Nez écrasé, peau pliée, arrière-train abaissé… Au fil des décennies, l’être humain a créé des races de chiens au gré de ses désirs. La santé de ses compagnons de route est, elle, passée à la trappe. Au point de leur réserver sciemment une vie de souffrance.
Qui n’a jamais craqué devant la bouille d’un Bouledogue Français ou les beaux yeux bleus d’un Berger Australien ? Pourtant, face à l’esthétique de ces chiens très en vogue se cache une autre tendance nocive, consistant à faire se reproduire entre eux des animaux aux caractères morphologiques exagérés. Quitte à ce que ces derniers accumulent les tares…

L’hypertype du chien, qu’est-ce que c’est ?
Oui, le Chihuahua descend bel et bien du loup, une évolution qui n’aurait très probablement pas eu lieu sans intervention humaine. La diversité génétique observée aujourd’hui chez les chiens donne l’illusion d’une grande variété, mais cette richesse est en réalité trompeuse. Pour préserver les morphologies patiemment façonnées au fil des décennies, les apports génétiques extérieurs ont été limités, au point de recourir parfois à la consanguinité. Avec, pour conséquence, des lignées de chiens toujours plus vulnérables.
Un chien de race est dit « typé » s’il correspond aux standards exigés par le LOF (Livre des Origines Français). Cela se joue sur de nombreux critères, allant de la taille au garrot à la forme des oreilles, en passant par l’allongement du museau ou la couleur de la robe. Quand ces détails sont poussés à l’excès, on parle alors d’hypertype : un museau complètement écrasé, des plis de peaux à n’en plus voir l’animal en-dessous, des yeux bleus chez une race qui a normalement les yeux foncés…

Le problème ? C’est qu’au lieu de stopper ces hypertypes en évitant de faire se reproduire des chiens qui y sont sujets, nombre d’éleveurs peu scrupuleux les ont au contraire développés. La loi de l’offre et la demande… appliquée à la santé des animaux.
Parce que c’est mignon, parce que c’est tendance, les Bouledogues peinent à respirer, les Cavalier King Charles accumulent les problèmes cardiaques, les Shar-Pei souffrent de problèmes de peaux très douloureux sous leurs nombreux plis, les Shih Tzu ont des globes oculaires si disproportionnés que leurs paupières ne peuvent plus les recouvrir ni les hydrater, les Bergers Allemands finissent paralysés par l’arthrose tant leur bassin s’est vu s’affaisser…

« Il y a eu quelques améliorations sur le Berger Allemand et son cousin le Berger Blanc Suisse ces dernières années, avec le retour à un côté un peu plus rustique, mais les magouilles génétiques restent terribles pour les animaux qui en souffrent », assure auprès de Mr Mondialisation, la docteure Marion Arribart, vétérinaire généraliste et comportementaliste en région rennaise :
« C’est un crève-cœur de voir des chiens qui ne peuvent vivre sans intervention chirurgicale et que le moment où ils respirent le mieux, c’est quand ils sont intubés pendant l’anesthésie ! »
Le mythe des chiens qui « remplissent les poches des vétos »
Contrairement aux idées reçues, les vétérinaires se battent contre le phénomène des hypertypes. L’AFVAC (Association Française des Vétérinaires pour Animaux de Compagnie) a d’ailleurs lancé une campagne de sensibilisation à ce sujet :
« il serait urgent que tous acteurs de la filière définissent les recommandations et règles auxquelles devra se conformer une sélection digne de ce nom, dans le respect du bien-être animal »
Une tendance que confirme Marion Arribart interviewée pour cet article : « Je ne peux évidemment pas parler au nom de tous les vétérinaires, mais dans ma carrière, je n’en ai jamais croisé qui se réjouisse de devoir opérer un bouledogue. Nous travaillons autant que possible sur la prévention, car pour nous, ce problème est un vrai casse-tête ! Les traitements qui peuvent fonctionner sont inabordables, nous opérons les mêmes chiens à répétition faute de trouver des solutions, et nous faisons face au désarroi, à l’incompréhension ou à la colère des propriétaires… »

Car être vétérinaire, ce n’est pas uniquement soigner les animaux. C’est aussi prendre soin de l’humain, et accompagner les propriétaires dans des étapes compliquées, allant de l’opération jusqu’à l’euthanasie. Une « charge mentale » souvent très lourde, qui engendre un taux de suicide chez les vétérinaires 3 à 4 fois plus élevé que la population générale.
Pour Marion Arribart qui exerce à son compte, « il existe des métiers bien moins complexes qui rapportent beaucoup plus. Je tiens à soigner les animaux, et à prendre soin des humains. Or, les chiens hypertypés nous mettent dans des situations où le manque de moyens médicaux ou financiers les condamnent – à l’instar des problèmes de comportements, qui reposent aussi sur une tendance à faire entrer les races dans des cases. »
« Nous n’avons pas besoin des chiens hypertypés pour gagner notre vie. La nature est suffisamment injuste pour que nous ayons assez à faire avec les autres pathologies… »
Maîtres ou éleveurs… À qui la faute ?
Qui de l’œuf ou la poule ?… Faut-il en vouloir aux éleveurs de perpétuer des hypertypes pour des maîtres toujours en demande, ou aux maîtres de créer la demande et d’ainsi pousser les éleveurs à continuer sur leur lancée ? Au-delà de savoir sur qui rejeter le blâme, la question qui se pose aujourd’hui est plutôt de trouver comment stopper l’hémorragie.
L’association Animal Cross, qui a récemment mis le sujet en lumière, propose de signer une pétition pour lutter contre ce fléau. Mais elle en demande davantage : dossier très complet et documenté de 62 pages à l’appui, Animal Cross souhaite mettre en place 13 mesures pour mettre fin à la souffrance des animaux, en s’inspirant notamment de nos voisins européens.

Parmi elles : interdire la reproduction des races « médicalement dans une impasse », comme le Cavalier King Charles (interdiction actée en Norvège), stériliser les chiens malades ou porteurs de maladies, ou renforcer les contrôles vétérinaires dans les élevages de chiens à risques.
« Je suis peut-être naïve, mais je pense qu’informer et éduquer sont les clés pour essayer d’enrayer le problème, s’enquiert Marion Arribart. Il suffit de voir le nombre de chiots toujours en vente sur leboncoin alors que c’est censé être interdit… À très court terme, l’interdiction peut en effet devenir nécessaire si les choses ne vont pas assez vite – un peu comme avec l’écologie !
Mais je pense que nous devons vraiment insister sur le volet informatif. Aux personnes qui disent « Je veux un chien », nous devons expliquer tous les tenants et les aboutissants, incluant les soucis de santé. Car je ne crois pas en la mauvaise foi des gens qui achètent un Bouledogue ou un Shar-Pei : je pense simplement qu’ils ne savent pas. »

La diffusion large et rigoureuse de l’information apparaît aujourd’hui comme l’un des leviers essentiels pour enrayer un phénomène qui menace directement la santé et le bien-être de nombreux chiens. Vétérinaires, associations de protection animale, éleveurs, mais aussi particuliers sensibilisés à la cause animale : l’enjeu consiste à promouvoir la responsabilité.
Alors que les chiens croisés se révèlent souvent plus robustes que certaines lignées de race, l’heure semble venue de questionner l’emprise de critères purement esthétiques et de favoriser un retour à une diversité génétique bénéfique. Qu’il soit adopté ou acheté, un chien demeure avant tout un compagnon de vie d’une valeur inestimable, bien au-delà de la couleur de ses yeux.
– Marie Waclaw
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