La question noire aux États-Unis


Cet article poursuit une réflexion engagée par la publication de mon étude « Malcolm X, une destinée brisée » (https://fnlp.fr/wp-content/uploads/2025/09/malcolm-X_v2_compressed.pdf et https://www.legrandsoir.info/malcolm-x-une-destinee-brisee.html), il sera suivi d’une autre présentation sur Franz Fanon. Cela traite, sous des angles différents, mais complémentaires de la Question noire et comment la faire triompher dans le monde comme une solution et non comme un problème, c’est-à-dire en essayant de répondre à la problématique de la Question Noire.

Aux USA, contrairement à la France et à l’Angleterre, il s’agit bien d’un problème de « minorité », mais en aucun cas d’une Question coloniale ou d‘Immigration. Au moment de la Traite des esclaves, les États-Unis n’étaient pas une puissance coloniale, ni en Afrique ni ailleurs. Ce qui n’était pas le cas des autres pays cités.

En France, il y a véritablement une Question coloniale et ce ne sont pas les billevesées sur l’Intégration/Assimilation qui peut régler en quoi que ce soit le problème. Les Indigènes de la République ont raison, au moins là-dessus : « Nous sommes ici, parce que vous étiez là-bas », ce qui ne peut s’appliquer pour les USA.

Il y a bien sûr des aspects communs, prégnants : le racisme, la xénophobie, les discriminations, le refus de l’Égalité, mais cela s’inscrit dans une autre nature des choses. Aux USA, le Peuple Noir est une partie constitutive de la Nation Nord-Américaine, on ne peut pas dire de cela des Immigrés en France au moment de la Constitution de la Nation à partir de 1789. Mais là aussi, en France comme aux USA, c’est l’esclavage qui a permis l’accumulation primitive du Capital pour réaliser le Capitalisme et la Bourgeoisie dominante.

Mais aujourd’hui, personne ne peut nier que l’Immigration est partie constituante et intégrante de la France comme pays, car c’est la France qui a voulu étendre son emprise par et sur les colonies et le choc en retour était inévitable, comme conséquence directe. Il faut aussi noter que cela existe aussi par le fait que l’Immigration est partie constituée et intégrée dans la Classe ouvrière qui demeure la seule force de progrès pour changer la société et bâtir un monde nouveau d’Émancipation intégrale.

Le poids des mots

Jusque dans les années 1960 le terme de « Negro–e » est bien moins péjoratif et injurieux de « Nigger ». Marcus Garvey nommera son organisation pour le retour en Afrique : « Universal Negro Improvement Association ». « A chaque pas en avant des masses américaines, les Nègres ont joué leur rôle. Cependant, la plus importante des mobilisations nègres fut celle en faveur de Garvey.

Pourquoi ? Garvey était un réactionnaire. Il s’exprimait avec virulence mais il s’opposait au Mouvement ouvrier et préconisait d’obéir aux patrons. Une des raisons de son succès réside dans le fait que son mouvement était rigoureusement un mouvement de classe. Il en appelait aux Noirs contre les Mulâtres. Ainsi, il a brutalement écarté la classe moyenne qui est largement de sang-mêlé.

Il visait délibérément les plus pauvres, les plus piétinés et les plus humiliés parmi les Nègres. Les millions qui l’ont suivi, la dévotion qu’ils lui manifestaient et l’argent qu’ils lui donnaient montrent où se trouvent les forces les plus vives du mouvement des travailleurs, le puissant réservoir qui attend le parti qui saura en faire usage….

Par bien des aspects, le mouvement de Garvey fut le mouvement politique de masse le plus remarquable que l’Amérique ait jamais connu. Il ne faut pas oublier que Garvey n’avait rien promis aux Nègres et, en même temps, avait tout promis. Son organisation n’était pas un syndicat qui exigeait de meilleurs salaires, ni un parti politique qui ouvrait des perspectives pour réaliser un programme.

Il n’a rien fait d’autre que de parler de l’Afrique et, presque à la fin de son parcours, il a fourni un ou deux navires prenant l’eau qui ont fait une ou deux traversées hasardeuses. Mais le sentiment d’humiliation et d’injustice était si puissant parmi les Nègres et la confiance qu’ils mettaient en Garvey était si forte qu’ils lui ont donné tout ce qu’ils avaient, année après année, pour qu’il accomplisse quelques miracles. » (C.L.R. James)

Nation of Islam (première organisation où agit Malcolm X) va constituer son efficace Service d’Ordre sous le nom de « Black Muslims » et avec le temps, le terme de « Black », qui était celui utilisé par les esclavagistes, va s’imposer comme une marque de fierté, qui donnera les Blacks Panthers et le Black Power.

C’est le même retournement des mots qui, au début sont injurieux, et qui deviennent un élément d’identification positive. Le Drapeau rouge est levé comme signal du déclenchement de la répression féroce contre les Insurgés, il deviendra le symbole de la Révolution et des Révoltés. A l’époque de la Première Internationale en 1865, se crée une chanson « La Canaille », dont le premier titre sera « La Chanson des Gueux ». Et c’est à pleins poumons que les Communards chanteront avec force et vigueur comme un défi aux Versaillais : « C’est la canaille et bien j’en suis ! »

Aux USA, entre le Noir et le Noir, il y a le Blanc obligatoirement, tout est en référence avec le Blanc. C’est pour résoudre cette question que Malcom X a substitué au problème des Droits civiques qui restaient sur le sol du pays et qui était une imitation du Blanc, celui des Droits de l’Homme qui passait par l’Internationalisation du combat pour la pleine Émancipation et cela passait par l’Afrique. La question du Panafricanisme permettait une relation directe entre le Noir et le Noir sans plus passer par le Blanc.

