Typhaine et Benoit Genty ont créé le sanctuaire des Poids Plumes, refuge pour les nouveaux animaux de compagnie, et préparent un projet inédit : un parc sensoriel qui invite les visiteurs à voir le monde à travers le regard des animaux. Entretien.
Dans une maison charentaise où cohabitent lapins, chinchillas, reptiles et psittacidés (perroquets, perruches, etc), Benoit et Typhaine Genty ont fait de leur quotidien un engagement total pour les animaux les plus négligés : les nouveaux animaux de compagnie (NACS). Leur association, le Sanctuaire des Poids Plumes, compte désormais 150 pensionnaires de 30 espèces différentes.
Au fil des années, le refuge est devenu un espace de soin, de médiation et d’apprentissage pour les humains comme pour les animaux. Aujourd’hui, si les fonds le permettent, le duo prépare un projet inédit, en France : un parc sensoriel permettant d’observer le monde à travers les perceptions des animaux. Une manière de prolonger leur conviction profonde : qu’entre humains bienveillants, quelque chose de juste peut être créé pour les animaux.

Mr Mondialisation : Mais alors qui êtes-vous ?
Typhaine Genty : « Je suis Typhaine Genty, la présidente du sanctuaire pour NAC des Poids Plumes, fondée il y a 10 ans. Je suis aussi référente petits mammifères pour la société Animho, où je donne des cours sur 12 petites espèces, puis maman de 3 enfants. Je viens également de terminer un livre sur la cause animale, que j’ai auto-édité. »
Benoit Genty : « Je suis Benoit Genty, vice-président du sanctuaire des Poids Plumes. À côté, je fais des objets de décoration en bois, je suis artisan-chantourneur, ce qui correspond à la découpe dentelle dans du bois pour faire des cadres, des boucles d’oreilles, etc… »

Mr Mondialisation : Pourquoi un sanctuaire pour les animaux ?
Typhaine Genty : « À l’époque, on voulait gentiment militer : on allait dans la ville, on faisait découvrir des produits végétaux, on avait l’idée de développer un projet autour de la médiation l’animal. Alors, on s’est lancé par amour pour les animaux.
Au début, nous accueillions des animaux de ferme. Mais d’autres associations se sont vite créées avec des terrains plus grands et plus adaptés, donc nous nous sommes focalisés sur les NAC.
Aujourd’hui, nos pensionnaires ont des installations vraiment spacieuses et ont créé du lien entre eux. On préfère qu’ils restent jusqu’à la fin avec nous, sauf exception. Aucun de nos protégés n’est à l’adoption. »

Mr Mondialisation : Pourquoi les NACS ?
Typhaine Genty : « Il y a très peu de solutions pour les NACS. Ce sont des petits animaux oubliés, laissés pour compte dans beaucoup de combats, oubliés des lois, et enfermés dans des cages.
Il y a également la réalité du terrain : quand on nous appelait pour un chat ou un chien, il y avait toujours une structure prête à l’accueillir, alors que pour les NACS, rien. Malheureusement, on a du mal à drainer des dons, mais tant pis, ça rend le combat plus beau. »

Mr Mondialisation : Envisagez-vous d’élargir à d’autres animaux ?
Typhaine Genty : « On se forme aux reptiles et aux psittacidés, des espèces qui sont souvent saisies, selon les dires de l’OFB. Cela demande des certificats spécifiques, que nous allons obtenir pour être opérationnels. À l’heure actuelle, on a à peu près 150 animaux de 30 espèces différentes, dans des volières, des terrains enclos, et des terrariums.
Mr Mondialisation : Quelles sont vos difficultés ?
Typhaine Genty : « On ne va pas se mentir : un projet comme celui-ci amène son lot de difficultés administratives. Les gens ne se rendent pas compte mais on est bénévoles.
Depuis le COVID, on parle beaucoup des entreprises en difficulté, mais pas assez des associations qui le sont encore plus, malgré leur utilité sociétale. De notre côté, on ne peut pas se plaindre : on a une équipe exceptionnelle dédiée aux animaux. Mais, on a de plus en plus de mal à avoir des bénévoles pour nous aider. »

