Les super pouvoirs des oiseaux migrateurs révélés par la science


Vous avez admiré les performances des athlètes aux Jeux olympiques et paralympiques de Paris ? Vous pouvez vous extasier devant des prouesses plus incroyables encore en levant les yeux et en contemplant les oiseaux migrateurs passer au travers des nuages. Quand les médias sportifs s’ébahissent du record — non homologué — établi en 2019 par le marathonien Eliud Kipchoge, passé sous la barre des deux heures, le minuscule bécasseau de l’Anadyr, qui ne dépasse pas les 30 cm et 250 g parcourt d’un vol sans escale l’équivalent de 126 marathons au cours de sa migration annuelle entre l’Australie et la Corée.

De tels exploits, Le Monde à tire-d’aile, de Scott Weidensaul, en regorge. Dans son ouvrage — enfin traduit en français —, cet ornithologue amateur étasunien et journaliste spécialiste des questions environnementales depuis les années 1970 brosse un panorama mondial des migrateurs et de leurs prodiges, mais aussi des menaces que l’espèce humaine fait peser sur eux, au risque de voir disparaître ces champions des airs.

« Âge d’or de l’ornithologie »

On connaît de mieux en mieux ces prodiges grâce à deux révolutions technologiques survenues ces trente dernières années : la miniaturisation des capteurs embarqués sur les oiseaux — à peine un gramme pour certains — et la géolocalisation. Fort de cinquante ans d’expérience, l’auteur n’hésite pas à parler d’un « âge d’or de l’ornithologie », tant ces nouveaux appareils, couplés à des réseaux de radars au sol, permettent de repousser les limites des connaissances sur les oiseaux migrateurs.

Longtemps, l’ornithologie s’est aussi contentée d’« une vision à œillères » et se bornait à l’étude des aires de reproduction européennes et nord-américaines des migrateurs, sans savoir où ces êtres à plumes se rendaient l’hiver venu.


Certaines oies ont développé un système respiratoire leur permettant de franchir les plus hautes montagnes.
Flickr / CC BYNCSA 2.0 / Lyle Rains

Désormais, on mesure des distances et des itinéraires toujours plus incroyables, à l’image de la sterne arctique, championne toutes catégories confondues, qui parcourt environ 80 000 km au cours de sa migration annuelle d’un pôle à l’autre, certaines poussant jusqu’à 92 000 km. Apparaît ainsi un nouvel objet d’étude pour l’ornithologie : la connectivité migratoire, soit la liaison géographique des individus ou des populations entre les différentes étapes du cycle annuel.

« Nous avons réalisé à quel point nous avions sous-estimé l’immensité des capacités physiques des oiseaux migrateurs »

Outre les distances époustouflantes parcourues par les migrateurs, cette approche met en lumière les extraordinaires capacités physiologiques qui leur permettent d’accomplir de tels vols. Pour voler à 7 200 m d’altitude et franchir l’Himalaya, les oies à tête barrée ont développé un système respiratoire capable de renouveler l’air à d’aussi hautes altitudes. Pour se préparer à leur vol sans escale de sept à neuf jours entre l’Alaska et la Nouvelle-Zélande, les barges rousses accumulent pour leur part jusqu’à dix-sept fois plus de graisse dans leur métabolisme, qu’elles brûlent plus efficacement que les humains sans risque de déshydratation.

À défaut de pouvoir jeter du lest, certains oiseaux s’allègent en rétrécissant leurs organes digestifs et reproducteurs le temps du vol, voire en cannibalisant leurs tissus internes, sans dommages à long terme.

Découverte de nouvelles fragilités

Enfin, on sait à présent que nombre de migrateurs recourent, pour s’orienter dans la nuit, à rien de moins que l’intrication quantique qui permet d’entremêler deux photons, quelle que soit leur distance, l’un frappant l’œil de l’oiseau et l’autre restant dans les astres au moyen desquels il se dirige. En somme, « au cours des deux dernières décennies, nous avons réalisé à quel point nous avions sous-estimé l’immensité des capacités physiques » des oiseaux migrateurs, observe l’ornithologue.

