« Mes œuvres sont des écosystèmes qui respirent »


Victor Cord’homme est un artiste qui mêle couleurs naturelles, autonomie énergétique et récup’ pour tisser des liens poétiques entre les objets et le vivant. Une façon d’aller à l’inverse de la bulle spéculative autour de l’art.

Artiste franco-danois, Victor Cord’homme manipule les objets et cimaises de manière incongrue dans un cocktail de couleurs bigarrées. Entre l’air, l’électricité, les fluides et les matières qui bougent comme bon leur semblent, Victor donne vie à l’inanimé dans ses « installations vivantes ». Explorant des liens entre l’humain, la nature et la machine, il a mis en œuvre un travail artistique « juste »  pour qu’il soit le plus écologique possible.

Rencontre avec un créateur qui repense la place de l’énergie, du mouvement et du vivant dans l’art contemporain. 

Mr Mondialisation : Pouvez-vous nous raconter comment vous êtes devenu artiste plasticien ?

Victor Cord’homme : « J’ai grandi à la campagne, entouré de nature, avec beaucoup d’imagination et de possibilités. D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours dessiné, bricolé, et inventé des choses. 

Après le bac, j’ai pris une année sabbatique pour voyager en Inde et au Népal. Et là, je me suis rendu compte que ce qui m’avait le plus manqué, c’était la peinture et l’art en général. De retour en France, j’ai alors intégré les Beaux-Arts de Paris, où j’ai suivi l’atelier de Dominique Gauthier. 

J’ai commencé par la peinture abstraite, une pratique qui m’a conduit vers le volume, la sculpture, le métal, et le bois. Puis petit à petit, j’ai intégré des moteurs, des ventilateurs, et toute sorte d’objets récupérés dans mon art. »

Mr Mondialisation : Vous évoquez souvent un tournant écologique en 2015, notamment avec votre séjour au Canada. Pouvez-vous nous raconter ? 

Victor Cord’homme : « En fait, même si je considère que l’écologie a été une préoccupation dès l’entrée aux beaux-arts, c’est à travers plusieurs voyages qu’une véritable conscience des enjeux écologiques s’est imposée dans mon travail. Lors de mes périples en Asie, j’ai malheureusement observé à quel point le plastique et les déchets étaient mal gérés. J’ai alors décidé de n’utiliser que des matériaux de récupération dans mon art. 

« Dès que je trouvais des ventilateurs dans la rue ou sur des sites d’occasions, je les désossais et m’en servais pour une sculpture. »

J’aime l’idée de flux, j’ai donc à ce moment commencé à travailler sur des sculptures faites de ventilateurs qui se soufflent les uns sur les autres pour se mettre en mouvement.

Cette année-là, en 2015, j’ai fait un Erasmus à Toronto. J’ai voyagé en stop à travers le Canada et les États-Unis. Ces expériences ont été un déclic. J’ai pris conscience que mon art devait s’ancrer dans une réflexion plus large sur notre rapport à la matière, à l’énergie, au cycle de vie des objets. »

Avec toutes autorisations - @VictorCordhomme
Avec toutes autorisations – @VictorCordhomme

Mr Mondialisation : Comment décririez-vous votre univers artistique à quelqu’un qui vous découvre ?

Victor Cord’homme : « Je dirais que mon univers est de l’ordre de l’installation vivante. Mes peintures, mes sculptures, mes objets se vivent.

Ce sont des “possibles”, des fenêtres ouvertes sur le monde. Je parle de flux : d’énergie, de couleur, de mouvement. Tout est lié – de la marguerite au bulldozer, de la chaise Ikea à la vitrine pour des marques. J’aime construire un art-monde, où chaque œuvre fait écho à une autre. En surface, c’est poétique et léger ; en profondeur, il y a une réflexion plus sombre sur notre époque. »

Avec toutes autorisations - @VictorCordhomme
Avec toutes autorisations – @VictorCordhomme

Mr Mondialisation : Pouvez-vous nous parler du projet du bulldozer et de la marguerite justement ?

Victor Cord’homme : « C’est une série née en 2016, à mon retour du Canada, moment où j’ai commencé à amener de la figuration dans mon travail. J’ai peint une grande toile représentant des marguerites en pot face à des bulldozers.