Pour Malcolm X, revendiquer l’égalité avec les Blancs, c’est demander le droit d’être Blanc, alors qu’il revendique le Pouvoir des Noirs pour décider par eux-mêmes ce qu’ils sont et ce qu’ils veulent être. Partie constituante de la Nation nord-américaine, les Noirs doivent revendiquer le droit de dire ce que doit être l’Amérique, ou ne plus être, et pas seulement d’être une « pièce rapportée » que l’on consulte (au mieux) pour la forme.

En Caraïbe, le Nationalisme Noir se développe d’abord dans la petite bourgeoisie intellectuelle qui sert d’interface entre les descendants des esclaves (la majorité de la population) et la bourgeoisie blanche. C.L.R. James, à qui cet article doit beaucoup et dont je ferai beaucoup de citations, note que cette petite bourgeoisie noire va d’abord s’expatrier en Afrique pour affirmer son existence et se débarrasser des oripeaux des Blancs.

Et dans le même temps, les Noirs vont s‘approprier le terrain du Cricket ou d’autres sports pour affronter les Blancs oppresseurs, un peu comme les esclaves utilisaient la religion chrétienne de leurs maîtres pour se sentir égaux avec eux. La rupture passera, non par l’Athéisme, mais par l’Islam (voir mon article sur John Mayall et sur Malcolm X).

Sociologie d’une population

Le recensement de 1930 indique qu’il y a 12 millions de Noirs aux Etats-Unis pour une population totale de 122 millions d’habitants. 75 % d’entre eux vivent dans le Sud, 21 % dans le Nord, 1,3 % dans l’Ouest et 57 % dans des zones rurales. Au cours de la Première Guerre mondiale, 1 million d’entre eux avait pris le chemin des usines du Nord (par exemple, de 1910 à 1920, la population noire de Chicago passe de 44 000 à 110 000 personnes).

C’est au cours de la Seconde Guerre mondiale que s’opère une nouvelle migration massive vers la « Terre promise », du Sud vers le Nord et l’Ouest. À la fin de la guerre, ils seront 25 % à être installés dans les centres urbains du Nord et du Nord-Ouest. C’est au cours de la guerre, écrit Raya Dunayevskaya, que la question noire, de « question du Sud » est devenue « un problème concernant l’ensemble du pays ».

Au milieu des années 1960, quand s’amorce le mouvement pour les Droits civiques, seuls 50 % des Afro-Américains vivent encore dans le Sud ; 5 millions d’entre eux auront migré vers les grandes villes du Nord et de l’Ouest entre 1940 et 1970. (Source : Note du Traducteur de La Question Noire aux USA).

Il est aussi intéressant de voir que l’émergence d’une petite bourgeoisie noire pour collaborer avec le Pouvoir blanc eut rapidement ses limites. Le Président Truman essaya de faire alliance avec cette couche sociale pour l’opposer à la masse noire par le biais du Parti-Démocrate, mais les « Oncle Tom » selon Malcolm X ou le « Dixième talentueux » de W.E.B. Du Bois, ne purent jamais faire accepter l’oppression blanche par la majorité des Noirs. L’émergence de la « Conscience noire », », pour reprendre la formule de Steve Biko en Afrique-du-Sud, et du « Black Power, balayeront cela.

Il est assez curieux de s’apercevoir dans l’ouvrage de référence de C.L.R. James qu’Aimé Césaire (dont le « Toussaint Louverture » me semble bien meilleur que « Les Jacobins Noirs » de James) n’est pas cité, hormis une fois par son nom et que Malcolm X ne l’est que trois fois, par son nom aussi, sans approfondissement, alors que bien des analyses sont communes sur cette petite bourgeoisie noire et que celui-ci, comme je l’ai montré dans « Malcolm X, une destinée brisée » était en contact étroit avec les Trotskystes américains à la fin de sa courte vie. Il faut dire qu’à ce moment-là, C.L.R. James n’était plus Trotskyste.

La lutte contre l’oppression est nationale dans sa forme et internationale dans son contenu

La Révolution d’Octobre de 1917 va être un appel d’air à la lutte des Noirs un peu partout dans le monde. L’Internationale Communiste (Komintern) va impulser un véritable travail « Noir », il y aura un « Bureau nègre » dans l’Internationale syndicale rouge (Profintern). Quand le Stalinisme les fera rallier aux Fronts populaires et à la défense de l’Impérialisme blanc après la Troisième période, les dirigeants noirs comme George Padmore s’en détournent, il est même exclu pour avoir critiqué la « mise en sommeil du travail nègre ».

Pour Staline, il ne fallait pas effrayer la bourgeoisie blanche en mobilisant les colonisés et opprimés. Ainsi, après 1941 (et après aussi avoir renvoyé dos-à-dos les ploutocraties anglo-saxonnes, française et allemande) et le début de l’Opération Barbarossa, le PCF déclamera son amour de l’Empire français, l’Union nationale sacrée et patriotique passait par l’abandon de l’émancipation des colonisés.

Quand le Parti Communiste Américain tourne brutalement pour soutenir Roosevelt et l’effort de guerre en juin 1941, après le début de Barbarossa, les Noirs le désertent en masse, sur les 2 000 membres Noirs de l’État de New-York, 80% démissionnent, il en est de même dans tous les USA.

La concentration des esclaves dans les manufactures sucrières, comme à Saint-Domingue par exemple, amenait les Noirs à ressembler de plus en plus au Prolétariat moderne et non plus à des paysans. Ils allaient nécessairement emprunter les mêmes voies et moyens que le Prolétariat révolutionnaire. Plus ils étaient intégrés dans le processus de production, plus on leur déniait d’avoir des droits démocratiques et politiques. En quelque sorte, plus ils étaient intégrés, plus ils étaient expulsés, ce qui provoquait une tension politique croissante.