Mr Mondialisation : D’où viennent généralement les animaux que vous accueillez ?
Typhaine Genty : « De saisies, de laboratoires, de transferts d’autres associations et on a aussi des animaux errants. Judy, par exemple, une chinchilla, a été trouvée dans la rue. Elle avait 2 membres fracturés et les deux yeux crevés. On a dû la faire énucléer et amputer d’une patte.
Après on a intégré une copine dans son enclos, car c’est une espèce grégaire (ndlr : Se dit d’une espèce animale qui vit en groupe ou en communauté). C’est une sacrée leçon de vie aussi pour nous : on râle parce que le lave-vaisselle tombe en panne, elle n’a plus ses yeux et plus toutes ses pattes et elle a l’air heureuse. »
Mr Mondialisation : Vous avez un nouveau projet sur le feu, qu’est-ce que c’est ?
Typhaine Genty : « Oui, nous voulons créer un parc animalier de loisirs avec un concept unique en France : inviter le public à adopter le regard des animaux. L’idée a germé juste après le COVID.
Nous avons traversé une crise très dure : notre budget est passé de 100 000 à 25 000 euros, nous avons dû nous séparer d’une partie des salariés et placer certains animaux. À ce moment-là, on s’est demandé si on allait pas tout arrêter.
Nous avions créé une telle communauté avec les IME, les ESAT, et toutes les personnes qui venaient se ressourcer à l’association. Tout cela était trop précieux pour être abandonné. En revanche, vivre uniquement grâce aux dons n’était plus viable.
Pendant quatre ans, nous avons donc travaillé à un modèle qui allierait nos convictions, notre éthique, et une vraie solidité économique. C’est ainsi qu’est né le projet de parc ! Dans ce parc, il y aura des animaux de sauvetage et des aires de loisirs inspirées de leur sensorialité. Le visiteur pourra découvrir le monde comme eux : comment ils voient, entendent, se déplacent…
Par exemple, des bacs de fouille permettront aux visiteurs de gratter le sol comme les cochons pour retrouver des objets ; des filets suspendus recréeront la légèreté et l’équilibre des oiseaux.
Pour l’univers des lapins, un tunnel végétal rétrécissant donnera l’impression de rapetisser pour entrer dans un terrier ; des enchevêtrements de bois XXL reproduiront le passage dans les broussailles. Nous avons même caché des silhouettes de prédateurs – humains, renards, buses – pour montrer ce que signifie vivre constamment aux aguets quand on est une proie. »
« Nous sommes partis de chaque espèce et de ses particularités, puis avons travaillé avec un constructeur d’aires de jeux pour créer des expériences immersives. »

Mr Mondialisation : Comment se découpent les zones ?
Typhaine Genty : « Le parc sera organisé en quatre zones : la mini-ferme, l’aérien, la zone de biodiversité et le ras du sol (pour les lapins et cochons d’Inde). On ne réalise pas à quel point la perspective change selon l’endroit où l’on se place : au ras du sol, par exemple, on ne voit plus du tout le monde de la même manière.

On y trouve aussi des panneaux éducatifs, des espaces pour enfants et adultes, ainsi qu’un snack 100 % végétal. C’est notre côté “grands enfants” : les aires de jeux sont conçues pour accueillir jusqu’à 150 kilos, pour que tout le monde puisse en profiter.
Toutes les zones reposent sur les mêmes principes : une entrée immersive pour poser l’ambiance immédiatement, des animaux issus du sauvetage, des activités basées sur leur sensorialité et du matériel pédagogique pour sensibiliser aux besoins des espèces. Le parc comprendra aussi une boutique et un espace modulable pour des expositions photos ou des marchés de créateurs. »
Mr mondialisation : Votre parc est-il adapté aux personnes à mobilité réduite ?
Typhaine Genty : « Je suis moi-même en situation de handicap, donc l’accessibilité était essentielle. Nous avons conçu des parcours dédiés pour que chacun puisse vraiment profiter du parc. Le pont suspendu sera accessible, il y aura un mini-labyrinthe pour se mettre à la place d’un insecte, et des chemins adaptés intégrés dès la conception. L’idée est simple : offrir une expérience équivalente à celle des autres visiteurs, même avec des accès spécifiques.
Nous avons été famille d’accueil pour adultes handicapés et travaillons depuis longtemps avec des ESAT, IME, ITEP ou des foyers. Tout cela a nourri notre vision du parc. Le terrain actuel n’étant pas adapté, repartir de zéro nous permet de repenser entièrement l’accessibilité, les réseaux, le terrassement… Bref, tout ce qui conditionne une vraie inclusion.
Nous accueillons aussi des jeunes en décrochage scolaire et envisageons d’ouvrir le parc à des personnes ayant des travaux d’intérêt général. L’objectif est de continuer à faire vivre la communauté autour de l’association. »

