Cent ans après Albert Londres
Où en est la psychiatrie française ? La grande inventivité thérapeutique et institutionnelle qui avait marqué les décennies d’après-guerre tend à s’estomper. De nouvelles logiques — scientistes, sécuritaires, comptables — s’imposent. Elles laminent le secteur et dégradent l’offre de soins. Au détriment des patients, de ceux qui les accompagnent, et de tout le corps social.

Michel Nedjar. – Sans titre (Paquet d’objets arrêtés), 2020
© Michel Nedjar – Photographie : François Lauginie – Collection du Fonds départemental d’art contemporain de l’Essonne
En 1925, Albert Londres réunissait en un volume les articles rédigés au fil de son enquête sur le traitement des malades mentaux en France. Chez les fous (Arléa, 2009) décrit un univers asilaire effrayant : sarabandes frénétiques dans les quartiers d’agités, délirants et cataleptiques emmurés vivants, gardiens violents et dépourvus d’empathie, aliénistes cachant leur impuissance thérapeutique derrière une arrogance scientiste. Qu’est-ce qui a changé depuis ? Tout, et plutôt en bien, à première vue. L’accès des établissements psychiatriques n’est plus aussi cadenassé que jadis. Les progrès thérapeutiques, en particulier en pharmacologie, ont métamorphosé les pratiques soignantes. La création de la Sécurité sociale en 1945 a permis la prise en charge de toutes les hospitalisations. Depuis 1960, la sectorisation psychiatrique favorise les soins ambulatoires et déstigmatise la pathologie mentale. Mais un nouveau tour d’horizon un siècle plus tard permet de constater, derrière les progrès accomplis, des évolutions préoccupantes.
Nous voilà d’abord à Saint-Alban, en Lozère. La congrégation des frères de Saint-Jean-de-Dieu y a fondé un asile en 1821 dans une vieille forteresse comptant plus de muraille que de fenêtres. Longtemps, les conditions d’hospitalisation y restèrent spartiates. Mais, au début des années 1940, l’hôpital devient le creuset du mouvement psychiatrique désaliéniste. Révoltés par la famine hospitalière liée à la guerre et par les pratiques asilaires déshumanisantes, Lucien Bonnafé et François Tosquelles prêtent l’oreille aux propos de leurs patients, s’intéressent à leur créativité spontanée. L’hôpital devient un haut lieu de l’art brut avant même la création de ce concept : y furent soignés Auguste Forestier, devenu célèbre pour ses sculptures, Clément Fraisse, qui transforma les lambris de sa chambre en bas-reliefs, et Marguerite Sirvins, dont la robe de mariage, repérée par Jean Dubuffet, représente un fleuron de la collection du musée de Lausanne. L’hôpital a également protégé des (…)
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Emmanuel Venet
Écrivain et psychiatre. Auteur de Retour chez les fous (Verdier, Lagrasse, 2025), dont ce texte est adapté.