Les contradictions d’une économie de guerre
Il y a dix ans, la Russie comptait de très nombreux migrants. Désormais, les ressortissants des pays limitrophes cherchent de nouvelles destinations. L’emballement nationaliste, provoqué par la guerre et par l’attentat islamiste du Crocus City Hall en mars 2024, s’est traduit par une traque aux travailleurs illégaux. Au point de pénaliser l’économie de guerre en la privant de main-d’œuvre.
Peter Bankov. – Affiche pour la pièce de théâtre « Un sapin de Noël chez les Ivanov », d’Alexandre Vvedenski, 2022
© Peter Bankov
Alors que son complexe militaro-industriel tourne à plein régime, la Russie souffre d’une grave pénurie de main-d’œuvre estimée à cinq millions de personnes (6,8 % de sa population active). En raison du déficit de naissances qu’il a connu dans les années 1990, le pays manque de jeunes travailleurs. Depuis 2020, il a ainsi perdu de deux à trois millions d’actifs à la suite de la pandémie de Covid-19, de la mobilisation dans l’armée et de l’exil des opposants à la guerre. Par ailleurs, les secteurs civils de l’économie souffrent du transfert de travailleurs vers l’armement.
Ces dernières décennies, la Russie compensait ses difficultés démographiques par l’immigration. Avec sept à huit millions de travailleurs étrangers sur son territoire en 2013, elle se classait, selon les Nations unies, au deuxième rang mondial des pays accueillant le plus de migrants. Aujourd’hui, elle en compte trois fois moins. Au fil du temps, l’éventail des pays de départ se rétrécit à mesure que la part des personnes pratiquant le russe dans les États postsoviétiques diminue et que leurs économies se réorientent vers le marché européen. Depuis 2014, les travailleurs venant de Moldavie sont par exemple passés de 700 000 à 80 000. En 2024, près de 90 % des travailleurs immigrés sont originaires de l’un de ces trois pays : l’Ouzbékistan, le Tadjikistan ou le Kirghizstan. Dans les années 2010, les autorités ont mené une réforme qui a permis de légaliser une grande partie d’entre eux.
Cependant, d’après la Confédération du travail de Russie (CTR) — l’une des deux principales centrales syndicales du pays —, la majorité s’est vu refuser l’accès à l’éducation, à une couverture médicale et au régime de retraite. Si cette mesure a diminué le coût de la main-d’œuvre pour les entreprises, elle a aussi réduit la motivation des personnes, notamment les plus qualifiées, à venir travailler en Russie. Dans le même temps, avec un taux de mortalité une fois et demie supérieur à celui de la natalité, la population continue de vieillir à grande (…)
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