Interviewé alors qu’il sortait des urgences suite à un agression physique survenue en forêt de Fontainebleau, Pierre Rigaux a répondu à nos questions tant sur la chasse à courre que sur la sortie de son dernier livre, L’Androsace et le cochon. Rencontre avec un naturaliste passionné.
Depuis des années, de par ses écrits, ses vidéos et son association, Pierre Rigaux ne cesse d’interroger la place que s’arroge l’être humain au milieu des autres êtres vivants. Dans L’Androsace et le cochon, il décortique et pousse à se questionner sur la question du vivant.
Pourquoi protégeons-nous l’androsace et non le cochon, alors que l’animal, contrairement aux plantes, est un être sentient ? Quel rapport entretenons-nous réellement avec la nature ? Souhaitons-nous la préserver pour ce qu’elle est, ou pour ce qu’elle nous apporte ? Éléments de réponses avec un des visages de la défense animale et environnementale en France.

Mr Mondialisation : J’ai appris quelques minutes avant cette interview que vous avez été blessé hier, lors du filmage d’une chasse à courre en forêt de Fontainebleau… Comment allez-vous ?
Pierre Rigaux : « Plutôt bien, merci. J’ai mal au nez à cause d’un hématome au niveau de la racine nasale. Je m’en vais porter plainte juste après notre entretien, avec le certificat du médecin des urgences… J’ai en effet été agressé physiquement par des veneurs lors d’une opération en forêt de Fontainebleau, le mardi 21 octobre. Avec des membres de mon association, Nos Viventia, nous filmions le déroulé de la chasse. Ce qui a rendu furieux les veneurs, c’est que nous étions sur le point d’avoir des images de la mise à mort du cerf.
Nous n’y sommes jamais parvenus à Fontainebleau. D’une part, parce que cet équipage de vénerie n’arrive que rarement à attraper les cerfs qu’il poursuit. D’autre part, il a droit d’accès aux pistes forestières en voiture. Ce n’est pas notre cas : à pied, nous sommes forcément moins rapides. Là, le cerf a tenté de s’en sortir en revenant près de la route… Il a été pris dans un fourré tout proche, mais les chasseurs ont tout fait pour qu’on ne puisse pas y accéder.

En vénerie, la mise à mort du cerf se fait avec une dague ou un épieux, ce qui est source d’une immense souffrance pour l’animal. Les veneurs le savent et ne veulent surtout pas que les gens aient accès à ces images. D’ailleurs, alors que nous étions agressés, nous avons entendu un coup de feu. Je garde espoir que, grâce à notre présence, ils aient voulu faire au plus vite en abattant le cerf avec un fusil… »
Mr Mondialisation : Avez-vous espoir que votre plainte aboutisse ?
Pierre Rigaux : « J’ai bon espoir que l’homme qui m’a frappé soit inquiété, en effet. La violence est unilatérale. Eux prétendent que nous sommes violents, alors qu’il n’en ont aucune preuve, ni la moindre image le démontrant. En l’occurrence, nous faisons tout pour garder notre calme, malgré les intimidations et menaces verbales. Nous ne pouvons nous permettre d’avoir des gestes déplacés. À l’inverse, eux ne sont que très rarement inquiétés, malgré nos preuves.
Toutefois, nous obtenons parfois des victoires. C’est le cas avec un concours canin, récemment dénoncé, qui relâche des oiseaux d’élevage pour « entraîner » les chiens. La Centrale Canine a déclaré qu’il fallait désormais pratiquer le no kill. Cela signifie lâcher les oiseaux, les faire repérer par les chiens d’arrêt et ne pas les tuer… C’est loin d’être la panacée, mais ça reste une avancée.
D’ailleurs, le communiqué de la CC est intéressant car il y est dit, en résumé, que la société évoluant, ce genre de pratiques donne une mauvaise image du milieu. Tout ça pour dire qu’ils se contrefoutent des perdrix, mais qu’ils n’ont d’autre choix que de s’adapter car les mœurs changent. L’objectif reste que ce genre de « loisir » disparaisse car l’élevage des perdrix et faisans est une pratique absolument sordide. »

