Le dernier repos de l’immigré, par Yassine Chaïb (Le Monde diplomatique, décembre 2025)


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Alain Guilhot. — Cimetière musulman de Bobigny, 2020

© Alain Guilhot – divergence-images

La mort en migration représente un « moment de vérité », quand éclate l’ambivalence d’une vie, « ni d’ici ni de là-bas », entre absence et double appartenance. Selon le sociologue Abdelmalek Sayad, qui a introduit le concept de « double absence », l’émigration elle-même serait une première mort, sociale et civique, une rupture avec la citoyenneté et les solidarités premières ; la mort physique viendrait ensuite clore cette mort inaugurale d’un être déjà amputé d’une part de lui-même.

« J’ai perdu ma santé ici. Je n’ai pas mis d’argent de côté. Je n’ai pas de maison : c’est la honte de revenir comme ça », nous confiait M. Rachid R., un chibani vieil homme ») né en 1957 en Algérie et hospitalisé à Lyon. Dans les entretiens recueillis auprès de migrants maghrébins en fin de vie revient sans cesse un sentiment de culpabilité : ne pas être rentré, avoir manqué à sa famille, ne pas avoir « tenu la promesse » du retour.

Ultime révélateur de la condition migrante, la mort conduit à payer une dette symbolique pour cette « faute intériorisée » qui sous-tend toute l’économie des retours : valises pleines de cadeaux, largesses lors des vacances, rapatriement du corps comme dernière offrande. Dans la mythologie des lieux mortuaires, mourir « là-bas » devient une manière de réintégrer la communauté. Choisir le lieu où reposent ses ancêtres concrétise aussi un secret désir de rester en famille, qui semble jaillir comme un dernier réflexe de sécurité, d’apaisement. La dette symbolique apparaît également dans la sphère religieuse, sous forme de repentir et de quête d’une « bonne sortie du monde ». Confesser, demander pardon, accomplir les rites : autant de gestes qui visent à rendre la mort acceptable, à soi et aux autres.

Pour les premières générations, le rapatriement des corps reste au cœur du projet migratoire. « Tous les migrants partent pour revenir un jour, du moins le croient-ils et le disent-ils », (…)

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