
Malick Sidibé. – « Nuit de Noël (Happy Club) », Bamako, 1963
© Malick Sidibé – Courtesy Galerie MAGNIN-A, Paris
Toute une génération de danseurs et chorégraphes africains a adopté le genre et l’étiquette « danse contemporaine » ou « afro-contemporaine ». Pour une raison simple : « Elle a bien compris qu’il fallait prendre le train en marche même si ce n’était pas elle qui le conduisait », explique la chercheuse Annie Bourdié. Les autres, restés sur le quai, à l’écart des rails de la modernisation, ne pourraient donc qu’être les tenants de la danse traditionnelle, ce mystérieux folklore immobile, immuable, à la fois sans histoire, passé et dépassé.
Histoire contre préhistoire, contemporain contre traditionnel : une telle classification paraît caricaturale, mais elle correspond à des réalités politiques et économiques. La danse contemporaine a bénéficié en France d’une forte institutionnalisation dans les années 1980, pendant le ministère de M. Jack Lang, et a imposé la création comme critère de valeur. La politique de coopération entend susciter et promouvoir sur le continent la pratique de cette danse, au moment même où elle se voit progressivement standardisée en Europe. Si des initiatives africaines avaient précédé (l’école Mudra Afrique à Dakar en 1977, l’ensemble Kotéba d’Abidjan en 1974), le lancement, par le ministère de la coopération français, d’Afrique en créations en 1990 inaugure un vaste programme d’aides publiques à la création africaine contemporaine et, à ce titre, marque un tournant. La France étend ainsi son influence culturelle au-delà du périmètre de ses anciennes colonies — les premières rencontres chorégraphiques, parrainées par Elf et Total, se tiennent en 1995 à Luanda, en Angola, où la France a des intérêts pétroliers — au prix d’un bouleversement des valeurs et des pratiques du champ artistique.
La promotion de la création au détriment de la participation signe un certain désintérêt pour les pratiques populaires quand quelques chorégraphes sont portés au pinacle. Elle engage aussi une normalisation : il (…)
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Mathilde Roussigné
Chercheuse en littérature à l’université de Liège, danseuse et auteure de Terrain et littérature, nouvelles approches, Presses universitaires de Vincennes, 2023.