec Data for Good et Les Décodeurs du journal le Monde, l’ONG Seastemik a publié le rapport Saumons : la bombe rose d’un système alimentaire à bout de souffle et alerte sur :

« un modèle d’élevage intensif qui détourne de la nourriture des communautés d’Afrique de l’Ouest, dégrade les écosystèmes marins et terrestres, menace la santé publique et contribue à la souffrance de millions d’animaux »

Saumon, la star des assiettes

Quasi inexistante il y a 30 ans, la consommation de saumon a bondi ces dernières années, atteignant les trois millions de tonnes en 2021, « soit l’équivalent de l’élevage et de l’abattage de 600 millions de saumons », estime l’organisation. Une production actuelle 115 fois supérieure à la plus grande quantité de saumons jamais pêchée en une année.

En tête des consommateurs, on retrouve les États-Unis (948 kilotonnes en 2021), suivi de loin de la Russie (537 kilotonnes) et du Japon (480 kilotonnes). Sur le podium européen, la France s’inscrit en tête du classement avec 270 kilotonnes de saumon consommé sur la même année, soit en moyenne 4,2 kilos de saumon par habitant. Bien plus bas, le Brésil (115 kilotonnes) ou encore le Canada (108 kilotonnes) affichent une consommation bien plus raisonnable.

Un marché contrôlé par quelques géants : le monopole des multinationales du saumon

Face à cette hausse de popularité auprès des consommateurs, les producteurs de saumon ont également vu leurs activités s’envoler et les petites fermes salmonicoles artisanales ont cédé la place à l’aquaculture industrielle.

Aujourd’hui, quatre pays concentrent à eux seuls 96 % de la production mondiale de saumons : la Norvège, le Chili, le Canada et l’Écosse. L’ONG Seastemik explique :

« En quelques décennies, le marché est devenu dominé par une poignée de multinationales. Mowi, anciennement Marine Harvest, est leader du secteur. L’entreprise est présente dans 25 pays »

Crédits : Rapport « Saumons : la bombe rose d’un système alimentaire à bout de souffle » – Mai 2024 / Seastemik

Derrière ces chiffres affolant, une accablante réalité se dessine : l’industrialisation et d’intensification des élevages de saumon ces dernières décennies sont une menace croissante pour les consommateurs, les écosystèmes marins et les populations côtières d’Afrique de l’Ouest. Pour comprendre cela, il faut défaire le fil de la chaine de production du saumon.

Animaux carnivores, les saumons doivent impérativement être nourris d’organismes vivants riches en protéines, comme les petits poissons dit « de fourrage » transformés en farine et en huile, ou encore le soja. « Pour nourrir et élever un seul saumon d’élevage, il faut ainsi pêcher jusqu’à 440 poissons sauvages », estime l’ONG, alors que 90 % des poissons capturés à travers la pêche minotière pourraient être consommés directement par les êtres humains. À mesure que les mers se vident, les populations dépendantes des ressources marines se voient privées de leurs moyens de subsistance.

Une question de sécurité alimentaire pour des millions de personnes

« Ce type de surpêche a eu de nombreux impacts sociaux négatifs, comme en Mauritanie et en Gambie, où la quantité de poissons sauvages a été réduite », détaille le rapport.

« La Norvège pêche ou importe chaque année 2 millions de tonnes de poissons sauvages, dont 123 000 à 144 000 tonnes depuis les eaux d’Afrique de l’Ouest. Ce volume permettrait de satisfaire les besoins nutritionnels annuels de 2,5 à 4 millions de personnes dans la région, soit plus que la population de la Gambie (2,7 millions) et près de la population totale de la Mauritanie (4,7 millions) ».

Au delà des enjeux de sécurité alimentaire que pose l’élevage de poissons carnivores, les scientifiques craignent de nombreux effets sur l’environnement marin. À titre d’exemple, plus de 4 millions de saumons se sont échappés des élevages des 11 plus grands producteurs entre 2018 et 2022. Ces évasions posent de sérieux problèmes écologiques, notamment :

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« par la compétition qu’ils induisent sur les ressources avec les populations sauvages, par l’introduction de maladies et de parasites, et par le risque d’hybrider avec les saumons sauvages, menaçant leur résilience génétique »

Antibiotiques et microplastiques : et si le saumon mettait notre santé en danger ?