CLR.James note : « L’histoire politique passée des Nègres fournit des indications non négligeables sur le sens que pourrait prendre leur évolution politique. Le mouvement de Garvey, un des plus puissants mouvements politiques de masse jamais vus aux Etats-Unis, dissimulait derrière le slogan fantaisiste et réactionnaire de « retour en Afrique » l’aspiration (révolutionnaire dans son essence) à un Etat nègre. Les Nègres ne désirent pas plus retourner en Afrique de leur propre chef, que les Juifs allemands ne voulaient, avant Hitler, aller en Palestine. »

Il poursuit pour expliquer que le Peuple Noir voulait vraiment sa liberté et ne subissait pas passivement son esclavage. Dès le début de la Guerre d‘Indépendance des États-Unis, les Noirs sont là dans le combat révolutionnaire : « Les Nègres pensaient qu’avec cette guerre pour la liberté, ils pouvaient gagner la leur. On estime que parmi les 30 000 hommes de l’armée de Washington, 4 000 étaient des Nègres. La bourgeoisie américaine n’en voulait pas, mais ils s’y imposèrent. Les Nègres de Saint-Domingue aussi combattirent dans cette guerre.

Lorsque la monarchie française apporta son aide à la Révolution américaine, les Nègres des colonies françaises s’engagèrent dans le corps expéditionnaire français. Sur les 1 900 soldats français qui reprirent Savannah, 900 étaient des volontaires originaires de la colonie française de Saint-Domingue. Dix années plus tard, certains de ces hommes — Rigaud, André, Lambert, Beauvais et d’autres (certains mentionnent également Christophe) — avec l’expérience politique et militaire acquise, seront parmi les principaux dirigeants de la Révolution de Saint-Domingue. Bien avant que Karl Marx ne proclame « Prolétaires de tous pays, unissez-vous », la Révolution était internationale. »

Dans la Civil War (Guerre de Sécession), les Noirs sont là aussi à combattre contre l’esclavage. Lincoln dira clairement que sans les troupes noires, le Nord n’aurait jamais pu vaincre, tant par la perte de d’hommes pour le Sud que pour le gain pour le Nord, on estime à 220 000 noirs qui se battirent dans les rangs de l’Union. Le Peuple Noir a réellement forgé la Nation nord-américaine.

C’est le Mouvement ouvrier anglais, poussé par Marx qui soutenait Lincoln, qui rendit impossible l’entrée en Guerre de l’Angleterre aux côtés du Sud, ce qui était le projet des Tories britanniques. Cela nourrit le combat des Noirs pour l’Émancipation intégrale. Pour l’Empire britannique, il fallait plutôt un concurrent divisé entre le Nord et le Sud, donc affaibli, qu’un seul pays puissant et uni contre ses intérêts économiques, commerciaux, militaires et politiques.

CLR. James note ainsi : « Les mots de Liberté, Egalité et Fraternité, criés par des millions de Français à plusieurs milliers de kilomètres, ont tiré de leur torpeur un demi-million d’esclaves. Ces derniers ont été une préoccupation pour l’Angleterre pendant six ans et, pour citer Fortescue à nouveau, ont (pratiquement détruit l’armée britannique Qu’en est-il aujourd’hui des Nègres en Afrique ? Ceci n’est qu’un simple aperçu :

  • Afrique-Occidentale française : entre 1926 et 1929, 10 000 hommes se sont enfuis dans la forêt pour échapper à l’esclavage français.
  • Afrique-Equatoriale française : 1924, révoltes ; 1924-1925, révoltes, 1 000 Nègres tués ; 1928 (juin à novembre), soulèvement dans la Haute-Sangha ; 1929, un soulèvement dure quatre mois et les Africains mettent sur pied une armée de 10 000 hommes.
  • Afrique de l’Ouest britannique : 1929, révolte de 30 000 femmes au Nigéria, quatre-vingt-trois tuées, quatre-vingt-sept blessées ; 1937, grève générale sur la Côte-de-l’Or. Les agriculteurs sont rejoints par les dockers et chauffeurs de camion.
  • Congo belge : 1929, révolte au Ruanda-Urundi, des milliers de tués ; 1930-1931, révolte de Bapendi, huit cents personnes massacrées à Kwango.
  • Afrique du Sud : 1929, grèves et émeutes à Durban, le quartier noir est encerclé par les troupes et bombardé par les avions.

Depuis 1935, il y a des grèves générales, avec des fusillades contre les Nègres, en Rhodésie, à Madagascar, à Zanzibar. Aux Antilles, il y a eu des grèves générales et des actions de masses que ces îles n’avaient pas connues depuis la fin de l’esclavage, une centaine d’années auparavant. »

« En 1776, l’impulsion initiale ne fut pas donnée par les masses nègres ; la Révolution américaine aurait connu le même sort si aucun Nègre n’avait vécu aux Etats-Unis. Cependant, dès que commença la lutte révolutionnaire, les Nègres obligèrent la bourgeoisie révolutionnaire à inclure les droits des Nègres dans les Droits humains. Ils jouèrent un rôle important dans les affrontements militaires de la Révolution….

Dans le Sud, au sein du mouvement agraire des années 1890, les quelques un million deux cent cinquante mille paysans et semi-prolétaires nègres, organisés de manière indépendante au sein de l’Alliance nationale des fermiers de couleur, constituèrent une aile active et puissante du mouvement populiste. Ils furent des partisans actifs de la scission avec le Parti républicain et du projet de construction d’un Troisième parti ayant des objectifs sociaux et économiques. »

Quand le Mouvement abolitioniste de l’esclavage apparaît en 1831, lancé par Garrison, il se développera rapidement. Le Sud va alors réprimer férocement toute tentative de révolte, alors inexorablement la fuite massive vers le Nord va se développer et s’organiser à travers ce que l’on va appeler « l’Underground Railroad », une autoroute ferrée pour la Liberté. Des milliers de Noirs et de Blancs vont risquer leur vie pour les aider avec comme seul objectif : rejoindre le Nord. Des milliers rejoindront aussi les Indiens où ils seront très bien accueillis ; entre opprimés, on se comprenait.