Mr Mondialisation : Que faire face à cette violence ? Pouvons-nous espérer que la chasse à courre, décriée par une majorité de Français, cesse enfin ?
Pierre Rigaux : « Oui, j’y crois. C’est une pratique qui est dénoncée par une immense majorité de Français. Pour l’anecdote, en expliquant mon agression à l’infirmière et au médecin qui m’ont soigné, ils m’ont dit ne pas savoir qu’il y avait de la chasse à courre à Fontainebleau, alors qu’ils y habitent. Si ce type de chasse était plus visible – car beaucoup de véneries ont lieu en forêts privées – elle serait encore plus combattue. Ce qui est frappant concernant la chasse à courre, c’est que les gens se mobilisent quand ça les touche directement. Par exemple, quand une route est bloquée ou qu’un cerf est tué à quelques mètres de chez eux – pratique au demeurant illégale.
« contrairement à d’autres types de chasses, le prétexte de régulation ne peut être avancé »
Sur le terrain, de plus en plus d’associations se mobilisent. J’ai espoir que cela finisse par vraiment faire bouger les lignes, notamment sur le plan politique. Malheureusement, le lobbying fait rage. Certaines personnalités politiques hautes placées, comme Gérard Larcher [ndlr : Les Républicains, président du Sénat], soutiennent la chasse à courre : c’est forcément plus compliqué à arrêter. D’autant que les veneurs ont aussi le pouvoir de l’argent. Ils ont le matériel, les chevaux, les chiens… C’est une activité pratiquée par des personnes de classes très aisées, mis à part pour les suiveurs et ceux qui effectuent les basses besognes.
D’ailleurs, leurs insultes préférées sont de dire que nous sommes au chômage ou au RSA… simplement parce que, tout comme eux, nous sommes présents sur le terrain ! La différence étant que pendant qu’ils s’amusent, nous travaillons à documenter ce qu’ils tentent de cacher. »

Mr Mondialisation : Votre dernier livre, L’Androsace et le cochon, vient de sortir. Qu’est-ce qui vous a poussé à l’écrire ?
Pierre Rigaux : « J’ai ressenti le besoin de clarifier un sujet qui semble évident, mais en réalité s’avère complexe, à savoir la notion de protection du vivant ou de la nature. Les discours habituels sur le vivant sont flous, au point qu’on ne sait plus ce qu’on veut protéger.
Par exemple, des naturalistes ou écologues parlent de préserver la biodiversité tout en défendant l’élevage dit « extensif ». Ils défendent l’idée que le pâturage entretient des prairies utiles à une certaine biodiversité de plantes, insectes, oiseaux. Cela signifie que pour défendre des populations végétales ou animales dites « sauvages », on encourage l’exploitation et l’abattage d’autres animaux, comme les vaches ou les brebis. Défendre le vivant, ce serait donc tuer des mammifères dans un abattoir ? Qui veut-on réellement défendre ?
Il est absolument crucial et vital pour notre survie de préserver la biodiversité, c’est-à-dire la diversité des formes de vie. Cette diversité est à la base du fonctionnement des écosystèmes qui nous font vivre. Pour autant, je prône en même temps une écologie centrée sur l’intérêt des individus, qui revient à défendre l’intérêt général. Encore faut-il savoir quels individus ont un intérêt à défendre. Or, les humains ne sont pas les seuls à en avoir. Les animaux non-humains en ont aussi.

Naturaliste-écologue de formation et profession, il s’avère que dans ce milieu, on se retrouve facilement moqué quand on devient végane et qu’on défend un agneau plutôt que la côtelette. Ces mêmes moqueries que le milieu naturaliste subit quand il défend sa petite mésange.
Il faut sortir au maximum de ces affects et se demander quels individus ont des intérêts. Si le naturaliste défend la mésange pour elle-même, alors il doit défendre aussi l’agneau. S’il défend seulement la mésange, c’est sans doute qu’il défend en réalité son intérêt personnel humain. À savoir un monde où chantent les mésanges, tout en savourant sa côtelette. »
Mr Mondialisation : Dans le livre, l’androsace tient un rôle symbolique dans notre rapport au vivant. Si elle peut disparaître, dans le sens où l’androsace en elle-même n’est pas nécessaire au maintien de la vie sur Terre, elle incarne les sacrifices que nous faisons subir à la nature. Ceux-là même qui, en cascade, nous mènent à une destruction globale des écosystèmes. Une forme de rappel de l’effet papillon ?
Pierre Rigaux : « L’androsace est une plante de montagne menacée par le réchauffement climatique. Ce n’est pas tant sa disparition qui entraînerait un effet papillon, mais les symptômes mêmes de sa disparition. Ils seraient significatifs d’une cause plus grave, qui créerait alors l’effet papillon.
Cette plante, nous devons la protéger en tant que maillon de la biodiversité, sans pour autant protéger un pied pour lui-même. En effet, en tant que plante, un pied d’androsace n’a pas d’intérêt à défendre. Dire le contraire reviendrait à prôner la préservation de chaque laitue, à ne pas couper un pied de salade dans son potager. Défendre l’androsace pour elle-même relève de l’affect.

