À échelle industrielle, le chauffage au bois est anti-écolo


Le chauffage au bois n’est pas si vert qu’on le croit. 

Depuis la flambée des prix du gaz (+11,7% en juillet 2024 et +4,38% en janvier 2025) et de l’électricité ces dernières années avec une hausse de 137,17% entre 2007 et 2024, le chauffage au bois connaît un regain spectaculaire, vanté comme la solution miracle pour une transition énergétique « verte ». En France, plus de 7,5 millions de foyers en sont équipés selon l’ADEME, et la filière bois bénéficie d’un soutien public massif, avec diverses aides de l’État comme le fonds Air-bois, le coup de pouce chauffage ou la prime Rénov’.  

Mais derrière cette image rassurante se cache une réalité bien plus sombre, faite de déforestation, de pollution, de spéculation et d’exploitation industrielle des forêts primaires à l’autre bout du monde. Derrière la flamme, un désastre écologique et social souvent ignoré, qu’on pourrait presque qualifier de greenwashing. Enquête sur une filière qui, sous couvert d’écologie, détruit des écosystèmes.

Le mythe d’une énergie neutre en carbone

Depuis le Grenelle de l’environnement, le bois-énergie est présenté comme « neutre en carbone : le CO₂ émis lors de la combustion serait compensé par celui absorbé lors de la croissance des arbres. Ce principe, martelé par l’ADEME, la filière bois et la Commission européenne, a permis au bois d’être classé comme énergie renouvelable. Résultat : la France a fait du bois la première source d’énergie renouvelable du pays, représentant plus de 33 % de la production d’énergie renouvelable nationale.

Mais cette équation est trompeuse. Le collectif scientifique EASAC (European Academies Science Advisory Council) a démontré dès 2018 que brûler du bois libère instantanément le carbone stocké, alors que la replantation et la croissance d’un arbre prennent des décennies, voire des siècles.  L’EASAC insiste également sur la notion de carbon payback period  : le temps nécessaire pour que la repousse des arbres compense le CO₂ émis lors de la combustion. Ce délai est souvent bien plus long que ce que les politiques climatiques exigent pour respecter les objectifs de l’Accord de Paris. 

Pire, un article du Monde, L’énergie tirée des forêts polluerait plus que le charbon, estime que la combustion de biomasse forestière émet en réalité plus de CO₂ par unité d’énergie produite que le charbon ou le gaz, à cause de la faible densité énergétique du bois et de l’humidité résiduelle. Les conclusions d’un nouveau rapport de Greenpeace Canada, intitulé De la biomasse à la biomascarade, sont sans appel : la ruée vers l’or vert est néfaste autant pour les forêts que pour le climat.

Comme le rappelle Axel Richard, chargé de mission « bois domestique » pour le Syndicat des énergies renouvelables (SER), dans un article de Vert : 

À cela s’ajoute le « cycle de vie du chauffage au bois dans son ensemble, il ne faut pas oublier l’énergie utilisée pour fabriquer les appareils, transporter le bois, traiter et recycler les déchets »

Forêts primaires sacrifiées : l’envers du décor

Le chauffage au bois est tellement à la mode qu’il a un véritable impact sur les écosystèmes, que ce soit dans les forêts primaires d’Amérique du Nord, de Russie, d’Europe de l’Est ou d’Asie du Sud-Est. Et pour répondre à la demande européenne et asiatique, des millions de tonnes de granulés sont importées chaque année.

En France, près de 30 % des granulés consommés proviennent déjà de l’étranger selon Inter-pellet. Au Royaume-Uni, la centrale de Drax, l’une des plus grandes d’Europe, brûle chaque année plus de 7,5 millions de tonnes de pellets, importés en grande partie des États-Unis et du Canada, selon l’ONG Biofuelwatch.

Un rapport de l’ONG américaine Natural Resources Defense Council (NRDC) publié en 2023 dénonce la destruction massive des forêts anciennes du sud des États-Unis, abritant des écosystèmes uniques. Les images satellites montrent des coupes rases sur des milliers d’hectares, remplacées par des plantations industrielles pauvres en biodiversité. Même constat en Estonie et en Lettonie, où les forêts primaires sont livrées à l’industrie du granulé, comme l’a révélé une enquête du Guardian en 2022.

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Les forêts indonésiennes qui disparaissent

En Indonésie, la situation est dramatique. Selon un rapport d’Auriga et Earth Insight (2024), la production de biomasse pour l’exportation a multiplié la pression sur les forêts tropicales, déjà ravagées par l’huile de palme.  Des millions d’hectares de forêts riches en biodiversité sont convertis en plantations de bois-énergie, mettant en péril les populations locales et la faune endémique, comme les orangs-outans ou les tigres de Sumatra, augmentant ainsi leur risque d’extinction. Le rapport souligne que plus de la moitié des concessions destinées à la production de biomasse se trouvent dans des zones abritant ces espèces menacées.

À Bornéo, selon un article de Reporterre une communauté autochtone a dû quitter ses terres sacrées pour qu’une multinationale fabrique des granulés de bois, et exporte vers… la France. Heureusement, sur place, des associations de protection de la biodiversité résistent. C’est le cas de Kalaweit, qui ne baisse pas les bras face à l’acharnement des gouvernements et entreprises à détruire les écosystèmes naturels.

Pollution de l’air : un coût sanitaire massif et ignoré

Vendu avec une image d’Épinal, le chauffage au bois, loin d’être inoffensif, est l’une des principales sources de pollution de l’air en hiver dans les zones urbaines et rurales.