Entre 1830 et 1860, on estime à 100 000 esclaves Noirs qui se réfugièrent dans le Nord. Pendant ce temps-là, les Républicains du Nord négociaient avec les Démocrates du Sud pour trouver un accord sur le dos des esclaves par le Fugitive Slave Act qui redonnait les esclaves en fuite aux esclavagistes, mais l’exode massif réduisait à néant toutes ces combinaisons honteuses et barbares.

On a beaucoup glosé sur l’adoption du 13e Amendement de la Constitution, décidée par Lincoln, mais l’Émancipation des Noirs n’était que celle dans les États confédérés et en rébellion avec l’Union (une liste précise fut établie en désignant nommément des paroisses et des comtés), et non dans tous les États-Unis et dans les États nouvellement constitués à l’Ouest. Le 14e Amendement proclamera que les Noirs sont reconnus comme des Citoyens des États-Unis.

C’est la mobilisation noire dans et après la Guerre civile qui finit par imposer le 15e Amendement qui donnait le droit de vote à tous les Noirs, mais qui fut quasiment combattu et vidé de sens très rapidement par la Législation raciste et discriminatoire dite « Jim Crow », juste après « la Reconstruction ».

La Guerre de Sécession, Abraham Lincoln, Karl Marx et l’AIT

Lors de la Civil War, Karl Marx et la Première Internationale était pour soutenir l’Union contre le Sud de manière très nette et ferme. Sous la dictée de Marx, l’AIT a envoyé une Déclaration de soutien et de félicitation à Abraham Lincoln pour sa réélection en 1864. Rappelons que s’il avait été élu en 1860, c’était aussi le produit de la division du camp Démocrate qui avait deux candidats à la Présidentielle. L’élection de 1864 se chargeait d’un autre contenu.

Marx considérait que si l’Émancipation des esclaves était obtenue, cela constituerait un grand pas en avant pour la Classe ouvrière et que cette question devenait centrale pour l’AIT. Il considérait que la lutte était entre « le Travail libre » et « l’esclavage », et en 1861, il écrivait : « La lutte a éclaté parce que les deux systèmes ne peuvent plus coexister pacifiquement sur le continent nord-américain. Elle ne peut se terminer que par la victoire de l’un ou de l’autre. »

La Déclaration proclamait comme un Principe « Travail libre, Terre libre, Hommes libres » ; elle dénonçait que pour la première fois, une rébellion armée se faisait au nom de l’esclavage ; et elle considérait que si la Guerre d’Indépendance (1775-1783) avait permis l’essor de la Bourgeoisie, la Guerre contre l’esclavage aura le même effet pour la Classe ouvrière.

Il faut observer que les générations des descendants des Émigrés européens étaient plus préoccupées par l’amélioration de leurs conditions de Travailleurs et de se doter d’une véritable représentation politique que de se procurer des terres. Marx et Engels estimaient que la fin de l’esclavage devait aboutir à la conquête de nouveaux droits politiques et sociaux pour l’ensemble des opprimés, quelle que soit leur couleur. En clair que la Guerre civile pouvait se transformer en Révolution sociale.

Lincoln répondit à l’AIT, en la remerciant de son soutien, par l’intermédiaire de Charles-Francis Adams, ambassadeur des États-Unis en Grande Bretagne : « Dans le conflit qui les oppose aux rebelles partisans du maintien de l’esclavage, les États-Unis considèrent leur cause comme celle du Genre humain, et puisent dans les déclarations des Travailleurs d’Europe de nouveaux encouragements. »

Tant que les Sudistes purent maintenir près de 400 000 hommes sur les champs de bataille, la Sécession pensait pouvoir durer, en profitant des contradictions du Nord, mais la radicalisation des Noirs emportait tout

Une guerre inévitable

Si Lincoln était plutôt philosophiquement contre l’esclave, même s’il « était contre de faire des Nègres de électeurs ou des jurés, non plus que de les habiliter à occuper des charges ou à se marier avec des Blancs » (18/09/1858 à Charleston), sa motivation profonde était qu’il désapprouvait la sur-représentation du Sud à la Chambre des Représentants, car celle-ci était calculée en intégrant le nombre de Noirs esclaves, alors que le Sud ne les considérait pas comme des citoyens pouvant voter (un Noir comptait pour 3/5e d’un Blanc). La Guerre eut lieu pour le Nord d’abord pour la préservation de l’Union, ensuite comme le disait Hegel, « le contingent réalisa le nécessaire » le combat prit la forme et le contenu d’une guerre contre l’esclavage.

Le Parti Républicain avait été constitué suite à la tentative des partisans du Sud d’imposer l’esclavagisme dans le Kansas, constitué en État en 1854, et cela vit une montée en masse dans tout le pays pour contrer cette offensive réactionnaire. Puis ce nouveau Parti se chargea d’un contenu politique et social dans une continuité logique pour défendre le Travail libre et interdire l’esclavage dans les États qu’il contrôlait.

De fait, l’esclavage des Noirs fut contenu et géographiquement limité au Sud, d’où l’impérieuse nécessité pour les esclavagistes de conquérir politiquement les nouveaux États crées lors des dépassements de la Frontière, pour accroitre leur puissance et résister à la force du Nord. A partir du moment où l’affrontement se faisait dans le même espace géographique étroitement imbriqué, et non délimité par des éléments comme la mer, la Guerre était inévitable.

