pourquoi les clubs de Ligue 1 prennent-ils autant l’avion ?


Un avion à disposition, qui n’attend que les joueurs et le staff sur le tarmac pour décoller, tel est le confort auquel se sont habitués les clubs de Ligue 1. Cette saison, au terme de la 21e journée du championnat sur 34, 140 trajets se sont faits par les airs selon les chiffres de Simon, passionné de football et d’aéronautique, contre 2 en train. Il recense sur son compte X (ex-Twitter) Ligue 1 / On Air les trajets des clubs français grâce aux informations de Flightradar, qui permet de suivre en direct le trafic aérien dans le monde.

Au RC Lens la saison passée, 14 des 17 déplacements en championnat se sont fait via les airs selon Benoît Vallé Saint-Jalm, chargé d’organiser les déplacements des Sangs et Or pour la saison 2023/2024. L’avion a une place écrasante : est-il indéboulonnable ?

Sécurité, flexibilité, compétitivité, santé… Les professionnels du secteur égrènent les arguments en sa faveur. Des solutions existent pourtant pour que les footballeurs prennent un virage écologique, à condition que le gouvernement, les clubs et la Ligue de football professionnelle (LFP) y mettent du leur. Mais depuis la polémique de 2022 — l’ancien coach du PSG Christophe Galtier avait ironisé sur des déplacements « en chars à voile » sous les rires de Kylian Mbappé — « quasiment rien n’a changé dans les faits », déplore Simon.

D’après la LFP, « 1/4 des trajets ont été réalisés en bus ou en train sur la saison 2023-2024 ». Selon Ligue 1/On Air, seules deux équipes auraient choisi l’option ferroviaire cette saison 2024-2025 : Strasbourg et Saint-Étienne pour se rendre à Paris. Des chiffres difficiles à dénicher car « il existe des accords de confidentialité », selon Nathalie Lanier, directrice des voyages en groupe à la SNCF. Pourtant, un trajet Paris-Lyon en train rejette 87 fois moins de CO2 qu’en avion selon l’Agence de la transition écologique (Ademe). « Les clubs doivent assumer leurs choix et leur responsabilité », assure-t-elle.

Les trains jugés trop contraignants

Beaucoup de clubs se retranchent derrière l’argument de la sécurité. Une cellule leur est pourtant spécialement dédiée par la SNCF. L’objectif : limiter les contacts avec les supporters en empruntant des itinéraires tactiques. « Si le PSG se rend à Marseille, les joueurs ne descendront pas en gare Saint-Charles mais ailleurs, escortés par les forces de l’ordre et dans des wagons premières classes séparés », décrit Nathalie Lanier.

En revanche, « les clubs ne peuvent pas rentrer après les matchs », dit le team manager Benoît Vallé Saint-Jalm, chargé d’organiser les déplacements du RC Lens pour la saison 2023/2024. Aucun train ne circule de nuit, les joueurs et le staff doivent donc loger à l’hôtel. « Ça coûte plus cher et les joueurs souhaitent voir leur famille. » Sur ce point, la SNCF est claire : « Aucun train ne sera jamais mis en circulation spécialement pour les équipes sportives. »

La centralisation du réseau ferroviaire français pose également problème. Selon Benoît Vallé Saint-Jalm : « Trois quarts de nos trajets devaient passer par Paris ». Une correspondance qui nécessite souvent un changement de gare. Et la programmation des matchs, « connue seulement trois semaines en avance », ne facilite pas la collaboration avec la SNCF.

L’alternative choisie est souvent le bus. Sur la saison précédente du RC Lens, quatre déplacements se sont fait par la route, au Havre, à Paris, Lille et Reims. Le point commun de ses voyages : ils sont réalisables en moins de quatre heures de bus, durée de trajet maximale envisagée pour la majorité des clubs.

