La diffusion, le 27 novembre dernier, de l’émission Complément d’Enquête consacrée à « la méthode CNews » sur France 2 a provoqué une onde de choc dans le paysage audiovisuel français. Présentée par Tristan Waleckx, cette investigation visait à décortiquer les pratiques de la chaîne d’information en continu appartenant au groupe Bolloré, en l’accusant d’être une véritable « machine de propagande » au service d’une idéologie de droite ou même d’extrême droite. À travers des exemples concrets de désinformation présumée, une obsession marquée pour des thèmes comme l’islam et l’immigration, ainsi qu’une surexposition de figures controversées telles qu’Éric Zemmour, l’émission a suscité des débats passionnés. Cependant, les critiques ne se sont pas fait attendre, pointant du doigt un reportage à charge par un journaliste et une organisation qui omettent d’examiner respectivement ses propres biais idéologiques et ceux du service public audiovisuel.
Ajoutez à cela des rebondissements de dernière minute impliquant l’ARCOM, un rapport accablant de la Cour des comptes sur France Télévisions, des enquêtes parlementaires sur le manque de neutralité des médias publics, et des scandales internationaux comme celui de la BBC, et vous obtenez une controverse qui révèle les profondes fractures de l’écosystème médiatique français. Au cœur de cette affaire se pose une question fondamentale : qui peut prétendre détenir la vérité dans un monde où l’objectivité semble de plus en plus illusoire ?
Résumé vidéo de l’analyse
Un reportage accusateur qui mettrait en lumière les pratiques de CNews ?
Dès les premières minutes de l’émission, Tristan Waleckx pose une thèse sans équivoque : CNews, qui domine les audiences des chaînes d’information en continu, est également la plus sanctionnée par l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM) pour des manquements à la rigueur et à l’honnêteté journalistique.
L’équipe de Complément d’Enquête s’appuie sur une série d’exemples concrets pour tenter d’étayer cette accusation. Par exemple, un reportage diffusé à plusieurs reprises sur CNews évoque une prétendue « explosion » du nombre de kebabs en France, présenté comme un symbole de perte d’identité culturelle. Ce sujet, relayé également sur Europe 1 et dans Le Journal du Dimanche – tous deux appartenant au même groupe Bolloré –, est débattu en plateau et crée, selon l’émission, une anxiété artificielle autour de l’immigration. Pourtant, France 2 révèle que le nombre de kebabs reste stable à environ 9 500 depuis une décennie, un chiffre confirmé par un cabinet spécialisé en études de marché sur la restauration. En comparaison, la France compte 15 000 pizzerias et 62 000 restaurants traditionnels, ce qui relativise grandement l’idée d’une « invasion ». Ils omettent cependant de parler de la concentration dans certains endroits.

L’émission quantifie également l’obsession présumée de CNews pour certains thèmes. Selon des données fournies par l’Institut national de l’audiovisuel (INA), le mot « islam » a été mentionné 30 993 fois et « immigration » 69 353 fois sur une période donnée. Des témoignages d’anciens employés, comme celui d’un ex-reporter régional nommé Damien Deparnay, évoquent des directives internes explicites pour se concentrer sur des sujets liés à l’islam en vue de la campagne présidentielle de 2022 : « À partir de maintenant, on ne va plus faire que du muslim, muslim, muslim. » Vincent Bolloré, le milliardaire à la tête de cet empire médiatique, est dépeint, avec une seule affirmation, comme un homme « radicalisé » qui transforme ses médias en « outils de combat » idéologiques, influençant directement les contenus pour promouvoir une vision conservatrice.
La surexposition d’Éric Zemmour avant et pendant sa campagne électorale est un autre pilier de l’accusation. L’émission souligne comment CNews a multiplié les invitations et les plateaux dédiés à cette figure controversée, brouillant les frontières entre information factuelle et opinion militante. Des sanctions répétées de l’ARCOM sont rappelées, notamment pour des manquements sur des sujets sensibles comme le climat ou l’interruption volontaire de grossesse (IVG), faisant de CNews la chaîne la plus pénalisée financièrement. Pascal Praud, présentateur vedette de l’émission « L’Heure des Pros », est particulièrement visé pour ses interventions personnelles, comme l’invention de titres d’émissions ou des clashs virulents avec des invités, tels que la militante écologiste Claire Nouvian en 2019. Enfin, l’affaire Jean-Marc Morandini, condamné en appel pour corruption de mineurs mais maintenu à l’antenne, est présentée comme une hypocrisie flagrante face aux discours sécuritaires de la chaîne.
Les critiques : un procès à charge plein d’angles morts et de biais méthodologiques
Malgré son ambition, Complément d’Enquête et Waleckx n’échappent pas aux reproches de partialité. De nombreux observateurs, y compris dans des analyses publiées dans la presse, qualifient le reportage de « récit ciselé mais fondamentalement à charge ». Dès l’éditorial d’ouverture, Tristan Waleckx adopte une dramaturgie accusatoire, répétant des termes forts comme « obsession », « idéologie » et « machine de propagande » sans toujours étayer par des preuves matérielles solides. Les exemples sélectionnés proviennent de séquences courtes extraites parmi des milliers d’heures d’antenne, avec des témoignages souvent anonymes ou isolés, et des indicateurs quantitatifs dont les méthodes sont contestables. Par exemple, les chiffres de l’INA sur les mentions d’ « islam » et d’ « immigration » ne sont pas normalisés par volume d’antenne ou type d’émission, ce qui pourrait refléter davantage la structure de la grille qu’une intention délibérée. Un observateur des médias expliques : « ces termes ne sont pas aussi proscrits par la loi, et en toute objectivité, il faudrait alors comparer le nombre de fois ou le service public utilise les étiquettes de « complotiste » ou d’« extreme-droite » pour délégitimer certains intervenants – une manière pour eux de mettre fin au débat »
Le contradictoire apparaît minimal : la direction de CNews n’a pas répondu aux sollicitations, et des figures clés comme Pascal Praud ont décliné les invitations à s’exprimer. Pire, l’émission omet systématiquement de comparer les pratiques de CNews à celles du service public. Un rapport récent de l’Institut Thomas More, un think tank libéral-conservateur, analyse par intelligence artificielle les matinales de Radio France (France Inter, France Culture et France Info) pour le mois d’octobre 2025. Cette étude révèle une orientation « durablement à gauche », avec un traitement plus favorable pour la gauche et des critiques sévères envers les partis d’opposition radicale comme La France Insoumise (LFI) et le Rassemblement National (RN). La droite républicaine subit également un « prix fort », particulièrement lors de la couverture de la « séquence Sarkozy » » La méthodologie, combinant l’IA pour évaluer la tonalité éditoriale et la relecture humaine pour corriger les erreurs, est présentée comme transparente et reproductible, contrastant avec les approximations reprochées à Complément d’Enquête.