De plus, le Parti républicain était pour la réforme agraire (semi-socialiste) qui imposait que tout homme souhaitant devenir fermier devait se voir doter de terre dans les États fédéraux, ce qui devient une loi en 1862. Cela était naturellement interdit pour les Noirs dans le Sud. Lincoln considérait que la cohabitation « Travail libre et esclavage » ne pouvait pas durer durablement.

Les Révolutionnaires de 1848, qui avaient fui l’Europe qui les pourchassait, participaient à la lutte militaire de l’Union. C’est ainsi que 200 000 Allemands combattront pour le Nord, il y aura même des régiments spécifiquement de langue allemande où 36 000 de ces 200 000 revêtiront l’uniforme bleu. Beaucoup, proches de Marx, avaient été membres de la Ligue des Communistes outre-Rhin.

Mais s’il y avait 180 000 Noirs dans l’Armée des Bleus et 10 000 dans sa Marine, contrairement aux Européens émigrés, notamment les Germano-américains et Irlando-américains, il n’y eut qu’une centaine qui furent Officiers, surtout en qualité de médecins et d’Aumoniers. Après la bataille décisive de Gettysburg, la citoyenneté était accordée facilement aux émigrants protestants venant de l’Europe-du-Nord, ce qui n’était pas le cas pour les esclaves libérés.

Le Peuple Noir et le Mouvement ouvrier

Par la place qu’ils occupent en tant que section la plus opprimée du Prolétariat et du fait de leur conscience de l’oppression nationale, les Nègres se sont toujours montrés dans leur ensemble fortement enclins à rejoindre les organisations ouvrières. L’exclusion des Nègres de l’American Federation of Labor (AFL) correspondait à la période de collaboration de classe pratiquée par la direction de l’AFL. Quand l’Industrial Workers of the World (IWW) déploya le drapeau du Syndicalisme militant parmi les sections les plus opprimées et les plus exploitées de la population laborieuse, les travailleurs nègres affluérent dans ses rangs et à sa tête. De plus, l’IWW fournit aux Nègres un programme social pour la régénération de la société, tâche à laquelle les Nègres se sont toujours montrés réceptifs. ..

Eugene Debs (1855-1926) était syndicaliste et militant politique. Il participa à la fondation des IWW et fut candidat du Socialist Party à la Présidentielle à cinq reprises. Sur la Question noire, Debs résumait sa position ainsi : « Nous n’avons rien de spécial à offrir aux Nègres, et nous ne pouvons lancer des appels séparés à destination de chacune des races. Le Socialist Party est le parti de la classe ouvrière dans son ensemble, sans aucune considération de couleur ».

Debs pouvait cependant passer pour un « défenseur » des Noirs, au vu du racisme qui imprégnait alors le mouvement socialiste, et notamment de larges fractions de son parti. Ahmed Shawki précise : « Debs expliquait pourtant que les Noirs ne recherchaient pas l’ »égalité sociale » avec les Blancs et que le Socialisme ne forcerait pas ceux-ci à s’unir aux Noirs dans la sphère privée. La revendication de l’ »égalité sociale » était à ses yeux un chiffon rouge agité par les classes dirigeantes pour diviser les travailleurs » (cf. Ahmed Shawki, Black and Red, op. cit.)….

Les idées de Trotsky sur la Question nègre sont très clairement exprimées, bien qu’incomplètement, dans une discussion datant de 1939. En abordant le travail nègre, Trotsky se fondait sur les sentiments des masses nègres aux Etats-Unis et sur le fait que leur oppression comme Nègres était si intense qu’ils la ressentaient à chaque instant.

De tous ceux qui souffrent de l’oppression et de la discrimination, les Nègres ont été, de tout temps, les plus opprimés et les plus discriminés, et, de ce fait, ils constituent les éléments les plus dynamiques de la classe travailleuse. Le Parti devrait dire aux éléments conscients parmi les Nègres qu’ils ont été convoqués par le processus historique pour prendre leur place à l’avant-garde de la lutte de la classe travailleuse pour le Socialisme. Trotsky pensait aussi que si le Parti était incapable de trouver une voie pour atteindre cette couche de la société, au sein de laquelle les Nègres occupaient à ses yeux une place très importante, cela constituerait un aveu de sa faiblesse révolutionnaire.

Bien que conscient de leur rôle dans l’avant-garde, Trotsky mît toutefois l’accent sur la conscience qu’avaient les Nègres d’être une minorité nationale opprimée. Quand l’occasion se présentait, il insistait toujours sur les conclusions politiques qui devaient être tirées du statut social des Nègres dans le Capitalisme américain depuis trois cents ans. Il annonçait souvent que des explosions raciales violentes pourraient avoir lieu et qu’à ces occasions, les Nègres se vengeraient de l’oppression et des humiliations subies….

Tandis qu’en Europe, les mouvements nationaux ont généralement eu pour objectif la Séparation d’avec leurs oppresseurs, aux Etats-Unis, la conscience de race et le chauvinisme des Nègres représentent fondamentalement un renforcement de leur puissance, dans le but de s’intégrer à la société américaine…

La Question nègre aux Etats-Unis, c’est-à-dire la question de l’esclavage au cours du 19e siècle, a suscité l’intérêt et la sympathie agissante du prolétariat international. L’émancipation des esclaves nègres et la Guerre civile sont indissolublement liées à la formation de la 1 re Internationale. La 3 e Internationale a reconnu l’aspect particulier de la Question nègre dans la Résolution sur « la Question nègre » qu’elle a adoptée à son quatrième congrès. Non seulement celle-ci a-t-elle réitéré le soutien de la 3 e Internationale aux luttes révolutionnaires des Nègres, mais elle a en outre consacré une section spéciale au rôle important que les Nègres des Etats-Unis pourraient jouer dans l’émancipation des Nègres du monde entier et en particulier de ceux d’Afrique.