« L’idée était simple : montrer le paradoxe entre la nature que l’on détruit pour construire, et que l’on réintroduit ensuite artificiellement dans nos intérieurs. »

De là est née une sculpture : un bulldozer à pédales, une machine absurde qui cherche une marguerite géante pour s’en occuper. La vidéo qui en a résulté est devenue emblématique de mon travail : le dialogue entre la nature et la machine, entre force et fragilité. 

Cette thématique est devenue un fil rouge que j’ai étiré pendant plusieurs années. Dans un atelier collectif à Pantin, les grandes serres – une ancienne usine de tube de métal, j’ai récupéré plein de matières en métal pour en faire des marguerites géantes. »

[ndlr : Pour retrouver le film en entier Bulldozer et Marguerite avec le mot de passe : bulldozer]

Mr Mondialisation : En 2017, vous avez présenté une exposition autour des ventilateurs. Quelle en était la démarche ?

Victor Cord’homme : « C’était ma première exposition solo, à Paris. J’avais installé 25 sculptures de ventilateurs qui fonctionnaient en continu. Mais je me suis vite rendu compte que c’était absurde : ils tournaient même quand personne ne les regardait.

J’ai alors voulu créer une exposition qui respectait l’idéologie de sobriété tout en étant  “vivante”, évolutive, où les œuvres s’activent seulement en présence du public. Avec des programmeurs, nous avons ajouté des capteurs pour que les sculptures réagissent au nombre de visiteurs, à la lumière, à l’heure du jour.

Double avantage : Cela évite le gaspillage, mais rend aussi chaque visite unique. L’espace devient organique, un peu comme une rue où l’ambiance change selon le temps et le moment. »

Mr Mondialisation : Votre exposition aux Tanneries en 2023 prolongeait cette réflexion énergétique ?

Victor Cord’homme : « Exactement. J’ai eu la chance d’investir une grande verrière dans ce centre d’art contemporain près de Montargis.

« J’y ai installé un dispositif alimenté uniquement par des panneaux solaires et des batteries recyclées. Tout était autonome : rien n’était branché sur le réseau. »

J’ai vraiment aimé le côté « autarcie » de ce projet, rien n’était connecté à EDF, c’était une bulle autoalimentée. Il y avait juste l’énergie de l’intérieur qui vient vers l’extérieur et alimente tout. J’aime cette idée d’un art autosuffisant, qui interroge notre consommation d’énergie et ouvre des espaces alternatifs de consommation.

Mes pièces cherchent à être organiques. C’est un peu comme si on rencontrait une personne : il y a cette dimension plus humaine, animale, parfois, on est fatigué, parfois non. Parfois, comme une batterie, on se vide complètement. »

Mr Mondialisation : Vous avez aussi travaillé sur un « pissenlit géant » ?

Victor Cord’homme : « Oui, c’est une œuvre participative. Le spectateur souffle sur la sculpture, ce qui génère de l’énergie pour d’autres pièces. L’idée, c’est de parler du partage d’énergie : donner un peu de soi pour donner vie à autre chose.

Mon mémoire portait d’ailleurs sur l’esclavage énergétique. Cette œuvre questionne notre rapport à la dépense, à la vitalité, à la solidarité énergétique et montre comment on pourrait faire autrement. »

Mr Mondialisation : Y a-t-il une part d’engagement dans votre travail ?

Victor Cord’homme : « Je ne me considère pas comme un artiste engagé politiquement. Mais il y a une forme de responsabilité écologique. Mon engagement, c’est plutôt une question de justesse : faire attention à ce qu’on utilise, à ce qu’on transmet et ce qu’on laisse après.

C’est une forme d’éthique. Concernant les matériaux par exemple, je refuse d’utiliser du plexiglas ou de faire tourner un four à céramique pour une micro pièce. C’est de l’ordre du devoir ou de la responsabilité plutôt. »

Avec toutes autorisations - @Victor Cord'homme
Avec toutes autorisations – @Victor Cord’homme

Mr Mondialisation : Peut-on dire que votre art a une vocation holistique ?

