La ville, théâtre de la peur, par Thomas C. Jusquiame (Le Monde diplomatique, novembre 2025)


Dans une ambiance estivale, visiblement détendue et conviviale, où différentes couches sociales s’entremêlent le long des allées boisées du parc de La Villette à Paris, une voiture de la police nationale tente de se frayer un chemin au milieu des flâneurs. Une file longue de plusieurs dizaines de mètres s’est constituée devant un cinéma en plein air, gratuit, installé au centre d’une pelouse. Des clôtures hérissées de pointes antiescalade et plusieurs dizaines de cônes métalliques entourent la zone de projection. À quelques mètres de l’entrée, une patrouille de cinq militaires de la mission « Sentinelle », arme de guerre au poing, et des agents de sécurité privés effectuent leur ronde. En pénétrant dans l’enceinte, chaque spectateur passe devant un imposant panneau aux couleurs criardes énonçant les consignes de sécurité : les objets « contondants », « coupants » ou simplement « piquants » — dont les tire-bouchons, les couverts et les verres à pied pour pique-niquer — sont proscrits, au même titre que les canettes ou les sacs volumineux. Après s’être soumis à une fouille de leurs effets personnels et à l’inévitable passage dans un portique à détecteur de métaux, les spectateurs allongés dans l’herbe seront surveillés par six caméras, juchées sur des structures amovibles installées pour l’occasion. Un pictogramme rouge et noir sur fond blanc et l’inscription « urgence attentat » rappellent que le niveau d’alerte Vigipirate est actuellement au plus haut.

Cette atmosphère suspicieuse et pesante, digne d’une zone militarisée, imposée ici pour visionner un film en famille ou avec ses amis, s’est banalisée. Vantés comme le gage d’une vie plus sûre et de meilleure qualité, les dispositifs sécuritaires ont profondément transformé le rapport des citadins à leur ville. La liberté et l’anonymat, qui attiraient au XIXe siècle les villageois désireux d’échapper à la surveillance organique du voisinage, ont cédé la place à une culture officielle de la peur. Parce qu’ils (…)

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Thomas C. Jusquiame

Journaliste. Auteur de Circulez. La ville sous surveillance, Marchialy, Paris, 2024.



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