Interventions militaires étrangères et contradictions sécuritaires en Afrique de l’Ouest : le cas nigérian, les non-dits stratégiques et les impératifs vitaux de protection de l’AES


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par le Dr. Eloi Bandia Keita

Introduction

Il arrive un moment où la prudence et les analyses mesurées ne suffisent plus. La répétition mécanique des mêmes scénarios sécuritaires en Afrique de l’Ouest impose une parole directe, documentée et sans langue de bois. La récente implication militaire américaine au Nigeria est officiellement justifiée par la lutte contre le terrorisme. Pourtant, une lecture rigoureuse des faits révèle des contradictions majeures, des causes profondes dissimulées et des risques stratégiques directs pour l’Alliance des États du Sahel (AES).

Le Nigeria, géant démographique et économique, se retrouve aujourd’hui au centre d’une logique d’ingérence étrangère qui instrumentalise le terrorisme comme prétexte pour sécuriser ses intérêts, notamment les ressources naturelles et le contrôle géopolitique de la région. Parallèlement, la vie des populations civiles, y compris des milliers de chrétiens, est sacrifiée au profit de considérations de pouvoir et de contrôle politique, ce qui révèle l’hypocrisie et l’incompétence des autorités nigérianes.

1. Ce que la science politique établit sans ambiguïté

Les travaux contemporains en relations internationales, en sécurité et en économie politique convergent sur un constat clair : la délégation prolongée de la sécurité affaiblit structurellement les États concernés. Les interventions prolongées en Afghanistan, Irak, Libye, Somalie ou au Sahel montrent que la présence militaire étrangère, loin de stabiliser les États, contribue à l’érosion de leur souveraineté, à l’accentuation des crises locales et à la fragilisation des populations.

L’analyse scientifique démontre que l’intervention militaire étrangère tend à créer une dépendance, réduit la capacité décisionnelle des États et alimente des dynamiques de conflit endémiques. La répétition de ces modèles en Afrique de l’Ouest ne peut être ignorée.

2. Les causes officiellement invoquées : un récit commode

La lutte contre Boko Haram est présentée comme l’argument central de l’intervention américaine. Cependant, les recherches montrent que ce phénomène s’enracine dans des causes socio-économiques, territoriales et politiques complexes que la seule force militaire ne peut résoudre. Pauvreté, marginalisation régionale, corruption endémique, crises de gouvernance et rivalités locales alimentent le djihadisme bien plus que les frappes aériennes ou l’entraînement militaire.

Ainsi, l’argument officiel est principalement un prétexte commode, qui masque les véritables objectifs de contrôle stratégique et d’exploitation des ressources.

3. Les causes réelles et dissimulées

Le Nigeria constitue un pivot stratégique majeur en Afrique de l’Ouest. Sa position géographique, ses ressources naturelles et son poids démographique en font un acteur central. La sécurisation de cet espace dépasse la question jihadiste et s’inscrit dans une logique de contrôle géopolitique régional.

Les États-Unis, par leur présence militaire et leurs alliances locales, ont créé un environnement où le terrorisme devient un instrument permettant d’intervenir librement et d’assurer l’accès aux ressources stratégiques. La présence américaine n’a jamais visé à éradiquer les causes profondes de l’insécurité ; elle sert avant tout des intérêts économiques et géopolitiques.

4. L’hypocrisie et l’incohérence du pouvoir nigérian

L’incohérence stratégique du Nigeria est flagrante. Le pays se montre prêt à intervenir militairement contre ses voisins pour des motifs politiques (comme au Bénin pour chasser des putschistes), mais demeure incapable ou peu disposé à frapper de manière décisive les sanctuaires jihadistes sur son propre sol. Cette asymétrie révèle une hiérarchisation des menaces qui place la préservation du pouvoir et des alliances politiques au-dessus de la protection réelle de la population.

La vie de milliers de civils, notamment des chrétiens, semble moins prioritaire que le maintien d’un pouvoir corrompu et docile aux influences externes. Cette hiérarchisation politique des priorités illustre l’hypocrisie et l’incapacité des autorités nigérianes à assurer la sécurité de leurs citoyens.

5. La défiance de l’UA et de la CEDEAO

Les organisations régionales, censées protéger la souveraineté et promouvoir la stabilité, ont montré leur incapacité à intervenir efficacement. La CEDEAO et l’Union africaine oscillent entre silence complice et interventions partiales, privilégiant des intérêts externes ou des régimes dociles plutôt que la défense réelle des peuples.

Cette défiance structurelle des organisations régionales augmente la vulnérabilité de l’AES, exposée aux pressions extérieures et aux contradictions stratégiques imposées par des puissances étrangères.

6. Menaces directes pour l’AES

Chaque implantation militaire étrangère autour de l’espace AES constitue un levier de pression stratégique. La perte d’autonomie doctrinale et la dépendance sécuritaire représentent un risque central pour l’alliance. Les contradictions nigérianes – frapper ailleurs mais pas contre Boko Haram – signalent que la région ne peut plus compter sur ses voisins pour une protection cohérente.

7. Réponse aux contre-arguments occidentaux

Le terrorisme est un symptôme et non la cause première des crises. Le droit international consacre l’égalité souveraine des États, et toute intervention doit respecter la volonté réelle des peuples. Les demandes d’assistance, souvent présentées comme libres, sont fréquemment dictées par des rapports de force et des pressions externes.

8. Stratégies de protection de l’AES

Face à ces enjeux, l’AES doit adopter une posture stratégique claire :

  1. Renforcer la doctrine commune : définir des principes de souveraineté et de défense partagée.
  2. Diversifier les partenariats : limiter la dépendance à un seul acteur externe et favoriser la coopération Sud-Sud.
  3. Contrôler toute coopération extérieure : chaque partenariat doit respecter les intérêts et la sécurité de l’AES.
  4. Investir dans la cohésion sociale et militaire : garantir une résilience interne face aux crises et aux manipulations externes.
  5. Veille stratégique et dissuasion : surveiller les mouvements militaires étrangers et préparer des réponses coordonnées.
  6. Tirer des leçons des incohérences nigérianes : analyser les contradictions pour anticiper les crises régionales et limiter leur impact.
Conclusion

Ce qui se joue aujourd’hui dépasse le Nigeria. Il s’agit d’un choix de modèle pour l’Afrique de l’Ouest : continuer sous dépendance sécuritaire et sacrifices de vies civiles, ou affirmer une souveraineté proactive et responsable. L’AES doit rester en veille, se préparer à dissuader toute ingérence et tirer des leçons concrètes des contradictions stratégiques autour de son espace.

On ne protège pas les peuples en sacrifiant leur liberté ; on les libère en refusant les chaînes prêtées sous couvert de sécurité.



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