De plus, une commission d’enquête parlementaire inédite cible l’audiovisuel public pour manque de neutralité, financé par les contribuables. Lancée suite à un déjeuner controversé entre des journalistes de France Inter (Thomas Legrand et Patrick Cohen) et des responsables du Parti socialiste en septembre 2025, cette mission, active jusqu’en mars 2026, examine l’éditorial, la gestion et le modèle financier de France Télévisions et Radio France. Des figures comme Delphine Ernotte (présidente de France Télévisions) et Sibyle Veil (présidente de Radio France) seront auditionnées en décembre, aux côtés d’autres personnalités comme Léa Salamé ou d’anciens animateurs évincés. Initiée par des députés de l’UDR (alliés au RN), cette enquête répond à des accusations récurrentes de biais idéologique et à un rapport de la Cour des comptes de septembre 2025, qui dénonce une situation financière critique pour France Télévisions : 3 milliards d’euros de budget (dont 80 % publics), 81 millions de pertes nettes entre 2017 et 2024, et une opacité sur des dépenses comme les cartes bleues des dirigeants.
À Radio France, c’est la panique : France Inter a perdu près de 500 000 auditeurs, et des dérives idéologiques sont pointées, comme une mise en demeure de l’ARCOM en mai 2025 pour une couverture biaisée du conflit Israël-Gaza, avec des chiffres non sourcés sur les victimes à Gaza. Ces éléments soulignent un double standard : tandis que Complément d’Enquête fustige CNews pour son positionnement d’opinion, elle ignore les critiques similaires adressées au service public, comme des segments militants dénoncés en commissions parlementaires ou des déséquilibres de temps de parole.
Le rebondissement de dernière minute et les polémiques autour de Tristan Waleckx
La controverse a pris un tour inattendu juste avant la diffusion. Selon des informations du Parisien, FranceTV a dû supprimer en urgence une séquence citant un rapport de Reporters Sans Frontières (RSF) accusant CNews de surreprésenter l’extrême droite.
🔵 INFO LE PARISIEN | Quelques heures seulement avant la diffusion de «Complément d’Enquête» sur CNews, France 2 a demandé aux équipes de couper en catastrophe une partie de son enquêtehttps://t.co/IaYuF2JcaC
— Le Parisien (@le_Parisien) November 27, 2025
L’ARCOM, désolidarisé de cette enquête, a contesté méthode et chiffres, et noté une surreprésentation de LFI et du PS sur CNews en mars 2025. Ce coupage de dernière minute a alimenté les accusations de « fake news » contre l’émission elle-même, avec des internautes qualifiant Waleckx d’ « arroseur arrosé ». Tristan Waleckx se retrouvant de nouveau au centre de polémiques notamment sur l’usage des fonds publics pour une telle émission. Des sources internes à France Télévisions suggèrent qu’il priorise sa carrière sur l’information objective, s’engageant dans des controverses stériles. Par exemple, Cyril Hanouna l’a « atomisé » verbalement avant la diffusion, le qualifiant d’« éclaté au sol » dans une émission du 26 novembre 2025. Waleckx défend son travail comme « rigoureusement exact », affirmant n’avoir perdu aucun procès en diffamation. Pourtant, l’émission sur Didier Raoult en 2022, à charge fait l’objet de plaintes (pour diffamation et cyberharcèlement) avec ouverture d’enquêtes judiciaires qui viseraient Tristan Waleckx, Nathalie Sapena et la direction de FranceTV. Après la Cour des comptes, si la justice s’intéresse davantage à Complément d’Enquête et FranceTV, cela pourrait marquer le déclin de ce format emblématique.
Dans ce contexte, France-Soir a pris contact avec Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, et Tristan Waleckx pour clarifier certaines positions sur l’émission. Plusieurs questions précises leur ont été posées sur la transparence et la rigueur journalistique, en soulignant l’importance de ces éléments vis-à-vis des contribuables qui financent le service public. Parmi les interrogations soulevées : la confirmation de coupes ou modifications de séquences relatives au pluralisme politique basées sur l’étude RSF, suite à la communication de l’ARCOM le 27 novembre à 17 heures ; le croisement des données RSF avec les chiffres officiels de l’ARCOM ; la prise en compte des éléments fournis par l’ARCOM sur la surreprésentation de LFI et du PS ; le budget total de l’enquête ; et des commentaires sur des informations internes indiquant que le documentaire « aurait été commandé par la direction générale en collaboration étroite avec Waleckx », avec « des questions internes écartées ».

