9 décembre 2024 à 16h00
Mis à jour le 9 décembre 2024 à 17h45
Durée de lecture : 4 minutes
Cholet (Maine-et-Loire), reportage
L’odeur des légumes grillés a remplacé celle des pneus qui crament. En cette fin de matinée du vendredi 6 décembre, une dizaine de militants règle les derniers détails du repas du midi devant l’usine Michelin de Cholet, dans le sud du Maine-et-Loire.
Sur des palettes protégeant de la boue, une compotée de pommes finit de cuire et il faut mélanger le boulgour. « On est des cantiniers et des cantinières de différents endroits et on a décidé d’unir nos forces pour préparer à manger », résume Alice [*], 27 ans, membre du Ravitaillement alimentaire autonome, réseaux d’entraide (Raare), une association créée en 2019 dans la région d’Angers. À ses côtés, on retrouve Le Plat de résistance, une cantine militante des Deux-Sèvres et une toute nouvelle cantine choletaise.
Depuis début novembre, ces militants — plus habitués aux luttes écologistes qu’aux plans sociaux — préparent des repas chauds, gratuits et le plus souvent végétariens. « C’est la première fois de ma vie que je vais sur un piquet de grève », reconnaît Alice.
C’est le 5 novembre que la décision est tombée : ce jour-là, le géant français du pneu a décidé de fermer ses usines de Cholet et Vannes (Morbihan), laissant respectivement 955 et 299 salariés sur le carreau. Dans la foulée, la grève a été votée dans l’usine choletaise qui fabrique des pneus de SUV et de camionnettes. L’endroit a été bloqué et un feu de pneu crachant une fumée noire allumé. Depuis le 29 novembre, le blocage a été levé, mais le piquet de grève perdure. Et il faut bien le nourrir.
« Au lieu d’être 30, on est 150 ! »
Ce jour-là, une assemblée générale du comité de lutte réunit une centaine de personnes et se termine par un applaudissement envers ceux « qui [leur] ont préparé à manger ce midi ». À quelques mètres, Cyril, 54 ans, jette un regard gourmand vers le repas du jour : « Ça a l’air bon ça ! Ces repas, c’est important. Ça réunit les gens, ça prouve qu’il y a de la solidarité. »
Quelques instants plus tôt, une voiture débarquait, chargée de légumes donnés par la Confédération paysanne. Le même jour, un marché gratuit a été organisé par le Réseau de ravitaillement des luttes du Pays rennais (R2R), avec l’aide des Greniers des Soulèvements de la Terre. Arnaud, un confectionneur de 54 ans attablé devant son assiette, confirme : « Quand il y a de la bouffe, au lieu d’être 30, on est 150 ! »
« Des adversaires communs »
« La bouffe, c’est un prétexte », rappelle Charlotte, membre du R2R. Car l’enjeu est aussi stratégique. Dans une lettre ouverte, la Confédération paysanne évoque « des adversaires communs » aux ouvriers et paysans et pointe du doigt « le libre-échange et la concurrence internationalisée ». Ces tentatives de jonctions n’ont rien de neuf. En 1973, le syndicaliste Bernard Lambert appelait déjà au « mariage » des ouvriers de l’usine Lip de Besançon et des paysans du Larzac. En 2024, la convergence des luttes passera-t-elle par l’assiette ?
Parfois, la discussion s’engage entre les cantiniers (plutôt jeunes) et des ouvriers (plutôt masculins). Plutôt que renversement du capitalisme et autosuffisance alimentaire, ça cause des prochaines échéances pour les Michelins, dont nombre d’entre eux portent un gilet jaune.
« Jusqu’à présent, on n’a pas réussi à avoir ce dialogue, reconnaît un membre du Raare. Chez nous, la problématique paysanne est plus connue que la thématique ouvrière. » Comme 54 % des ouvriers lors des élections européennes de juin dernier, Cyril raconte avoir voté Rassemblement national à la présidentielle de 2022. Sans grand espoir, juste pour voir.
À l’inverse, une militante du Plat de résistance évoque la venue d’une ex-candidate d’extrême droite aux législatives qui aurait été chassée par le piquet de grève. Alann, 44 ans, est du genre « pas politique ». Il se dit rassasié par le plat du jour, mais il le reconnaît : « J’ai toujours été habitué à manger de la viande, les plats végétariens, ce n’est pas pour moi. Mais là, ça passe bien ! » Il a pris un bout de saucisson, des oignons ou encore du fromage au marché gratuit. « Les Soulèvements de la Terre ? Non, je ne connaissais pas avant. »
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