Car oui, l’androsace est également habitée par le biais affectif : tout simplement, je serais triste si la plante venait à disparaître. Elle s’est adaptée à son milieu pendant des milliers d’années, c’est une merveille de la nature que je souhaite préserver. Nous devons donc lutter contre sa possible disparition et la protéger. Tout comme nous devons protéger le cochon, qui a plus d’intérêt à vivre pour lui-même qu’une androsace.
« le droit français protège plus un individu plante qu’un individu animal ou gibier, qui lui, peut être massacré. Ce déséquilibre permet de justifier toutes sortes de pratiques atroces vis-vis des animaux. »
Enfin, l’androsace tient un rôle symbolique. Elle possède ce « pouvoir » des espèces protégées. D’ailleurs, lorsqu’un site naturel est menacé de construction ou d’exploitation, on se dépêche de mettre des espèces dans des dossiers. Puis, on tente de les classer en espèce protégée. Cela revêt de l’aspect pratique, car c’est un argument qui permet ensuite de bloquer des projets de bétonisation. »
Mr Mondialisation : Et pour cela, vous évoquez le concept de sentience. Si l’androsace n’est pas consciente de son existence – jusqu’à preuve du contraire – le cochon l’est. Et pourtant, le cochon est tué quand l’androsace est protégée. Comment en sommes-nous arrivés là ?
Pierre Rigaux : « Nous en sommes là car l’androsace symbolise le fait que l’on protège la nature uniquement pour les humains. Cela ne dérange personne de protéger l’androsace. C’est un acte qui n’entraîne aucun changement dans notre quotidien, ne bouleverse pas nos habitudes.

Le cochon, lui, touche un mode de vie que peu de personnes sont prêtes à modifier dans l’intérêt de l’animal. Même en sachant que son exploitation ne répond en rien à ses besoins essentiels, qu’il est sentient et donc ressent la peur, la joie, la souffrance ou le stress, nous préférons détourner le regard en apportant une définition biaisée – qui nous arrange – au terme de « vivant » pour ne pas avoir à le protéger. »
Mr Mondialisation : Comment sortir du cadre de l’entre-soi et faire bénéficier le plus de monde possible de cette réflexion ? Comment faire entendre à celles et ceux qui ne connaissent que le bitume que la préservation de la nature est essentielle ? Qu’ils sont directement concernés par ce sujet ?
Pierre Rigaux : « Je dois reconnaître que je suis un peu démuni sur ce sujet, mais je dirais quand même qu’il y a toujours l’argument des intérêts humains. Nous devons rappeler sans cesse qu’on doit tout faire pour préserver la biodiversité, car elle vitale pour nous. Par conséquent, je pense qu’il faut passer par la transmission des connaissances. Éduquer sur ce sujet pour motiver la lutte politique et, parallèlement, faire comprendre que nous ne sommes pas les seuls à avoir des intérêts.
C’est peut-être un peu utopique, certes. Car même le premier argument, anthropocentré, donne peu de résultats face aux choix économico-politiques dominants. Comment motiver les gens pour une lutte encore plus large que celle des intérêts humains ? Faut-il parier sur notre intelligence, en nous basant sur les connaissances et en luttant contre les croyances ?

En effet, les connaissances confirment que les animaux – au moins une grande partie d’entre eux – ont des plaisirs et des souffrances. Les plantes, elles, n’en ont pas – jusqu’à preuve du contraire. L’eau et la roche évidement non plus. Or, tout un système de croyances, lié notamment au courant New Age ou simplement à l’inculture en la matière, entretient une confusion bien pratique pour défendre mollement le « vivant », la « nature » ou la « vie », tout en continuant à massacrer le cochon.
« Je connais bien le milieu de la chasse et en parler me sert de porte d’entrée pour pointer plus globalement la protection du vivant. »
Je sais que L’Androsace et le cochon sera peu lu ou vu, contrairement à ce que je fais sur les réseaux. Là, je peux essayer de ne pas prêcher que les convaincus. J’y parle de la souffrance subie par le cerf ou le renard, des faits concrets qui sont davantage partagés que des réflexions plus longues. En faisant réfléchir sur ce que nous faisons subir aux animaux, je tente justement de dépasser l’entre-soi et de pousser le plus de monde possible à la réflexion. »
Mr Mondialisation : Pour nos lecteurs et lectrices qui voudraient vous aider, comment procéder ?
Pierre Rigaux : « Le plus simple est de partager les informations diffusées par Nos Viventia. Nous avons besoin de ressources financières pour acheter notre matériel ou défrayer nos déplacements. Si on le peut financièrement dans les prochains mois, nous aimerions aussi embaucher, pour décupler notre action. L’argent de l’association ne me revient pas personnellement. D’ailleurs, les droits d’auteur de mes livres lui sont entièrement reversés.

Ceux qui le souhaitent peuvent aussi nous rejoindre en forêt, sur le terrain : ils peuvent nous contacter directement pour proposer leur aide. L’un des critères principaux est de savoir garder son calme face aux menaces et aux insultes… Mais toutes les bonnes volontés sont les bienvenues car plus nous serons nombreux, plus nous avons de chance de faire cesser des pratiques qui détruisent les animaux et la nature, au profit de l’humain. »
– Entretien réalisé par Marie Waclaw
Photo de couverture : Pierre Rigaux devant une manifestation de chasseurs, durant les universités du parti REV ©Pierre Rigaux