Malheureusement, ni Delphine Ernotte ni Tristan Waleckx n’étaient disponibles pour répondre à ces questions, laissant planer des interrogations supplémentaires sur la transparence du processus éditorial au sein de France Télévisions.
Cette émission aurait pu aussi s’appeler Faits ou fakes ? La méthode Waleckx – une enquête à charge qui oublie de se regarder dans le miroir du pluralisme !

A moins qu’un titre miroir pour renvoyer inviter l’envoyeur à s’y regarder : Des infos ou désinfo ? La méthode Complément d’Enquête – parce que modifier un reportage en urgence après un désaveu de l’ARCOM, c’est de la rigueur journalistique ou de la bidouille ?
Réactions virulentes et questions sur le coût public
Pascal Praud a réagi vivement dans son édito du 28 novembre sur CNews : « RSF s’est appuyé sur une étude manifestement bidon et des paramètres de jugement biaisés. » Il défend la rigueur de CNews tout en critiquant les méthodes de l’émission et l’intervention de l’ARCOM.
«RSF s’est appuyée sur une étude manifestement bidon, et des paramètres de jugement biaisés» : l’édito de @PascalPraud dans #HDPros pic.twitter.com/275wC9JMl5
— CNEWS (@CNEWS) November 28, 2025
D’autres voix interrogent le coût de Complément d’Enquête et son objectivité, dénonçant un gaspillage d’argent public pour un « procès militant ». Le budget du ministère de la Culture pour 2026 s’élève à 8,3 milliards d’euros, dont une part substantielle pour les médias publics, en baisse de 200 millions par rapport à 2025. Des radios associatives craignent pour leur survie face à une réduction de 44 % du Fonds de soutien à l’expression radiophonique.
Un contexte plus large : labels, mensonges d’État et biais internationaux
Alors qu’Emmanuel Macron pousse pour un « label » distinguant les médias fiables des propagateurs de désinformation, inspiré de la Déclaration de Paris signée le 29 octobre 2025 par 29 nations pour promouvoir une information « indépendante et fiable » contre les deepfakes (fausses informations), des interrogations surgissent sur l’objectivité réelle. L’État n’est-il pas « l’artisan de ses propres mensonges », ses positions sur la covid, les déceptions économiques sur la dette et les retraites ? Les médias publics relaient souvent ces narratifs sans vérification, érodant la confiance.

Un sondage MISgroup pour France-Soir/BonSens.org révèle une crise profonde y compris pour les médias : 70 % des Français jugent les médias comme TF1 ou France TV non objectifs et 54 % veulent suspendre les subventions.

À l’international, le scandale de la BBC – un montage truqué d’un discours de Trump en 2024 menant aux démissions de Tim Davie et Deborah Turness en novembre 2025 – illustre un biais anti-Trump dans les médias publics. France TV adopte une ligne similaire, qualifiant sans preuve ni contradictoire Robert F. Kennedy Jr., ministre de la Santé de Trump, de « antivax » et laissant certains intervenants le traiter de « complotiste ». Cette hypocrisie est flagrante quand des sujets comme le « Pfizergate » – les SMS entre Ursula von der Leyen et Albert Bourla sur les contrats vaccins, refusés à la transparence malgré une condamnation de la CJUE en mai 2025 – sont invisibilisés. Ou encore quand le service public omet de mentionner que Google a fait des aveux

Un débat obscène qui révèle la déconnexion des élites
Cette polémique autour de Complément d’Enquête n’est pas qu’une querelle médiatique ; elle incarne la déconnexion croissante entre élites, gouvernements et population. Avec 84 % des Français voyant les médias comme propagandistes et 78 % estimant que le gouvernement agit contre leurs intérêts, la confiance s’effondre. Les contribuables financent ce système, mais exigent pluralisme et respect. Sans une symétrie réelle des critiques, ce débat obscène ne fait que nourrir la défiance, appelant à une réforme profonde pour restaurer une information véritablement libre et équilibrée. Elle est due à ceux qui paient.
Annexe : structure de l’analyse