« Obligatoire pour être compétitif »

« L’avion est plus rapide, plus sûr et pratique », synthétise l’ancien Lensois. « Il permet de transporter plus de matériel qu’un wagon de train et surtout, il part quand on veut, détaille-t-il. Il est difficile d’anticiper le départ du stade avec les célébrations et les contrôles antidopage qui durent parfois plusieurs heures. »

Cela permet à l’équipe de ne pas perdre un temps précieux pour la récupération : les trajets sont plus courts, les sportifs restent moins en position statique. « On évite des œdèmes au niveau des jambes », analyse François Drouard, médecin du sport, qui travaille à l’AS Monaco. « Cinq heures dans les transports, c’est cinq heures de perdues pour le sommeil, l’alimentation et la mobilisation musculaire des joueurs. »

Autre enjeu, la compétitivité des équipes qui disputent aussi les Coupes d’Europe. « Le PSG ne peut pas se permettre de perdre plusieurs heures en bus si son prochain adversaire européen rentre lui en avion. C’est un coût marginal obligatoire pour être compétitif à l’échelle européenne », rappelle Pierre Rondeau, économiste du sport.

Enfin, certains clubs sont isolés géographiquement. Pour Monaco, « seuls Marseille et Nice sont atteignables en moins de trois heures de bus ou de train ». L’avion est donc souvent l’unique solution pour François Drouard et les monégasques.

Responsabilité partagée

« Il est autant indispensable de s’affranchir de l’avion que difficile à réaliser », résume Maël Besson, spécialiste de la transition écologique du sport. Pour lui, les responsabilités sont partagées. DAZN, diffuseur de la Ligue 1 a aussi son rôle à jouer. « C’est propre à la culture française de programmer les grosses affiches le soir à 21 heures », explique Pierre Rondeau. Ce sont souvent des équipes de grandes villes, mieux reliées en train mais… ces derniers ne circulent pas la nuit. « En Angleterre, les matchs les plus prestigieux se jouent entre 13 et 17 heures, à la fois pour éviter l’alcoolisme et l’hooliganisme, mais aussi pour favoriser le retour des équipes. »

En France, si les clubs prennent tant l’avion, c’est que rien n’est fait par la LFP pour les contraindre : celle-ci les encourage seulement à réduire. Pour qu’un club de Ligue 1 touche ses droits télévisuels — environ 200 millions d’euros à se répartir entre les dix-huit équipes cette saison selon L’Équipe — elle doit obtenir auprès de la LFP sa « Licence club ».

Chaque équipe doit gagner au moins 7 000 points sur les 10 000 disponibles. Parmi les différents critères, 750 points concernent leur engagement écologique, dont 100 spécialement dédiés aux équipes qui font l’effort de réaliser leurs trajets de moins de cinq heures en train ou en bus. « Ces points sont facilement compensables par d’autres critères, c’est comme si on vous demandait un 14/20 en cours », critique Pierre Rondeau.

À cela, Jérôme Belaygue, responsable communication et RSE de la LFP, ajoute « qu’une liste de trajets réalisables en bus ou en train est communiquée aux référents RSE de chaque club par la LFP au début de la saison ».

Réfléchir à des solutions

« S’il n’y a pas une volonté du gouvernement pour forcer les choses, la LFP n’aura pas le courage politique de contraindre », analyse Pierre Rondeau. Pour lui, il faudrait obliger les clubs à réaliser un bilan carbone. « Les chiffres ne seraient pas publiés, mais un trophée, ou un badge sur le maillot, pourraient être accordé à l’équipe la plus responsable. La Fifa récompense bien l’équipe la plus fair-play. »

Une idée de récompense qui ne satisfait pas le spécialiste de la transition écologique Maël Besson : « Ce sont des efforts nécessaires, donc il ne faut pas les “récompenser”, mais plutôt encourager les équipes avec des financements. » Une action symbolique, mais « déjà mieux que rien » pour Pierre Rondeau, car seulement 71 % des équipes de Ligue 1 réalisent un bilan carbone selon la LFP.

Pour l’économiste, voir un club investir dans sa responsabilité environnementale pourrait être « une belle action de marketing et de communication, qui pourrait séduire un nouveau public mais aussi rendre fier ses propres supporters ».

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