Aujourd’hui, le processus historique et la désagrégation du Capitalisme ont élevé la Question nègre aux Etats-Unis à un degré supérieur dans ses rapports internationaux. Ce n’est pas uniquement parmi les masses britanniques que la Question nègre occupe une place de premier plan en tant que mesure de la démocratie américaine, mais c’est dans le monde entier, et particulièrement dans les pays orientaux, que la situation et la lutte des Nègres des Etats-Unis sont devenues un des critères grâce auxquels les nationalités opprimées évaluent les possibilités de leur propre émancipation. »

Trotsky dira, au moment du 4éme Congrès de l’Internationale Communiste (IC) dont il assume une grande part de la préparation : « 400 000 mille ouvriers de couleur ont été enrôlés dans les troupes américaines (en 1917-1918) où ils ont formé les régiments « Jim Crow »… On les a ensuite encore plus persécutés qu’avant la guerre pour leur apprendre à « rester à leur place ». Leur esprit de rébellion met les Nègres d’Amérique à l’avant-garde de la lutte de l’Afrique contre l’oppression ». Pour lui, il y a une double oppression : celle du Capitalisme et celle de la Domination blanche.

Le Bund, pourtant d’essence Menchévique, ne disait pas autre chose : « Nous ne sommes pas des étrangers ou des invités, même si le gouvernement nous considère comme tels. La richesse de ce pays est imprégnée de notre sang. Nous nous battons pour ce qui nous appartient, pour l’obtention de nos droits humains, civiques et politiques. Ce pays est le nôtre.. Nous y sommes attachés par des milliers de liens. Il nous appartient comme il appartient… à tous les peuples qui y habitent. »

La Chevalerie du Travail

C’est une forme réelle de Syndicalisme et de défense des intérêts des Travailleurs, sous une forme para-compagnonnique et maçonnique. Dans ma recension de l’excellent roman « Briseurs de grèves » de Valerio Évangelisti (La Raison de janvier 2026), je notais les choses suivantes : « Les Chevaliers du Travail (Knight of Labor) sont très bien décrits, avec leurs Initiations, les Rituels, Mots et Signes, le Secret et leur Symbole des 5 étoiles, ce qui intéressera sans nul doute les Francs-Maçons qui liront cet ouvrage… Leur devise : « Un tort fait à l’un est un tort fait aux autres » sera aussi repris par les IWW, ainsi que leur chant, The Red Flag (le Drapeau Rouge). »

C’est aux USA qu’ils seront vraiment les plus importants et ils constituent avec le Socialist Labour Party, les deux formes d’organisation politique du Prolétariat à la fin du XIXe et début du XXe siècle. Engels notera que c’était « un paradoxe bien américain de combiner une tendance des plus modernes avec un costume des plus médiéval, qui cache l’esprit le plus démocratique, voire le plus rebelle derrière un despotisme apparent… Et que c’est là d’où sortira l’avenir du Mouvement ouvrier américain et avec lui, l’avenir de la société américaine en général. »

En 1886, la Chevalerie du Travail compte 700 000 adhérents, elle prône la création de Coopératives ouvrières et veut faire interdire le travail des enfants et des prisonniers. A partir de 1878, elle accepte dans ses rangs les Noirs et les Femmes.

Minorité nationale ou Minorité raciale ?

Ce 4éme Congrès du Komintern avait reconnu la possibilité de créer des Syndicats noirs, spécifiques, si cela s’avérait nécessaire. Poursuivant sa réflexion, Léon Davidovitch dira en 1939 que l’on pouvait construire une représentation politique pour les Noirs à part, « une organisation spéciale pour une situation spéciale », le Parti Noir.

Il poursuivait la réflexion entamée lors de la Révolution d’Octobre sur les minorités, quand il exigeait, contre la bureaucratie naissante, que les fonctionnaires de l’URSS parlent obligatoirement la langue de la population où ils exerçaient, pour ne pas se comporter en « Grands-Russes ». Il avait été frappé, sur cette question des Minorités, par cette inscription à Petrograd en octobre 1917 : « A bas le Juif Kerenski, vive Trotsky ! ». Cette question des Minorités charrie inévitablement des scories du Vieux-Monde, mais le « Politique » (Trotsky) l’emportait sur la minorité (le Juif).

Dans les discussions qu’il mène en 1933, recevant une délégation de la Ligue Communiste d’Amérique (le nom que prennent les Trotskystes américains avant la décision de proclamer la IVe Internationale en 1938 du fait de la faillite du Kominterm stalinien), il ne s’oppose pas à la revendication du Droit à l’auto-détermination du Peuple noir aux USA et au droit d’avoir un État séparé pour les Noirs.

Ceux-ci sont-ils une minorité nationale ou une minorité raciale ? Il n’y a rien qui les distingue comme « Nationalité », pas de culture propre, pas de langue propre, pas de religion propre, pas d’intérêts fondamentaux ou particuliers qui les opposeraient en particulier avec les Travailleurs Blancs et d’un certain point de vue, ils sont intégrés dans le pays.

Trotsky estime que la revendication de l’Égalité (position libérale) s’oppose à celle de l’Autodétermination (position démocratique). Si le Prolétariat noir s’unit avec la petite bourgeoisie noire, c’est parce que sa conscience de classe n’est pas suffisamment avancée pour la défense de leurs droits élémentaires. La revendication de l’Égalité est la première marche, mais l’Autodétermination est une revendication démocratique bien plus élevée.

