Après l’annonce de la composition du gouvernement de François Bayrou, la secrétaire nationale du parti Les Écologistes, Marine Tondelier, livre à Reporterre ses craintes quant aux décisions politiques à venir sur l’écologie, et évoque l’urgence de s’organiser pour l’après.
Reporterre — Agnès Pannier-Runacher reste ministre de la Transition écologique dans le gouvernement de François Bayrou mais ni l’énergie, ni les transports, ni le logement ne sont sous sa tutelle. Que vous inspire ce rétrécissement du périmètre de l’écologie ?
Marine Tondelier — Ça fait bien longtemps qu’on ne croit plus au père Noël. Le ministère de l’Écologie récupère la Mer et les Forêts mais perd l’Énergie : on donne d’une main pour retirer de l’autre.
Le problème est plus large que ça : aux ministères de l’Économie, du Budget, de l’Agriculture, des Transports, de l’Éducation, nous avons des personnes qui ne sont pas sensibles aux enjeux écologiques. Sans parler de l’Intérieur, qui devrait poursuivre dans sa logique de criminalisation des militants écologistes et des syndicalistes. Dans un tel environnement hostile, c’est quasiment mission impossible pour un ministère de l’Écologie de gagner des arbitrages.
Et puis, s’ils laissent Agnès Pannier-Runacher en poste, c’est sûrement parce qu’ils savent qu’elle ne va pas beaucoup déranger.
La composition très droitière de ce gouvernement ne laisse certes pas présager de politiques de rupture mais pensez-vous qu’il soit au moins possible d’arracher quelques mesures sur l’écologie ? Quelle impression vous a laissé votre entrevue avec François Bayrou ?
Nos 100 maires écologistes font déjà un travail remarquable sur tout le territoire, même avec un soutien défaillant de l’État, et nos groupes parlementaires vont évidemment continuer à se battre pour porter des amendements et des propositions de loi. Comme la loi contre les PFAS [des polluants éternels], que l’on avait réussi à faire passer à l’Assemblée nationale puis au Sénat.
Mais la seule manière de pouvoir mener une politique réellement écologiste et réellement ambitieuse serait d’avoir un gouvernement du Nouveau Front populaire, ce qu’Emmanuel Macron nous refuse malgré notre victoire aux élections législatives de juillet dernier.
Qu’à cela ne tienne, les Écologistes sont au travail pour préparer — et gagner — avec leurs partenaires les prochaines élections : les législatives qui pourraient arriver en cas de nouvelle dissolution de l’Assemblée nationale [pas avant l’été 2025], les municipales [en 2026], et évidemment, la prochaine élection présidentielle, qui pourrait survenir avant 2027, car beaucoup de choses vont s’y jouer.
Les convictions écologistes de François Bayrou sont très limitées. Les seules réponses qu’il nous a apportées sur l’écologie lors de notre entrevue étaient des éléments de bilan de sa politique municipale à Pau : il nous a vanté les pistes cyclables ou le réseau de chaleur de sa ville en guise de bonne foi. Concernant ce qu’il souhaite faire sur le sujet en tant que Premier ministre, c’est très simple : nous n’avons eu aucune réponse.
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Quand Élisabeth Borne a été Première ministre, il y a eu une timide avancée, que nous avions saluée : la mise en place de la planification écologique, et celle du secrétariat général à la Planification écologique. Mais cette ambition n’a hélas pas été portée par les gouvernements suivants. Sur ce sujet aussi nous avons posé la question à François Bayrou, mais n’avons pas eu de réponse claire.
Quelles politiques antiécologiques vous attendez-vous à devoir combattre dans les prochaines semaines ?
Il y a bien sûr d’abord l’enjeu du budget. L’écologie avait déjà été la grande sacrifiée des coupes budgétaires que préparait Gabriel Attal, puis Michel Barnier. Au printemps déjà, lorsqu’il avait fallu faire 10 milliards d’euros d’économies dans la précipitation par décret, 2 milliards d’économies avaient porté sur l’environnement, soit 20 %.
Il va donc falloir se battre sur les budgets mais aussi sur leur utilisation. Même à budget constant, on pourrait investir beaucoup plus dans les infrastructures du quotidien, par exemple les petites lignes de chemin de fer, plutôt que de voir tous les financements phagocytés par les gros projets qui servent toujours les mêmes et saccagent l’environnement, comme la ligne LGV Bordeaux-Toulouse, la ligne LGV Lyon-Turin ou encore l’A69, qui coûtera 17 euros l’aller-retour.