« Il s’agit de créatures dont le cycle de vie complet doit être compris »

Si la connectivité migratoire rend encore plus admirables ces champions des airs, elle révèle par contraste leurs fragilités, accrues par les dommages perpétrés par l’espèce humaine sur toute la planète. Car, comme le dit Scott Weidensaul : « Les oiseaux migrateurs ne sont pas les résidents d’un lieu donné, mais bien les habitants du tout ; il s’agit de créatures dont le cycle de vie complet doit être compris si nous voulons avoir une chance de les préserver contre les assauts qu’elles subissent à chaque instant et à chaque étape de leur voyage migratoire. »

Ce qui se passe en hiver affecte l’ensemble de la migration : c’est ce qu’on appelle les effets de report, « qui pourraient être déterminants pour la survie à long terme de centaines d’espèces de migrateurs ».

C’est le triste constat fait par des ornithologues californiens dans les années 1990, observant en quelques années à peine l’effondrement des buses de Swainson dans la Butte Valley, où les rapaces étaient protégés. Sachant que les buses passaient l’hiver en Argentine, les scientifiques s’y rendirent et découvrirent avec horreur la transformation des pâturages où les volatiles avaient coutume de vivre en monocultures de tournesol et de soja copieusement arrosées de pesticides. L’interdiction dudit pesticide par le gouvernement argentin eut tôt fait d’inverser la tendance et de restaurer la population des buses de Swainson.

Parmi les premières victimes du dérèglement climatique

Ces « effets de report » se constatent dans les deux sens : en Europe occidentale, la population de gobemouches noirs s’effondre de manière dramatique. Avec un retard toujours croissant de quelques jours, ces migrateurs partis des forêts ouest-africaines ratent le pic d’abondance des insectes dont se nourrissent leurs juvéniles. Insuffisamment nourris, peu de nouveau-nés parviennent ainsi à l’âge adulte.


Une activité humaine lors d’une étape de la migration peut avoir des conséquences sur tout le cycle annuel d’une espèce d’oiseau.
Pxhere / CC0

Quand ils ne sont pas directement visés par les activités humaines, les oiseaux migrateurs, sentinelles de la nature, figurent parmi les premières victimes du dérèglement climatique. Nombre de zones d’hivernage risquent de finir sous les eaux d’ici quelques années. C’est le cas aux Bahamas, où les îles sur lesquelles niche la rare paruline de Kirtland — déjà sauvée d’une première extinction au XXe siècle grâce à une politique fédérale de restauration de son habitat — ne dépassent pas quelques mètres d’altitude.

Lueurs d’espoir

Au demeurant, Le Monde à tire-d’aile comporte quelques lueurs d’espoir. D’une part, il montre qu’avec de la volonté politique, on peut empêcher le déclin des migrateurs. Alors que l’urbanisation et la multiplication des barrages ravageaient la mer Jaune, l’une des zones humides les plus fréquentées par des millions de migrateurs, située entre la Chine et la Corée, le gouvernement chinois a interdit au milieu des années 2010 le développement côtier. Les effets positifs se firent aussitôt sentir sur les populations aviaires.

Au Nagaland, dans le nord-est de l’Inde, les habitants de Pangti acceptèrent en quelques années à peine de mettre un terme à l’abattage massif des centaines de milliers de faucons de l’Amour, sources d’importants revenus dans cet État très pauvre, où les individus tués ou capturés étaient revendus. Soutenus par l’État fédéral et des ONG internationales, ils ont proclamé leur village « capitale des faucons », espérant faire de leurs anciennes proies un attrait touristique… et une source de revenus pérenne.

Aux États-Unis, on observe depuis quelque temps des colibris venus d’Alaska passer l’hiver en Pennsylvanie plutôt que dans la jungle amazonienne. Auparavant, ces quelques individus égarés y étaient coincés et mouraient dans ces contrées froides sans s’être reproduits, mais les choses changent à présent que le climat hivernal s’est fait plus doux. Ces oiseaux, qui auraient dû mourir il y a quelques décennies encore, se retrouvent désormais en situation de pionniers capables de « transmettre [leurs] gènes autrefois délétères à de nouvelles générations ».

De telles évolutions, encore marginales, ne vont toutefois pas assez vite pour l’ensemble des migrateurs. Si l’on désire encore contempler à l’avenir ces grands et petits champions des cieux, le principal levier demeure en nous-mêmes et dans notre manière d’habiter et partager la Terre.

Le Monde à tire-d’aile. L’odyssée mondiale des oiseaux migrateurs, de Scott Weidensaul, aux éditions Actes Sud, collection « Mondes sauvages », octobre 2024, 496 p., 24 euros.

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