La colère des agriculteurs, mobilisés pendant des semaines contre la signature de l’accord UE-Mercosur, pourrait prendre encore une autre ampleur. Pékin ayant annoncé lundi 22 décembre de nouveaux droits de douane de 21,9 % à 42,7 % sur les exportations laitières de l’Union européenne. La Chine accusant Bruxelles de subventionner les producteurs et de porter préjudice aux concurrents chinois.
Fin 2023, la Commission européenne a lancé une enquête antisubventions sur les véhicules électriques chinois, soupçonnés de bénéficier de subventions déloyales menaçant les producteurs européens. Des droits provisoires étant imposés dès le mois de juillet 2024, variant de 17 % à 37,6 % selon les constructeurs (7,8% pour Tesla, 35,3 % pour BYD), en plus des 10 % de droits standards. Des mesures définitives adoptées en octobre 2024, marquant l’ouverture officielle du front douanier entre l’UE et la Chine.
La Chine dénonce des subventions, “infondé” et “inacceptable”
La riposte chinoise commence rapidement. Après une enquête antidumping sur les importations de porc européen, suivant celle déjà ouverte sur les eaux-de-vie de vin de l’UE, à l’image du cognac, Pékin applique des droits de douane provisoires. “À partir du 11 octobre 2024, les opérateurs importateurs doivent fournir la marge correspondante aux douanes de la République populaire de Chine”, avait annoncé le ministère chinois du Commerce. “Nous pensons que ces mesures sont infondées et nous sommes déterminés à défendre l’industrie européenne contre l’utilisation abusive d’instruments de défense commerciale”, a réagi la CE.
Les négociations entre les deux « superpuissances » sur les véhicules électriques ont connu des avancées partielles au fil des mois, sans aboutir à un accord total pouvant tempérer cette guerre douanière. Dès avril 2025, des discussions explorent un mécanisme de prix minimum pour remplacer les surtaxes, mais elles patinent face aux divergences des deux parties.
Parallèlement aux enquêtes sur le porc européen et les eaux-de-vie, la Chine avait également lancé une enquête antisubventions sur les produits laitiers européens (lait, crème, fromages frais et transformés). Prolongée déjà une première fois, les autorités chinoises viennent d’annoncer leurs conclusions. Le ministère chinois du Commerce a déclaré dans un communiqué que les “produits laitiers importés en provenance de l’UE sont subventionnés, ce qui cause un préjudice considérable à l’industrie nationale chinoise”.
De premiers droits de douane provisoires de 21,9 % à 42,7 % ciblant les fromages frais et transformés, les fromages bleus ainsi que certains laits et crèmes seront ainsi appliqués. La poudre de lait ne semble pas être concernée. Les taux définitifs seront annoncés le 21 février prochain, à la fin de l’enquête.
Pour Olof Gill, porte-parole de la Commission européenne, “cette enquête est fondée sur des allégations contestables et des preuves insuffisantes”. De ce fait, a-t-il déclaré, les “mesures sont par conséquent injustifiées et infondées”. L’exécutif européen avait déjà déposé une plainte auprès de l’Organisation mondiale du commerce il y a plus d’un an. La Commission examine actuellement les conclusions préliminaires et transmettra ses commentaires aux autorités chinoises », a-t-il ajouté.
Inquiétude des industriels en France
Mais les réactions sont encore plus vives en France. La ministre de l’Agriculture, Annie Genevard, a jugé “inacceptable” l’application de ces nouveaux droits de douane, exprimant sa détermination à “contester fermement cette décision” avec les autres États membres de l’UE.
Chez les industriels règnent aussi bien la colère que l’inquiétude. Selon François-Xavier Huard, le PDG de la Fédération nationale de l’industrie laitière, qui représente les géants privés du secteur comme Lactalis, Danone ou Bel, la crème, déjà taxée à 15 %, sera bien plus impactée que les fromages. Si Paris n’exporte vers la Chine que 6 000 tonnes sur les 34 000 tonnes de fromages européens, elle produit la moitié des 100 000 tonnes de crème vendues à la Chine.
L’annonce chinoise est “un choc, un coup de massue”, notamment “pour le groupe Savencia, qui possède les marques Elle & Vire, Caprice des Dieux ou encore Bresse Bleu, présent en Chine depuis plus de 25 ans et qui a été longuement montré du doigt par les autorités chinoises pendant leur enquête. François-Xavier Huard a annoncé une “phase de contre-argumentaire” avec Pékin. “Si ces montants-là devaient perdurer, une grande partie des exportations de crème et de fromage vers la Chine seraient menacées. Et derrière, des producteurs, des territoires, notamment la Normandie, seraient directement concernés”, explique-t-il, estimant que le message envoyé aux agriculteurs n’est une fois de plus « pas bon”.
Pour la Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL), ces nouveaux droits de douanes sont “une mauvaise nouvelle, susceptible d’entraîner des pertes de marchés”, alertant contre toute baisse de la rémunération des éleveurs par les industriels suite à une baisse de leur rémunération. En 2024, 370 millions d’euros de crème, lait et fromages ont été exportés depuis la France vers la Chine.
Il est à noter que la semaine dernière, la Chine a considérablement réduit ses droits de douanes sur le porc. De plus de 62 %, les taxes sur les produits porcins en provenance de l’UE passant à un taux moyen de 9,8 %. Les tarifs définitifs, qui vont de 4,9 % à 19,8 %, devant entrer en vigueur ce mercredi pour durer cinq ans.