Le décret sur les opérateurs privés de défense : un tournant dans la coopération militaire française ?


Le décret n°2025-1030 du 31 octobre 2025, publié au Journal officiel le 1ᵉʳ novembre, marque une étape significative dans l’évolution de la politique de défense française. Intitulé « relatif aux opérateurs de référence du ministère des Armées pour la coopération militaire internationale », ce texte de huit articles instaure un cadre formel pour le recours à des entreprises privées – qualifiées d’ « opérateurs économiques de référence » – afin d’assister ou de se substituer aux forces armées françaises dans des missions spécifiques à l’étranger. Adopté dans un contexte géopolitique tendu, marqué par les conflits en Ukraine et au Sahel, le décret répond à la nécessité de « maintenir et développer l’influence de la France » (article 1ᵉʳ), selon les termes du ministère des Armées. 

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Ces opérateurs, désignés par arrêté ministériel pour une durée maximale de dix ans, bénéficient de droits « exclusifs ou spéciaux » par domaine d’activité (terre, mer, air, espace, cyber) et doivent être implantés dans l’Union européenne ou l’Espace économique européen. Leurs missions, définies à l’article 3, englobent la formation et l’entraînement de forces partenaires, le soutien logistique, la protection en zones de crise, ou encore le maintien en condition opérationnelle d’équipements militaires. Le texte précise que ces interventions s’appuient sur des accords internationaux avec des États en situation de paix, de crise ou de conflit, comme l’Ukraine, sans nécessiter d’appels d’offres publics systématiques, ce qui simplifie les procédures administratives.


 vidéo explicative de ce decret et ses conséquences

 
Les conséquences de ce décret sont multiples et suscitent un débat vif au sein de la communauté stratégique et politique.

D’un côté, il officialise et rationalise des pratiques déjà existantes, comme l’utilisation d’entreprises de services et de sécurité de la défense (ESSD) pour des escortes ou des formations à l’étranger, permettant à la France de projeter son influence sans mobiliser massivement ses propres troupes. Voila

Cela préserve les capacités opérationnelles des armées françaises, souvent sollicitées par des opérations extérieures (OPEX) chronophages, et s’inscrit dans la loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030, qui prévoit une augmentation des partenariats public-privé pour atteindre 2 % du PIB en dépenses de défense.

Comparaison des mesures US/France visant à externaliser via le privé pour éviter un engagement direct – diffèrent par leur formalisme et leur ampleur.

Analyse
Analyse comparative du décret français et les mesures US – Source : analyse Collectif citoyen

Les partisans du décret, dont le ministère des Armées, y voient un « tournant pragmatique » adapté à un « contexte géopolitique mouvant », facilitant des coopérations rapides avec des alliés comme l’Ukraine, où des ESSD pourraient désormais assurer la maintenance d’équipements fournis par Paris. De l’autre, des critiques, relayées par des médias comme Marianne ou France-Soir, dénoncent une « privatisation rampante de la guerre », risquant de diluer la souveraineté nationale et de contourner le contrôle parlementaire. En effet, en déléguant à des acteurs privés des tâches potentiellement sensibles, le décret pourrait atténuer les obligations d’information du Parlement prévues par l’article 35 de la Constitution pour les interventions armées, alimentant les soupçons d’un outil pour externaliser des engagements sans débat démocratique approfondi.

 

Controverse

Un aspect particulièrement controversé concernerait « la possibilité pour ce décret de servir de rationalisation ex post à des décisions ex ante d’envoyer des forces françaises en Ukraine » tel que nous l’indique un spécialiste du sujet. Bien que le texte ne mentionne pas explicitement Kiev, son champ d’application – soutien à des États en crise via des opérateurs privés – pourrait être invoqué pour expliquer et légitimer rétroactivement des présences discrètes, comme des instructeurs ou du soutien logistique, déjà évoquées dans des rumeurs persistantes depuis 2022.

Des analystes estiment que cela créerait un cadre juridique pour « masquer » une implication française plus directe, évitant ainsi une requalification en acte de belligérance ou co-belligérance au sens du droit international. Cette interprétation, bien que spéculative, illustre les tensions autour de l’article 35 de la Constitution, qui impose une information parlementaire dans les trois jours pour toute intervention armée à l’étranger, et de l’article 53 pour les accords internationaux engageants. 

Sans précédent clair, une telle utilisation du décret pourrait être contestée devant le Conseil constitutionnel, renforçant les appels à une plus grande transparence sur l’aide française à l’Ukraine, évaluée à plus de 3 milliards d’euros depuis le début du conflit.

 

 
Implications et interrogations

Au-delà de ces implications immédiates, le décret interroge l’avenir de la défense nationale française, dans un paysage marqué par des contraintes budgétaires et des priorités stratégiques redessinées. Il s’inscrit dans une tendance européenne à l’hybridation public-privé, similaire à la levée récente de l’interdiction américaine sur les « contractors » en Ukraine (novembre 2024), mais soulève des questions sur la résilience d’une armée professionnelle face à des menaces hybrides (cyber, désinformation). À long terme, cela pourrait accélérer la modernisation des forces, en libérant des ressources pour des investissements en IA ou en dissuasion nucléaire, mais au prix d’une dépendance accrue vis-à-vis d’acteurs privés, potentiellement vulnérables à des influences étrangères ou à des scandales éthiques, comme ceux ayant entaché des sociétés mercenaires par le passé.

Ce virage pragmatique coïncide avec un discours officiel de plus en plus alarmiste sur les risques sécuritaires, comme en témoigne la récente déclaration du chef d’état-major des armées (CEMA), le général Fabien Mandon, lors du Congrès des Maires le 18 novembre 2025. Interrogé sur un éventuel conflit avec la Russie d’ici trois à quatre ans, il a lancé : « Il faut accepter de perdre nos enfants », une formule anxiogène qui a provoqué un tollé bipartisan, de Jean-Luc Mélenchon à Fabien Roussel, accusant les dirigeants de préparer les esprits à des sacrifices inutiles au nom d’une « histoire » géopolitique contestée. 

Cette rhétorique, défendue par des figures comme Gérard Larcher comme un appel à la vigilance, contraste avec des critiques soulignant son caractère démobilisateur pour une nation déjà divisée sur les priorités budgétaires.

 
La polémique sur le « danger russe » 

Enfin, ce décret et les débats qu’il suscite s’inscrivent dans une polémique plus large sur la perception de la Russie comme « ennemi » de la France, souvent qualifiée de dénuée de faits concrets par ses détracteurs. Des voix, comme celle du diplomate russe Alexander Makgonov cité dans des analyses récentes, rappellent un historique de coopérations franco-russes – de l’aide soviétique en 1946 aux alliances de 1914-1917 – pour contester la narrative actuelle d’une « menace existentielle », portée par Emmanuel Macron et Jean-Noël Barrot, qui évoquent une « guerre européenne » sous 3 à 4 ans nécessitant « rien ne doit être exclu ». Cette escalade verbale, comparée par certains à une « propagande de guerre » sans preuves d’agression directe contre l’Hexagone, alimente les interrogations sur les motivations sous-jacentes : diversion des crises internes ou alignement atlantiste ?

Dans un paysage médiatique polarisé, ces échanges rappellent que la défense nationale, au-delà des outils comme ce décret, repose autant sur la cohésion sociale que sur les arsenaux, invitant à un débat serein sur les choix stratégiques à venir.

 

Résumé vidéo : 





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