6 décembre 2024 à 09h30
Mis à jour le 7 décembre 2024 à 09h48
Durée de lecture : 4 minutes
Il pourrait s’agir de « l’affaire la plus importante de l’histoire de l’humanité ». Le représentant du Vanuatu, Ralph Regenvanu, n’a pas mâché ses mots, lundi 2 décembre, devant la Cour internationale de justice (CIJ) à La Haye (Pays-Bas). Et pour cause : jusqu’au 13 décembre, les quinze juges internationaux vont entendre une centaine d’États sur leurs obligations en matière de changement climatique.
Plus précisément, la Cour devra rendre un avis sur deux questions essentielles : quelles sont les obligations climatiques des pays au regard du droit international ? Et quelles sont les conséquences juridiques pour les États en cas de manquement ? « Il existe aujourd’hui des traités, comme l’Accord de Paris, mais qui sont clairement insuffisants pour lutter contre le changement climatique et ses effets, précise Charlotte Ruzzica de La Chaussée, avocate pour la Commission des petits États insulaires (Cosis) présente à la Haye. L’idée, c’est de clarifier les responsabilités et les potentielles sanctions. »
Pour bien comprendre ce qui se joue aux Pays-Bas, il faut se pencher sur la situation — quasi-désespérée — des îles du Pacifique. Tandis que ces petits États voient la mer monter inexorablement, les COP se sont enchaînées, sans parvenir à poser de limite stricte aux émissions polluantes ni à décider d’aides substantielles pour les peuples les plus vulnérables.
Déçus par la lenteur des processus diplomatiques, le Vanuatu et ses alliés ont décidé de se tourner vers l’organe suprême de la justice mondiale : la Cour internationale de justice, seule institution à même de juger des différends entre États. Ils espèrent ainsi contraindre tous les pays à accélérer la réduction de leurs émissions par crainte de recours juridiques.
Épauler la lutte dans les tribunaux
Attention cependant, la Cour ne va pas désigner de coupables ni fixer le montant des préjudices. « L’enjeu ne sera pas de faire reconnaître que les États ont des obligations climatiques, mais plutôt à partir de quel texte, et avec quelles conséquences », soulignait Arnaud Gossement auprès des Échos. En clair, aujourd’hui, seuls trois pavés onusiens parlent explicitement de lutte contre le changement climatique : la Convention-cadre des Nations unies sur le changement climatique (Ccnucc), le Protocole de Kyoto et l’Accord de Paris. Des traités peu contraignants juridiquement.
Or d’autres textes pourraient également être invoqués — notamment devant les tribunaux — comme le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ou la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Si les juges proposaient in fine cette interprétation plus large, « ça pourrait nourrir le contentieux et la réponse des tribunaux mondiaux », indique Charlotte Ruzzica de La Chaussée. Dit autrement, l’objectif est de donner plus de grains à moudre aux juges du monde entier pour statuer sur les désaccords climatiques.
Par exemple, illustraient deux chercheurs australiens dans The Conversation, « si l’avis de la Cour établit un lien clair entre les exportateurs de combustibles fossiles et les dommages causés au climat, il pourrait y avoir de graves conséquences pour [les pays concernés comme] l’Australie, indiquaient-ils. Cela pourrait, par exemple, ouvrir la voie à des actions en justice visant à obtenir des compensations pour les dommages causés au climat. »
La France guère intéressée
On n’en est pas encore là, mais la procédure fait clairement réagir. Signe de l’importance du sujet, une centaine d’États sont attendus à la Haye pour y être entendus. Sans surprise, les plus pollueurs ont tenté de se dédouaner. Ainsi, le représentant de l’Australie « a suggéré que la responsabilité des dommages causés par le changement climatique ne pouvait pas être imputée à des États individuels », selon les chercheurs.
Quant à la France, auditionnée jeudi 5 décembre, « elle s’est focalisée sur la défense de l’Accord de Paris, nous indique une observatrice qui souhaite rester anonyme. Elle a insisté sur le caractère consensuel de l’accord, qui prône la solidarité, et sur le fait que chaque État dispose de sa souveraineté et de sa marge d’appréciation pour prendre les mesures climatiques adéquates. » Circulez, il n’y a rien à voir.
Les audiences vont se poursuivre encore une semaine. Les juges prendront ensuite plusieurs mois pour produire leur avis, consultatif. Même si les espoirs sont grands, pour l’heure, rien n’est donc joué. Les observateurs se montrent d’ailleurs très prudents, la Cour internationale de justice étant réputée conservatrice. Quoiqu’il en soit, pour Arnaud Gossement, « l’avis est très attendu car sa portée médiatique et politique potentielle lui donnera une importance capitale dans tous les procès climatiques à venir ».
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