Mr Mondialisation : Qu’est-ce qui vous différencie des zoos ?
Typhaine Genty : « Cela fait dix ans que nous existons et, en tout, nous avons eu moins d’une dizaine de reproductions. Nous ne faisons jamais reproduire les animaux : les seules naissances concernent des femelles déjà gestantes lors de leur arrivée. Nous ne faisons pas non plus de transferts : nous sommes un parc-refuge, pas un zoo.
« C’est un fonctionnement proche de certaines fermes pédagogiques, avec une différence essentielle pour nous : à aucun moment les animaux ne sont obligés d’être visibles. »
Les plus âgés, les plus sensibles ou les plus anxieux ne seront pas dans les zones ouvertes au public. Ils resteront à l’association, dans un cadre calme. À l’inverse, certains de nos pensionnaires adorent le contact humain. Tony, par exemple, un agneau trouvé avec son cordon ombilical dans la forêt et que nous avons biberonné, serait malheureux sans interaction.
Pour nos animaux, nous avons prévu une zone visible du public et, juste à côté, une zone de repli de la même taille, avec les mêmes enrichissements, mais totalement inaccessible, même visuellement, au public. Cela permet aux animaux de choisir eux-mêmes : s’ils veulent être tranquilles, ils s’y retirent ; s’ils ont envie d’interagir, ils viennent côté visiteurs. Le choix leur appartient entièrement. »
Mr Mondialisation : Quelle dynamique apportez-vous au territoire ?
Typhaine Genty : « En Charente, il n’existe aucun parc animalier, donc c’est un vrai manque auquel nous souhaitons répondre. Nous tenions aussi à rester sur ce territoire ; nous y sommes ancrés. Malheureusement, une somme importante qui nous avait été promise n’a finalement pas été versée, ce qui fragilise le projet. Nous continuons tout de même d’avancer.
Le parc devrait créer cinq équivalents temps plein dès l’ouverture. Nous espérons aussi générer de l’activité économique grâce aux visiteurs, et participer à faire connaître la Charente à travers un projet fondé sur l’éthique, l’accueil et la pédagogie. »
Mr Mondialisation : Êtes-vous soutenus politiquement ou financièrement ?
Typhaine Genty : « Nous avons peu de soutiens politiques, ce qui est dommage au vu de l’intérêt du projet pour le territoire. Et la perte du financement promis représente un vrai coup dur. Heureusement, nous pouvons compter sur un soutien déterminant : celui du maire de Nieuil, M. Sellier.
Il adore le projet et souhaite le voir naître sur sa commune. Il nous accompagne dans chaque rendez-vous avec la communauté de communes. Il nous vend le terrain pour que tout puisse se faire ici. C’est un maire dynamique, qui veut que les choses bougent. Mais sans soutien pour la levée de fonds, le projet ne pourra pas se réaliser. »
Mr Mondialisation : De combien avez-vous besoin ?
Typhaine Genty : « Le projet complet, tel que nous l’avons conçu, représente environ 3 millions d’euros. Pour pouvoir solliciter un prêt professionnel, nous devons apporter 800 000 euros.
Nous savons que nous devrons probablement faire des choix, commencer plus petit, retirer une zone si nécessaire. Mais nous voulions présenter la version aboutie du parc pour que le public comprenne l’ambition du projet, nos valeurs et ce que nous souhaitons créer.
Pour que le parc puisse ouvrir, même à plus petite échelle dans un premier temps, nous devons réunir 200 000 euros. Cela permettrait d’acquérir le terrain, de créer les cheminements, les réseaux, les enclos et la base des équipements pour recevoir le public. Sans cela, rien ne pourra démarrer.
Au départ, nous pensions que la levée de fonds serait rapide. Nous avons été naïfs. En réalité, c’est très difficile, et nous sommes dans la phase la plus tendue financièrement. Nous espérons accueillir environ 40 000 visiteurs la première année. C’est ambitieux, mais cohérent : nous serons les seuls dans la région avec un concept de parc-refuge sensoriel dédié à la découverte du monde animal autrement. »
Retrouvez les aventures du parc à venir sur Facebook ou Instagram ! Les dons sont possibles via HelloAsso ou Leetchi et sont défiscalisables.
– Mauricette Baelen
Photo de couverture : Benoit et Typhaine Genty