Pour la santé humaine, la consommation de saumon peut se révéler bien plus néfaste que ne le fait croire le lobbying du secteur, entre promesse d’une protéine moins polluante et apport en oméga 3. « Si la Norvège prétend que 99% de son aquaculture est exempte d’antibiotiques, d’autres pays ne sont pas aussi vertueux », regrette ainsi Seastemik. « Au Chili, l’utilisation d’antibiotiques des 17 principaux producteurs a augmenté d’un tiers depuis la crise du covid pour atteindre plus de 460 tonnes en 2021 ».

Les microplastiques s’insinuent également dans notre assiette et sont « particulièrement présents dans le saumon », en raison de la bioaccumulation dans la chaîne alimentaire et de l’affinité des plastiques pour les graisses.

Crédits : Rapport « Saumons : la bombe rose d’un système alimentaire à bout de souffle » – Mai 2024 / Seastemik

L’ONG insiste en outre sur la souffrance animale, mettant en avant des taux de mortalité considérables dans les élevages (+20% certaines années), une propagation rapide des maladies infectieuses, un stress important lié à la densité d’occupation et de nombreuses blessures provoquées par le traitement des parasites sur les poissons.

Finalement, l’élevage de saumon se montre très gourmand en énergies fossiles, émettant en 2021 environ 16 millions de tonnes de C02 équivalent, « soit près de l’ensemble des émissions de CO2 d’un pays comme la Croatie ». Près de 90% de ces émissions sont en réalité émises en amont et en aval de la phase de production, l’organisation dénonçant particulièrement le poids de l’alimentation des poissons et de leur transport aux quatre coins du globe.

Élevage de saumon sur terre : des fermes ultra-polluantes en plein essor

Au-delà de ces impacts actuels dévastateurs, l’association de protection des océans s’inquiète du futur du secteur. Au vu des mannes économiques que représente l’élevage de saumon, de nombreux acteurs s’intéressent à de nouveaux modes de production permettant à des climats peu propices à l’élevage de saumon – qui vivent naturellement en eaux froides – de s’immiscer sur le marché.

Plusieurs projets de fermes-usines à terre voient ainsi le jour, dont 3 sur le territoire français, mais aussi en Arabie Saoudite ou en Chine. Les entreprises comptent sur la technologie RAS (Recycled Aquaculture Systems) pour leur permettre d’élever des saumons sur l’ensemble de leur cycle de vie dans des bassins fermés construits à terre.

Chaque minute, l’industrie salmonicole capture 486 420 poissons sauvages pour nourrir les saumons d’élevage, émet 30 tonnes de CO2 et abat 1080 saumons.

Dans son rapport, l’ONG dénonce des systèmes « ultra-énergivores » (représentant jusqu’à 100 GWh/an pour une ferme-usine produisant 10 000 tonnes par an, soit l’équivalent de la consommation d’environ 43 000 français) et une forte empreinte carbone (entre 2 et 14 kg CO2 par kg de saumon produit).

Grâce à un travail collaboratif de collecte et d’analyse de données publiques, PinkBombs.org dresse une carte des projets d’élevage intensif de saumons en cages terrestres. Selon leurs estimations, ces « bombes roses » pourraient faire croître la production mondiale de saumons de plus de 91 %, une évolution contraire aux objectifs de neutralité climatique et de réduction des émissions des Accords de Paris.

L’ONG appelle les entreprises du secteur à s’engager pour végétaliser les assiettes en développant une aquaculture de faible niveau trophique, comme les algues et les coquillages. Individuellement, nous pouvons faire le choix de réduire, voire d’exclure le saumon de nos assiettes « afin d’accélérer collectivement la révolution vers un système alimentaire qui répond aux impératifs de santé, de durabilité et de justice sociale », conclut Seastemik.

Aure Gemiot


Photo de The Oregon State University Collections and Archives sur Unsplash

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