La privatisation des imaginaires, par Evelyne Pieiller (Le Monde diplomatique, décembre 2025)


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Hans Haacke. – « Les Must de Rembrandt », 1986. En plein apartheid, cette installation pointait les liens financiers entre le groupe sud-africain Rembrandt et Cartier.

© ADAGP, Paris, 2025 – Hans Haacke – Photo : Wolfgang Neeb – Bridgeman Images

Le contraste est brutal, et l’opposition d’une évidence pénible : le Louvre, musée national, est ridiculisé le 19 octobre par un cambriolage spectaculaire ; la nouvelle Fondation Cartier pour l’art contemporain, qui vient d’ouvrir le 25 octobre, est fêtée le même jour comme un « îlot de prestige et de puissance » dans Le Monde. Un « îlot » à deux pas, précisément, du Louvre. Et du ministère de la culture. Tout un symbole.

L’ensemble suscita des commentaires dignes du bon sens le plus élémentaire. La « structure philanthropique » témoigne d’un bel « esprit pionnier », comme disent Les Échos (12 octobre), tandis que « le vol au Louvre signe un basculement entre une culture publique désargentée et usée, et des acteurs privés riches et agiles », selon Le Monde (31 octobre). Simple. L’une est nécessiteuse et rhumatisante. Les autres sont étincelants. La conclusion n’est pas trop difficile à tirer. Le service public de la culture fait ce qu’il peut, ce n’est hélas pas suffisant, mais on ne peut pas augmenter indéfiniment les subventions. Et encore moins en temps de crise. D’ailleurs, si l’on en croit le sondage de l’Institut français de l’opinion publique (IFOP) commandé par la région Pays de la Loire, le choix revendiqué par sa présidente, Mme Christelle Morançais, de couper très vigoureusement dans le budget culturel serait largement approuvé par ses administrés, en particulier les jeunes (18-34 ans) et les ouvriers. Soyons donc lucides, saluons la réussite du privé et « basculons » sans nostalgie.

Sauf que l’opposition privé-public n’a pas exactement une clarté cristalline. Et que c’est toute une histoire, impeccablement politique, qui se déploie sur plusieurs plans. La confrontation, réjouie ou lacrymale, entre le vieux musée et la conquérante fondation avalise de fausses évidences, naturalise l’idée d’une obsolescence inévitable d’une politique publique, dans la culture comme ailleurs. Trop chère, (…)

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