Dans la discussion quand C.L.R. James estime que l’Autodétermination serait un pays en arrière (dans une optique d’un futur État « socialiste ») et qu’il faut lutter pour que les ouvriers Blancs tendent la main aux ouvriers Noirs, Léon Trotsky lui répond que c’est trop abstrait, car cela ne sera possible que quand la masse noire sentira que la domination blanche n’est plus. « Combattre pour la possibilité de réaliser un État indépendant est un signe d’un sérieux réveil moral et politique. Cela constituerait un formidable pas en avant révolutionnaire. »

Il aborde aussi d’une certaine manière la Question religieuse. Il n’est pas pour fermer la porte aux croyants, mais c’est l’action de classe, au moment décisif, qui organisera la fracture entre ceux qui combattent en allant sur le champ de bataille et ceux qui iront à l’église. C’est le mouvement pratique qui réglera le problème et qui démasquera la religion comme une impasse, « comme un Opium du peuple » qui annihile la volonté de combattre.

La Question du lynchage

« Dans le Sud, la population nègre est particulièrement concentrée dans la vieille Black Belt. Ils y représentent souvent la moitié de la population. Dans cette zone, écrit Raper, le Nègre est plus préservé du lynchage que partout ailleurs. Pourquoi ? « Dans la Black Belt, (La « ceinture noire ». Son nom vient de la forme de croissant d’un ensemble de treize Etats où vivaient une majorité de Noirs : l’Alabama, l’Arkansas, la Floride, la Géorgie, le Kentucky, la Louisiane, le Maryland, le Mississippi, la Caroline du Nord, la Caroline du Sud, le Tennessee, le Texas et la Virginie), les relations entre les races tournent autour du système de la plantation dans lequel le métayer et le manœuvre nègres sont indispensables d’un point de vue pratique. Les situations économiques et culturelles respectives des masses blanches et nègres sont bien définies et fort différentes. »

« Les lynchages qui peuvent cependant s’y produire (dans le Sud) sont d’un type particulier, qui correspond à la configuration économique et aux conditions politiques et sociales qui y prévalent. Arthur Raper écrit : Le lynchage propre à la Black Belt est une sorte de transaction commerciale. Les Blancs, surtout ceux appartenant à la classe des planteurs conscients de leur dépendance vis-à-vis du travail nègre, recourent au lynchage pour préserver les relations traditionnelles entre le propriétaire et le métayer et non pas pour assouvir une vengeance raciste. Les Blancs de la Black Belt exigent que le Nègre reste en dehors de leur politique et de leurs salles de restaurant. C’est ainsi que les Nègres resteront dans leurs champs et dans leurs cuisines.

Il n’y a pas là-bas [dans le Sud] d’« hystérie généralisée ». La foule lyncheuse y est en général peu nombreuse. Selon l’étude de Raper, la foule agit de façon routinière […l avec une précision d’horloge ». Dans ces zones, la politique est l’affaire des employeurs blancs. Le Nègre ne doit pas s’en mêler. Les élus du comté sont les agents directs des planteurs et ils sont largement rétribués. Ainsi, par exemple, le shérif du comté de Bolivar a perçu quarante mille dollars en 1931, soit dix fois le salaire du gouverneur du Mississippi. Dans les plantations de la Black Belt, où persiste un régime esclavagiste modifié, tout délit commis par les Nègres n’ayant aucune propriété est considéré comme une affaire de main-d’œuvre qui doit être traitée par le propriétaire blanc ou par ses contremaîtres. »

« Dans son livre, Judge Lynch, paru en 1938, Frank Shay dresse le portrait de l’autre forme de lynchage, celle qui voit une foule prise de sauvagerie dépecer le corps des Nègres qu’ils ont brûlé. Cette foule, dit-il, est composée d’hommes jeunes, âgés de moins de vingt-cinq ans, et de quelques rares de tous âges : (Ce sont des Blancs nés aux Etats-Unis, essentiellement des défavorisés, des démunis, des chômeurs, des dépossédés, et n’ayant aucune attache. [ …)

Ce sont des garçons d’épicerie, des garçons de café, des salariés mal payés occupant des emplois ne demandant ni qualification ni intelligence ; des emplois qui pourraient largement être occupés de manière plus compétente par des Nègres qui seraient encore plus mal payés. Dans les communautés rurales, cette foule est faite de journaliers et de manœuvres, de métayers aigris, ceux qui de naissance ou par les situations qu’ils ont occupées sont liés à leur localité.

Nous y sommes. Leurs vies ruinées, leur détresse, leurs échecs et leurs craintes les amènent périodiquement à assouvir leur colère contre le système en terrorisant les Nègres, qu’ils considèrent comme leurs plus grands ennemis et que leur éducation leur a enseigné à tenir dans le plus grand mépris. Là encore, le lynchage est lié au système économique et même les formes très particulières qu’il prend sont déterminées par les relations de classes spécifiques existant entre les deux races. »…

« Raper fait une observation véritablement étonnante. Alors que les possédants blancs permettent une certaine liberté aux Nègres et qu’ils n’ont pas besoin de leur force de travail, ils sont de ce fait indifférents à leur persécution par les Blancs pauvres. Dans la Black Belt au contraire, les planteurs protègent leurs serfs nègres de l’hostilité des Blancs pauvres. Ils ne peuvent permettre que leur force de travail soit affectée par une force de travail rivale. Si quelqu’un doit être lynché, ils le feront eux-mêmes, de manière méthodique et organisée.

Une dernière chose. En étudiant les données recueillies par Woofter, Raper montre qu’entre 1900 et 1930, à chaque fois que le prix du coton était au-dessus du prix habituel, le nombre de lynchages descendait au-dessous de la moyenne. Et quand le prix du coton descendait, le nombre des lynchages grimpait. »

On estime qu’entre 1884 et 1899, il y eut plus de 3 000 victimes des lynchages, majoritairement des Noirs, mais aussi des Syndicalistes Blancs, des Chinois et des Mexicains.