Victor Cord’homme : « Oui, complètement. J’aime imaginer mes œuvres comme les parties d’un tout plus vaste. Chaque sculpture, chaque peinture m’emmène ailleurs, ouvre sur une autre idée. Même quand je travaille pour une marque, je garde cette démarche.

Par exemple, j’ai proposé un projet autour d’une “space banana”, une banane cultivée dans l’espace : un fruit banal, mais chargé de sens. Cela interroge nos habitudes, notre rapport à la distance, à la nature déterritorialisée. Aucune pièce n’est complètement ovni, car après elle se fait rattraper par pleins d’autres. »

Mr Mondialisation : Selon vous, comment l’art et les enjeux environnementaux peuvent-ils se nourrir mutuellement ?

Victor Cord’homme : « L’art parle du présent. Il me semble impossible aujourd’hui de créer sans évoquer, d’une manière ou d’une autre, les enjeux environnementaux. Beaucoup d’artistes m’inspirent, comme Susumu Shingu, qui crée des sculptures-mobiles alimentant des bâtiments, ou Théo Mercier, dont les œuvres en sable retournent à l’état de matière. 

J’ai d’ailleurs remporté en 2024 le prix Art of Change, dédié à l’art écoconçu. Cela m’a permis de rencontrer d’autres artistes animés par la même envie de proposer une pratique plus juste. Pour moi, ce sont deux mondes qui se poussent vers le haut et qui sont dans le partage. »

« L’art parle du présent. Il me semble impossible aujourd’hui de créer sans évoquer, d’une manière ou d’une autre, les enjeux environnementaux. »

Mr Mondialisation : Vous parlez souvent du “lien”. Quelle est son importance dans votre démarche ?

Victor Cord’homme : « Le lien, c’est essentiel. Que ce soit entre les œuvres, entre les gens, entre les énergies. J’ai beaucoup voyagé, j’ai des amis un peu partout, et cette ouverture nourrit mon travail. Créer, c’est relier. Imaginer que deux personnes puissent construire ensemble à distance, c’est beau. Mes œuvres parlent de ça : de transmission, d’interconnexion. »

Mr Mondialisation : Sinon, tu as un plaisir coupable pas du tout écolo ?

Victor Cord’homme : « (Rires.) J’adore les voitures. J’en ai une et je l’utilise pour aller chercher des matériaux et des objets. C’est un objet fascinant, presque organique.

J’évite l’avion autant que possible, mais je ne veux pas être dans la culpabilité. Ce qui compte, c’est d’avoir conscience de ce qu’on fait, et de compenser par des gestes justes. »

Mr Mondialisation : Est-ce qu’on peut dire que tu es animiste avec les objets ?

Victor Cord’homme : « D’une certaine façon, oui. Je ne représente pas d’humains, mais des objets. Pour moi, ils sont vivants, chargés d’énergie. En ce moment, je démonte des imprimantes pour mes sculptures : c’est drôle et fascinant de voir la mécanique interne, les petits organes de ces machines. Pour moi, tout est habité, tout a une forme de vie. »

Avec toutes autorisations - @VictorCordhomme
Avec toutes autorisations – @VictorCordhomme

Mr Mondialisation : Des projets à venir ?

Victor Cord’homme : « Je travaille sur une série autour de la chaise Ikea, un objet universel. Tout le monde a une chaise Ikea, ou un truc qui vient de cette enseigne. C’est le truc qui nous relie le plus au final. On est tous un peu des petites chaises différentes, mais ça nous permet aussi de nous déplacer. On est toujours sur une chaise ou un siège. On s’assoit pour se déplacer, c’est étrange. 

Je les refais en bois massif, en version géante ou bancale. J’aimerais aussi créer une exposition ouverte 24h/24, où les sculptures évolueraient selon la présence du public.
Je note plein d’idées : des œuvres sonores, des installations sensibles. Ce qui m’intéresse, c’est de tester les conditions du possible. »

Pour découvrir le travail de Victor Cord’homme, c’est possible sur son site internet ou sur Instagram. 

–  Maureen Damman

– Cet article gratuit, indépendant et sans IA existe grâce aux abonnés –

Donation





Source link

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *