Qu’est-ce que l’héroïsme ? De prime abord, cette notion peut sembler renvoyer à la mise en scène narcissique d’une personne. Cette notion est volontiers accaparée par la suprématie blanche et masculine pour asseoir son statut social et ses valeurs dites supérieures. Par opposition, l’héroïsme peut inspirer du rejet du côté des militant·es dits progressistes. Faut-il alors délaisser ce concept, ou bien se le réapproprier à la faveur d’une dynamique collective qui œuvre pour le bien commun ?
Héroïques est le titre de la nouvelle revue Fsociété, actuellement en prévente, dont l’objectif est de « renverser la rhétorique du héros bourgeois, blanc, occidental, qui aime se contempler en tant que sauveur du monde et des cultures qu’il méprise. »

Redonner du sens aux mots
Les définitions courantes du racisme ne rappellent pas toujours que la hiérarchie raciale utilisée aujourd’hui a été construite par les Européens et qu’elle plaçait les personnes blanches en haut de l’échelle. Dans cette perspective, le racisme est un système historique qui vise principalement les personnes non blanches. C’est pourquoi, selon cette approche, on ne peut pas parler de « racisme anti-blanc » comme d’un système de domination comparable. Cette mise au point permet de répondre à l’argument selon lequel parler de racisme serait en soi raciste : cet argument ignore l’histoire et le fonctionnement réel de ce système.
De la même manière, la culture occidentale parvient à s’approprier l’acte héroïque et à le monopoliser dans l’imaginaire collectif. On pense particulièrement au « complexe du sauveur blanc » (white saviourism en anglais), qui désigne le sentiment de devoir de l’homme blanc occidental de venir en aide aux populations du tiers-monde (en particulier africaines et asiatiques), en s’exposant héroïquement et en revendiquant par la même une supériorité culturelle.
Lutter contre le complexe du sauveur blanc ne revient pas à abandonner les cultures étrangères, mais au contraire à respecter leurs savoirs et leurs pratiques, sans chercher à imposer un mode de vie occidental. L’aide humanitaire ne peut se faire sans politisation ni lutte décoloniale. Sans quoi elle ne fait que reproduire les inégalités sociales qui profitent à l’Occidental désireux de conserver l’image du « sauveur blanc », et la gratification sociale qui s’en suit.

Faut-il délaisser le concept d’héroïsme ?
Nous avons demandé à plusieurs abonné·es Fsociété ce qu’ils pensent du concept d’héroïsme. Plusieurs internautes ont exprimé une certaine forme de réticence, soit vis-à-vis de sa connotation bourgeoise, soit pour sa dimension individuelle, ou encore pour son usage en inadéquation avec l’idée d’un militantisme collectif.
Selon Odile Maurin (interrogée sur Bluesky), l’héroïsme n’est pas banal : « c’est quand quelqu’un donne réellement sa vie pour les autres. » La lutte sociale, la défense des plus démunis, devraient donc aller de soi et ne nécessitent pas une telle mobilisation courageuse et sacrificielle : « agir en conscience, ce n’est pas être héroïque, c’est simplement être en conformité avec soi-même. »
Ce qui déplaît également dans le concept d’héroïsme, c’est sa dimension religieuse. Pour Léa Mesnil, l’héroïsme est valorisé et construit par une vision occidentale « essentiellement monothéiste ». D’autres préfèrent délaisser ce terme à la bourgeoisie.
BikingDog (Bluesky) choisirait par exemple les termes de courage ou d’abnégation, « par envie de liberté, de créativité et d’espoir pour le futur ». Il considère en effet que le héros bien qu’admiré par le peuple, s’en extrait : il est le modèle à suivre, un individu exceptionnel, que l’on aurait tendance à idéaliser, à romantiser. Alors que le véritable « héros », ou plutôt le courageux selon l’internaute, n’a pas besoin de lumière :
« Ceux qui étaient applaudis lors de l’épidémie de Covid, ils n’ont pas besoin de figurer dans les romans ni même dans les journaux : ils sont partout et sont reconnus par leur entourage, ils sont la maille du tissu social, pas un écusson arboré ou envié par autrui. »
Héros du quotidien
L’acte héroïque est-il exceptionnel, réservé à une élite, un désir narcissique, ou bien ordinaire ? Si l’on décide de céder ses dimensions de domination et de distinction sociale à la classe bourgeoise, alors il convient de le délaisser et le connoter péjorativement.
L’autre option est celle de la réappropriation par les publics dominés, mais aussi sa redéfinition autour des valeurs d’altruisme, de dévouement aux causes sociales et à l’intérêt général. G.R.K. (Bluesky) a choisi d’illustrer quelques exemples d’héroïnes et de héros, qui ne cherchent aucune reconnaissance ou validation, mais qui luttent pour autrui jusqu’à « mettre en péril leur intégrité, tant physique que psychologique ou financière » :
Ces bénévoles qui organisent des maraudes nocturnes et subissent « quotidiennement des injustices, exactions, brimades et autres humiliations, tant physiques que psychologiques et souvent administratives, par les milices d’un État dorénavant fasciste. » Ces écologistes qui mettent leur vie en danger contre le projet d’autoroute A69. Ces militant·es qui « ne lâchent rien pour préserver le peu d’acquis sociaux qui restent aux handicapé·es et aux malades ». Les exemples sont ainsi nombreux, peu médiatisés ou, quand ils le sont, discrédités, parfois même criminalisés.

Un héroïsme collectif ?
Ce qui revient le plus parmi les abonné·es, c’est l’idée que l’héroïsme devrait être avant tout collective. Sa dimension trop individuelle impliquerait une dérive narcissique, une volonté de se mettre en avant et d’être bien vu. Selon Etienne Fontan, « le vrai héroïsme est collectif et ancré dans la lutte quotidienne, loin des récits bourgeois qui tentent de se l’approprier ».
Alors que pour Isidro (Bluesky), il s’agit également d’être attentif au narratif guerrier et viriliste de l’héroïsme : « si l’on veut opposer la rhétorique bourgeoise du héros, souvent guerrier, souvent mâle, alors l’héroïsme n’est pas individuel mais collectif ».
La dimension individuelle repose également sur une certaine passivité, dans l’attente qu’un être providentiel résolve tous les maux de la société, mais repose aussi sur le mythe capitaliste où l’individu ayant le pouvoir serait sain, doté de bonnes intentions et « représente une solution de transformation du monde » (dixit Le poisson noir sur Bluesky).
En somme, la perception de l’héroïsme semble ambivalente, entre le rejet d’une bourgeoisie qui se distingue et s’accapare les valeurs d’héroïsme dans l’objectif d’accroître leur domination ; et la volonté de mettre en avant ces publics dominés qui luttent pour le bien commun.
Dans le nouveau numéro Fsociété Héroïques, en prévente jusqu’au 19 décembre, vous trouverez plusieurs articles sur le thème du militantisme et le parti pris d’une redéfinition de l’héroïsme en faveur des dominé·es et des activistes. Est également inclus un jeu Labyrinthe participatif sur le thème de la Flottille pour la liberté. Plusieurs articles sont en accès libre sur Mr Mondialisation :
– Benjamin Remtoula (Fsociété).
Photo de couverture : Dimanche 7 juillet 2024, un rendez-vous avait été donné par les soutiens du #NFP pour se retrouver place de la République à Paris. Reportage @tiphaine_real pour Mr Mondialisation

