
Un vent révisionniste, célébrant une supposée « mission civilisatrice », souffle — d’un certain bord — sur l’histoire de la colonisation de l’Algérie. Deux historiens et un témoin viennent rappeler la brutalité des faits. De la monarchie constitutionnelle au Second Empire en passant par la IIe République, Alain Ruscio remonte, dans une somme indispensable, aux origines de la présence française en Algérie, auparavant largement sous autorité ottomane (1). Dans une étude approfondie de cette colonisation féroce, il détaille avec une grande précision, en s’appuyant sur des archives militaires, les étapes de cette « première guerre », et nomme les objectifs réels d’une conquête qui sera particulièrement longue et meurtrière. Au-delà des raisons affichées (la sécurité en Méditerranée occidentale, la menace des pirates, les fameux « Barbaresques »), c’est la volonté d’accaparement des terres, justifiée par la nécessité de résoudre l’instabilité sociale en France, qui anime cette entreprise. À partir de 1848 se met en place une colonisation de peuplement, qui implique de déposséder par la force les propriétaires légitimes des terres — le droit coutumier est volontairement ignoré par le projet colonial — pour leur substituer des dizaines de milliers de pauvres des classes populaires françaises, et des proscrits. Viendront ensuite Italiens, Maltais, Espagnols…
Ruscio dresse la liste des exactions de l’armée, confrontée à la résistance algérienne : décapitations, razzias entraînant la mort par la faim des populations « indigènes », viols, enfumades, massacres de civils. La notion de races inférieures, alors largement théorisée (même s’il existe une « mouvance anticoloniste »), a contribué à justifier les crimes de masse. L’historien étudie également le sort des soldats français, soumis à la violence de leurs officiers. Seule une minorité meurt au combat ; ce sont les maladies, les conditions climatiques et la faim qui furent les principales causes des décès.


Éloïse Dreure, avec Des communistes en situation coloniale (1920-1939), issu de sa thèse, revient quant à elle sur la genèse tumultueuse du Parti communiste français (PCF), son influence en Algérie, le rôle du Parti communiste algérien (PCA), créé en 1936 à partir des fédérations algériennes du PCF (2). Les communistes en Algérie, issus souvent de la population européenne (en 1937, sur 55 000 membres du PCA, seuls 2 000 sont Algériens), étaient en principe soumis à la 8e condition de l’Internationale communiste (IC) : pour adhérer à l’IC, un parti doit lutter pour l’indépendance des peuples colonisés et contre l’impérialisme des pays capitalistes. Dès 1928, l’IC avait avancé l’idée d’« une république indigène indépendante ». Or cette condition entre en contradiction avec les « résistances mentales [des communistes algériens], nourries de l’idéologie coloniale et de leur position privilégiée au sein de la colonie ». De la naissance du PCF à la montée du fascisme, qui la fera passer au second plan, l’histoire des communistes en Algérie est marquée par cette question. La répression sera toujours violente, plus encore qu’en métropole, et s’attaquera surtout aux militants non européens.
Des décennies après la mort de leur père, l’écrivain et peintre Bernard Ponty, ses filles découvrent le journal qu’il a tenu en 1960 (3). Une plongée dans l’horreur d’une guerre coloniale imposée à ce jeune humaniste, un appelé parmi d’autres. Elles le publient, avec une postface de l’historienne Raphaëlle Branche. Il se lit comme un mutisme troublé, des mots arrachés au silence.