« On pourrait investir beaucoup plus dans les infrastructures du quotidien »
Ensuite, beaucoup de partis politiques veulent remettre sur le métier la loi d’orientation agricole, avec l’envie de faire des « simplifications », ce qui est souvent une manière de revenir sur beaucoup de normes environnementales favorables à la santé et à la biodiversité.
Sur les énergies renouvelables, nous ne sommes pas optimistes non plus : la France vient de s’opposer à ce que l’objectif de production renouvelable soit revu à la hausse au niveau européen. Et la biodiversité est souvent tragiquement absente de nos politiques publiques, tout comme la santé environnementale.
Interrogée le 22 décembre par « L’Humanité » sur la nécessité de sortir du capitalisme, vous aviez répondu : « Si vous voulez, mais il faudra m’expliquer ce qu’on met à la place », suscitant de multiples réactions critiques à gauche. N’y a-t-il pas urgence à mieux structurer ce que serait une offre écologique de rupture, pour espérer contrer la dynamique politique actuelle ?
C’est au contraire un sujet que nous prenons très au sérieux. Il ne suffit pas de dire « à bas le capitalisme ». Vu l’état de crise généralisée du pays, il faut savoir ce qu’on propose derrière. Nous sommes en train de mener ce travail en profondeur. Ce n’est pas tout de vouloir sortir du capitalisme, encore faut-il également sortir du productivisme et de l’extractivisme. Notre vision est à 360 degrés. Bien au-delà d’un slogan facilement avancé mais trop peu décliné en alternative crédible.
Depuis que nous nous sommes refondés sous le nom Les Écologistes, nous nous sommes donné une feuille de route, avec notamment un pôle projet, qui comprend de nombreuses personnalités, allant de l’économiste Anne-Laure Delatte à la philosophe du vivant Vinciane Despret.
Parmi les nombreuses questions à l’ordre du jour, il y a ce changement de paradigme général, mais aussi le traitement des questions régaliennes, par exemple. Les Écologistes sont historiquement un mouvement qui prône la paix et le désarmement, mais comment articuler ces valeurs dans le contexte de la guerre en Ukraine ? Ce ne sont pas des sujets à traiter à l’emporte-pièce. Nous n’avons pas de leçon de radicalité à recevoir, mais nous avons des élus déjà confrontés à l’exercice du pouvoir dans de nombreuses villes, avec l’expérience de faire cohabiter nos valeurs et notre projet avec le réel.
« La force du capitalisme est qu’il s’est imposé à l’échelle mondiale »
Bien sûr, c’est le capitalisme qui institue, pérennise et aggrave les rapports de domination, l’exploitation des travailleuses et des travailleurs, le tarissement des ressources naturelles, la concentration de l’argent et du pouvoir entre les mains de quelques-uns qui rendent la planète inhabitable. Mais la force du capitalisme est qu’il s’est imposé à l’échelle mondiale. Comment, dans le contexte actuel extrêmement perturbé, faire advenir une alternative ? Avec quels partenaires y travailler et se structurer en contre-modèle ? Historiquement, il y a eu l’internationale socialiste, puis le mouvement altermondialiste auquel les écologistes ont largement contribué.
Aujourd’hui, Donald Trump, Elon Musk, Javier Milei et l’extrême droite européenne sont très bien structurés, avec des financements énormes. Ils ont l’argent, le pouvoir, les médias. Nous sommes en permanence ramenés à l’urgence par la situation de crise politique, mais l’urgence est aussi de penser global, et de nous structurer aussi bien que le camp d’en face. Les Écologistes y travaillent par exemple dans le cadre des Global Greens, les Verts mondiaux.
Quand je dis « abolir le capitalisme, d’accord mais pour le remplacer par quoi ? » ne feignons pas d’ignorer qu’il s’agit d’une question à laquelle toutes les formations de gauche sont confrontées depuis le milieu du XIXe siècle et à laquelle aucune n’a apporté de réponse satisfaisante, crédible et généralisable partout sur la Planète. J’en appelle à ce que nous approfondissions la réflexion de fond, pour démontrer que notre projet est de nature à vaincre structurellement et définitivement ce qui a donné naissance à cette idéologie de la prédation qui détruit aujourd’hui toute la planète et le vivant.
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