La combustion du bois domestique représente une source majeure d’émissions de particules fines (PM2,5 et PM10) en France. Selon les données du CITEPA (Centre Interprofessionnel Technique d’Études de la Pollution Atmosphérique), le secteur résidentiel est le premier émetteur des PM10 et PM2,5 en France (respectivement 34% et 53% en 2018), dont la quasi-totalité provient de la combustion des appareils de chauffage.

En Île-de-France, le chauffage au bois est responsable de 87 % des émissions de PM2,5 du secteur résidentiel, qui lui-même représente 54 % des émissions totales de PM2,5 dans la région, selon l’étude de DRIEAT IDFLes PM2,5, plus petites, pénètrent profondément dans les poumons et la circulation sanguine, augmentant les risques graves, tandis que les PM10 irritent surtout les voies respiratoires supérieures, provoquant maladies respiratoires, cardiovasculaires et cancers.

Des maladies chroniques

Selon une étude de Santé publique France en 2025, entre 12 000 et 78 000 nouveaux cas de maladies chroniques (respiratoires, cardiovasculaires, métaboliques) chez les adultes sont attribuables annuellement à l’exposition aux particules fines, dont une part provient du chauffage au bois. Les effets sont particulièrement graves chez les enfants, les personnes âgées et les personnes déjà malades chroniques.

Les pics de pollution aux particules fines observés lors des vagues de froid sont directement corrélés à l’utilisation massive des poêles et cheminées, souvent anciens et mal entretenus, à l’inverse des équipements modernes qui restent minoritaires. D’autant plus qu’en Île-de-France, environ 36 % des utilisateurs de chauffage au bois l’utilisent pour le confort, souvent avec des équipements anciens ou mal entretenus, émettant ainsi des quantités importantes de particules fines.

Greenwashing et impasse énergétique

Le principal argument des promoteurs du bois-énergie est la « neutralité carbone ». Mais, comme le rappelle le Natural Resources Defense Council (NRDC) dans une étude de 2021, cette neutralité est un leurre : « La combustion du bois libère immédiatement du carbone, mais la repousse des arbres prend des décennies pour réabsorber ce carbone, ce qui entraîne une augmentation des concentrations de CO₂ atmosphérique pendant des décennies, voire des siècles, aggravant ainsi le changement climatique à court terme. »

La politique européenne, qui classe la biomasse comme énergie renouvelable, encourage une fuite en avant : au lieu de réduire la consommation et d’investir dans l’isolation des logements et des millions de passoires énergétiques, on multiplie les chaufferies industrielles et on importe du bois à l’autre bout du monde. 

En 2022, dans le cadre du paquet climatique Fit for 55, la Commission européenne a confirmé et ajusté la directive RED II, qui reconnaît la combustion du bois comme une source d’énergie renouvelable permettant aux États membres d’atteindre leurs objectifs de transition énergétique. Toutefois, cette approche est vivement critiquée par de nombreuses ONG et experts qui dénoncent un greenwashing : malgré l’existence de critères de durabilité, ceux-ci sont jugés insuffisants pour prendre en compte les impacts réels de la biomasse sur la biodiversité et le climat. 

Les ONG, comme Greenpeace, dénoncent une « arnaque climatique » et appellent à exclure la biomasse forestière de la liste des énergies renouvelables. Sylvain Angerand, fondateur de Canopée, affirme :

« La biomasse forestière est présentée comme une solution verte, alors qu’elle détruit les forêts anciennes, libère d’importantes quantités de CO₂ et détourne les financements publics qui devraient être consacrés aux véritables solutions renouvelables »

Spéculation, précarité et dépendance

L’essor du chauffage au bois a aussi des conséquences sociales dans notre société déjà fracturée géographiquement. Sans parler du prix d’achat et de pose de poêles (souvent plusieurs milliers d’euros), la flambée des prix du granulé, passé de 300 à plus de 600 euros la tonne, met en difficulté des milliers de ménages qui avaient investi dans des équipements déjà coûteux. 

Les aides publiques, mal ciblées, ont favorisé la spéculation et l’industrialisation du secteur, au détriment des petits producteurs locaux. En Bretagne, en Auvergne ou dans le Jura, des filières artisanales peinent à survivre face à la concurrence des grands groupes et des importations. Cette dépendance à une ressource mondialisée fragilise la sécurité énergétique des territoires. En cas de crise géopolitique ou de mauvaise récolte, les prix s’envolent, et l’accès à l’énergie devient incertain. La promesse d’une énergie « locale et souveraine » s’effondre face à la réalité du marché globalisé.

Alternatives : sobriété, rénovation, circuits courts

Face à ce constat, il est urgent de repenser en profondeur notre rapport à l’énergie et à la forêt. Le chauffage au bois ne peut être considéré comme une solution écologique que s’il repose sur une gestion réellement durable, locale et limitée de la ressource. Il doit rester une option marginale, réservée aux circuits courts, et non devenir le pilier d’une politique énergétique à grande échelle.

La priorité doit aller à la rénovation thermique des bâtiments, à la réduction de la consommation et à la protection stricte des forêts primaires, en France comme à l’étranger.

La transition écologique ne peut se faire au prix de la biodiversité mondiale ni sur le dos des populations locales victimes de la déforestation. Des alternatives existent : isolation performante, pompes à chaleur alimentées par des énergies renouvelables, solaire thermique, réseaux de chaleur urbains ou mieux : 

 Ces solutions, combinées à une vraie politique de sobriété, permettraient de réduire la demande de bois-énergie et de préserver les forêts pour les générations futures.

–  Maureen Damman


Photo de couverture : Pexels.

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