Abel Meeropol, Juif d’origine russe, membre du Parti Communiste Américain fera un poème « Strange Fruit » en 1937 suite à un lynchage dans l’Indiana qui sera repris en chanson par Billie Holiday. La première strophe disait :

« Les arbres du Sud portent un étrange fruit,

Du sang sur les feuilles et du sang aux racines,

Un corps noir qui se balance dans la brise du Sud,

Étrange fruit suspendu aux peupliers »

Cela aura la même force que « Bloody Sunday » chanté bien plus tard par U2 en Irlande, c’était un hymne à la Liberté.

Glossaire

L’ouvrage « Karl Marx/Abraham Lincoln : une Révolution inachevée, Sécession, Guerre civile, esclavage et Émancipation aux États-Unis » se termine par un Glossaire très intéressant, que je vous recommande) dont j‘ai extrait ces quelques explications :

♦ Booth, John Wilkes (1838-1865) : Conspirateur sudiste, il assassine Abraham Lincoln le 14 avril 1865, quatre jours après la capitulation des forces armées confédérées.

♦ Brown, John (1800-1859) : Abolitionniste radical, il préconise le recours à l’insurrection armée pour abolir l’esclavage. Il est jugé et pendu après avoir tenté de s’emparer d’un dépôt d’armes à Harpers Ferry (Virginie) en 1859 en espérant ainsi déclencher une insurrection. Alors que Lincoln le décrit comme un fanatique, Henri-David Thoreau écrit un plaidoyer en sa faveur, ainsi que Victor Hugo qui tente d’obtenir sa grâce : « Le meurtre de Brown serait une faute irréparable. Il ferait à l’Union une fissure latente qui finirait par la disloquer. Il serait possible que le supplice de Brown consolidât l’esclavage en Virginie, mais il est certain qu’il ébranlerait toute la démocratie américaine […] Oui, que l’Amérique le sache et y songe, il y a quelque chose de plus effrayant que Caïn tuant Abel, c’est Washington tuant Spartacus ».

♦ Congrès de Montgomery : Congrès fondateur de la Confédération sudiste. Il réunit, le 4 février 1861 à Montgomery (Alabama), les six États ayant fait sécession de l’Union (Caroline du Sud, Géorgie, Floride, Alabama, Mississipi et Louisiane). Le Texas rejoindra la Confédération le 2 mars, les 4 États-frontière esclavagistes (Virginie, Arkansas, Caroline du nord et Tennessee) y adhèreront le 4 mai.

♦ Fugitive Slave Acte : Adoptée en 1850 par le Congrès, cette loi est partie intégrante du compromis de 1850 entre le Nord et le Sud. Ce texte ordonne l’arrestation des esclaves en fuite réfugiés au Nord et leur renvoi chez leurs maîtres et punit ceux qui contreviendraient à cette disposition. À cette époque, des centaines d’esclaves trouvaient chaque année refuge dans les États-frontière et dans ceux du Nord. Le Vermont ayant adopté des mesures rendant la loi inapplicable, le Président Millard Filmore menace d’envoyer l’armée faire appliquer la loi. Cette dernière est déclarée inconstitutionnelle en 1854 par la Wisconsin. C’est en réponse à cette loi que Harriet Beecher Stowe publiera La Case de l’Oncle Tom (1852).

♦ Grant, Ulysses S. (1822-1872) : Chef d’État-major des armées de l’Union, candidat républicain, il est élu Président en 1868 et 1972. Le Quinzième amendement (1870) qui accorde les Droits civiques aux Noirs est adopté sous sa Présidence.

♦ Lee, Robert E. (1807-1870) : Originaire de Virginie, officier de renom, il est opposé à la Sécession. Il considère l’esclavage comme relevant de la volonté divine et apportant aux Noirs les bienfaits de la Civilisation. Il commande l’unité qui capture les insurgés de Harpers Ferry en 1859. Alors que Lincoln envisage d’en faire son chef d’état-major, Lee soutient la sécession de la Virginie. Général en chef de l’armée confédérée, il capitule le 9 avril 1865 à Appomatox. Pendant la reconstruction, il s’opposera à l’octroi du droit de vote aux affranchis et plaidera pour que les anciens Confédérés soient rétablis dans leurs droits civiques. Il est amnistié en 1865.

♦ Reconstruction : Désigne la période de refonte des institutions et de la société s’étendant de la fin de la Guerre civile à 1877 dans le pays tout entier, et en particulier dans les États du Sud.

En conclusion

Cette présentation de « la Question Noire aux États-Unis » constitue la deuxième partie d’une Trilogie portant sur la Question Noire de manière plus générale, la troisième partie sera constituée d’une présentation de Franz Fanon. Ces textes seront rassemblés dans le Numéro 33 imprimé de la Collection Arguments de la Libre Pensée et cela sera complété par deux articles de mon cru de la rubrique « Musique » de la Raison sur Fela Anikulapo Kuti et sur Femi Kuti. Bruno N’Diaye en fera la Préface.

Nous pensons que cela pourra intéresser le public des Internationalistes militants et que cela montrera que la Libre Pensée n’a pas de frontières ni d’horizon borné entre les êtres humains.

Christian Eyschen

Sources :

▪ Sur la Question Noire de CLR James – Éditions Syllepse – 252 pages – 16€

▪ Question Noire, Question Juive de Léon Trotsky par Danièle Obono et Patrick Silberstein – Éditions Syllepse – 190 pages – 12€

▪ Une Révolution inachevée, Sécession, Guerre civile, Esclavage et Émancipation aux États-Unis par Karl Marx et Abraham Lincoln – Éditions Syllepse – 297 pages – 21€

▪ Malcom X, Stratège de la Dignité noire par Sadri Khiari – Éditions Amsterdam – 125 pages – 10€



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