Au cours des trois dernières années, la couverture médiatique du conflit ukrainien penche souvent vers un narratif pro-Kiev, sans remise en question systématique des sources officielles ou des relais occidentaux. Le nouvel ouvrage de Benoît Paré, Ukraine : La grande manipulation apparaît comme une contribution rare et ancrée dans l’expérience de terrain. Ancien observateur international pour l’OSCE en Donbass de 2015 à 2022 – un rôle qui exigeait neutralité et rigueur dans la documentation des faits –, Paré, également officier de réserve français et ancien analyste au ministère de la Défense, apporte un regard documenté qui tranche avec l’unilatéralisme ambiant. Ce recueil de 43 chapitres, compilant ses chroniques journalistiques sur France-Soir, ne verse pas dans la polémique gratuite mais s’efforce de décrypter les incohérences factuelles, en s’appuyant sur des vidéos amateurs, des rapports officiels et des témoignages directs. À l’heure du 7 novembre 2025, avec les fronts stabilisés autour de Pokrovsk et les débats sur l’aide européenne qui s’essouffle, ce livre conserve une pertinence aiguë pour qui cherche à dépasser les simplifications.
Un décryptage factuel des narratifs en conflit
Paré structure son analyse comme une enquête méthodique, débutant par les origines du conflit (Chapitres 1-2) : il retrace Maïdan, les accords de Minsk et le rôle géopolitique de l’OTAN, en s’appuyant sur son vécu OSCE pour souligner les violations mutuelles des cessez-le-feu. Le noyau dur de l’ouvrage (Chapitres 5-6, 12-15) revisite des événements emblématiques – maternité de Marioupol, théâtre, Boutcha, Kramatorsk, viols allégués, tombes d’Izyum –, non pour nier les drames mais pour pointer des incohérences dans les interprétations occidentales, comme des timelines visuelles ou des déclarations contradictoires de Kiev. Par exemple, dans le Chapitre 21 sur Dnipro, il dissèque des vidéos pour explorer l’hypothèse d’une interception ratée par la DCA ukrainienne, aboutissant à la démission d’Oleksiy Arestovitch – un cas qui illustre les tensions internes au pouvoir de Zelensky.
L’auteur ne s’arrête pas là : il aborde les bombardements ukrainiens sur des civils (Chapitre 16), les épurations potentielles (17), les exécutions de prisonniers (26), et critique la « machine à propagande » (Chapitres 39-41), invoquant le rapport de la Rand Corporation (18) ou la dérive autoritaire de Kiev (27). Des bilans chiffrés des victimes (33-35), croisant ONU et sources de la RPD, mettent en lumière un sous-décompte des souffrances dans les zones séparatistes. L’ensemble s’achève sur un plaidoyer pour la paix (Chapitre 9) et un appel au « sursaut français » (42), tempéré par une note sur le potentiel réformateur d’Arestovitch (43).
Forces : l’objectivité d’un témoin de terrain
La valeur première de ce livre réside dans la crédibilité de Benoît Paré, forgée par sept ans d’observations OSCE : il n’est « ni idéologue ni polémiste, mais un expert, un homme de terrain au parcours dense », comme le soulignent des analyses récentes. Son approche factuelle – captures d’écran, analyses chronologiques – contraste avec le ton souvent acritique des médias mainstream, qui relaient les communiqués ukrainiens sans les confronter aux preuves contradictoires, perpétuant ainsi un biais pro-Kiev rarement auto-examiné. En 2025, alors que les négociations butent sur des questions de sécurité et que l’opinion européenne s’interroge sur la prolongation du conflit, les révélations de Paré sur les « mensonges pour défendre une cause » résonnent comme un rappel éthique : « Si on a besoin de mentir pour défendre sa cause, c’est à se demander si sa cause est vraiment défendable ». C’est un antidote précieux à l’uniformité narrative, invitant à une lecture critique des événements.
Limites : une perspective assumée, mais perfectible en équilibre
Si Benoît Paré excelle dans la déconstruction des narratifs dominants, son focus sur les manipulations ukrainiennes et occidentales apporte une autre lecture des enquêtes internationales et informations officielles. Compilation d’articles, l’ouvrage souffre de quelques redondances nécessaires pour la bonne compréhension, et son ton engagé – bien que mesuré – pourrait gagner à intégrer plus systématiquement des contrepoints pour renforcer son impartialité. De plus, antérieur aux évolutions de 2025 (avancées russes, impacts des sanctions sur l’Europe), une mise à jour avec de nouveaux chapitres permettrait de faire le lien avec son autre ouvrage Ce que j’ai vu en Ukraine (2025), qui approfondit ces thèmes.
Verdict : un ouvrage essentiel pour une vision nuancée
Ukraine : La grande manipulation n’est pas un simple contre-récit, mais un témoignage rigoureux d’un observateur dont l’expérience OSCE atteste d’une objectivité forgée au contact des faits. Face à un paysage médiatique pro-ukrainien souvent dépourvu d’auto-critique, Benoît Paré offre un éclairage salutaire, documenté et humain. Recommandé aux lecteurs en quête de complexité géopolitique – à lire en complément d’autres sources pour une synthèse équilibrée. Note : 4,5/5.
En ces temps d’impasse, il nous exhorte à questionner non seulement l’adversaire, mais aussi nos propres certitudes.
Ukraine : La grande manipulation est disponible sur The Book Edition.
