Au cœur de Toulouse, une vieille chapelle accueille et fédère des dynamiques associatives et militantes. Occupé depuis 1993, cet espace autogéré d’expérimentation sociale, politique et culturelle est en voie d’être acheté collectivement par ses usagers et usagères dans l’objectif de le soustraire définitivement à la spéculation immobilière et pérenniser ainsi un espace au service de la solidarité. Immersion.
L’histoire de la Chapelle commence en 1993 quand le collectif anti-nucléaire Planète en Danger l’occupe à l’issue d’une action de rue. Le bâtiment, qui appartient à l’Evêché, est alors à l’abandon. Les membres de l’association entreprennent un grand nettoyage et en font un laboratoire où préparer des actions pour dénoncer la mise en route des réacteurs de la centrale nucléaire de Golfech ou la reprise des essais nucléaires dans le pacifique en 1995 par l’État français. Cette première occupation fut le point de départ d’une longue histoire militante.
Du squat au bail emphytéotique : 30 ans de luttes et de négociations.
L’association diocésaine, propriétaire de La Chapelle, ne l’entretient plus mais, pour elle, ces nouveaux occupants sont malvenus, car elle cherche à vendre ce bel espace situé au cœur de la ville. Pendant des années, l’association devenue l’Atelier Idéal s’opposera à divers projets de vente à des privés.
En 2009, l’Archevêché parvient à vendre la Chapelle à un tiers, mais la Mairie de Toulouse décide de faire préemption afin de préserver « l’expérience associative qui est menée sur le lieu ». Pour autant, aucune modalité de contractualisation n’est signée et la Chapelle reste un lieu occupé.
En 2018, pour éviter de subir le même sort que de nombreux squats toulousains expulsés, l’association lance une campagne de soutien qui recueille plus de 5 000 signatures. Elle peut ainsi négocier avec la nouvelle équipe municipale un bail emphytéotique de 40 ans (qui lui confère les droits et les devoirs d’un propriétaire) et une promesse de vente conditionnée à la restauration et à la mise aux normes du bâtiment. Après 25 ans de squat la Chapelle perds ce statut, mais garde ses principes et son fonctionnement : l’autogestion.
La Chapelle, un lieu autonome comme outil collectif.
Depuis le début, l’association qui gère le lieu construit ses règles de fonctionnement pour faire de La Chapelle un outil au service d’autres associations, collectifs, de compagnies de théâtre en mettant à disposition son vaste espace, sa nef et son jardin. Les utilisateurs sont libres de s’approprier et de reconfigurer le lieu à condition de le restituer dans son état initial.
La Chapelle est aujourd’hui le centre névralgique du monde associatif et militant toulousain. Conférences-débats, spectacles, distributions de paniers d’AMAP, assemblées de lutte… L’association accueille tout ceci mais organise aussi elle-même des soirées conviviales hebdomadaires avec cantine autogérée, les lundis de la Relâche, ou, plus ponctuellement, des débats, des lectures-marathon, des festivals, cherchant toujours à lier artistique et politique pour rompre avec l’entre-soi militant.
À titre d’exemple, une lecture intégrale du roman Les Misérables de Victor Hugo rassemblera 200 lecteurs amateurs et professionnels sur 48 heures non-stop, tout en intégrant des interventions d’associations locales sur des problématiques telles que la prison, la précarité, les enfants à la rue… Ces grands évènements qui accueillent un large public et requièrent une importante logistique sont aussi l’occasion d’initier les nouveaux usagers à l’autogestion.
À la Chapelle, la sensibilisation aux causes sociales passe aussi par le livre. La Kiosk, une librairie autogérée y a élu domicile en 2018 et y a bâti son propre espace dans le jardin : une cabane de bois et de terre-paille pour accueillir des livres de maisons d’édition indépendantes. Outre une permanence bi-hebdomadaire, elle organise régulièrement des rencontres avec des auteur·trices ainsi qu’une fête du livre chaque début d’été.
Mais la Chapelle, ce n’est pas qu’un espace de sensibilisation aux questions politique, c’est aussi un espace d’organisation. Certains viennent y préparer des banderoles pour des rassemblements devant le conseil départementale afin de dénoncer la situation des jeunes mineurs isolés, dont le statut et les sécurités qui vont avec, n’est pas reconnu par l’État. D’autres y organisent des crèches autogérées les jours de manifestation afin que les parents puissent grossir les rangs des cortèges.
Plus prosaïquement, une poignée d’associations toulousaines dépourvues de locaux bénéficie de l’espace pour entreposer équipements et stock de matériels. Il est également courant que des réseaux associatifs nationaux empruntent les murs pour y organiser leurs rencontres internes à visée d’auto-formation de leurs membres. Il en est de même des rencontres thématiques nationales comme les sixièmes rencontres nationales de L’Heureux Cyclage, le réseau des ateliers vélo participatifs et solidaires, en 2014 ou des rencontres nationales anticarcérales en 2023.
Une propriété pour tous et pour longtemps
Aujourd’hui, après des années de colossaux chantiers collectifs, les travaux de mise aux normes sont terminés : le toit est entièrement rénové, de nouvelles toilettes ont été construites et une majestueuse allée de pavés blancs fait maintenant office d’accès pour personnes à mobilité réduite. Cette mise aux normes conditionnait la promesse de vente de la mairie qui va maintenant pouvoir être acceptée. Les associations résidents sur le lieu ont donc lancé un financement participatif afin de récolter les 150 000 euros nécessaires.
La Chapelle est maintenant réouverte, chaque lundis des cantines y sont organisées et les demandes d’utilisation du lieu se bousculent. Lors des prochaines semaines se tiendrons des concerts pour récolter des fonds pour les personnes déplacées au Liban, des rencontres sur le thème de la santé et des moyens d’organisation collective au sein de l’hôpital et un festival d’écologie portée par des associations étudiantes. Le soir du 24 décembre, lors du traditionnel « Noël des enfants perdus », La Chapelle ouvrira ses portes à tous ceux et celles qui souhaitent se retrouver autour d’un repas chaud et d’un peu de musique.
Les membres de la Chapelle on fait le choix de la propriété d’usage en s’inspirant des réseaux de lieux autogérés qui ont adopté ce principe. L’association La Chapelle deviendra propriétaire du lieu. Elle aura pour membres ses associations résidentes, ainsi qu’une dernière association qui regroupera les membres de soutien du lieu et jouera un rôle de médiation et de contre-pouvoir en cas de dénaturation du projet initial ou de velléité de revente. En se projetant au-delà de leurs seuls collectifs, les membres de la Chapelle entendent préserver l’autonomie matérielle et politique des milieux associatifs et militants toulousains à très long terme.
Pour participer à la campagne de financement : lachapelletoulouse.com/financement
– Des ami·es de la Chapelle
Photo de couverture : © La Chapelle