• ven. Sep 20th, 2024

Face aux abandons de chiens, l’État veut responsabiliser les propriétaires


Les beaux jours, l’autoradio à fond, l’autoroute des vacances… et le fidèle compagnon à quatre pattes qui regarde s’éloigner la voiture, attaché à un lampadaire du parking du Buffalo Grill. L’image a tout du cliché éculé. Elle correspond malheureusement à une certaine réalité, difficile à cerner mais cruelle pour les animaux. Le fléau de l’abandon des chiens fait partie des priorités du plan national pour le bien-être domestique, dévoilé le 22 mai par le gouvernement.

Difficile de cerner l’ampleur du phénomène. Les données sont rares, parcellaires. Rien qu’évaluer la population de chiens domestiques en France relève du défi. Ils étaient 7,6 millions en 2022, selon la Fédération des fabricants d’aliments pour chiens, chats, oiseaux et autres animaux familiers (Facco) ; 9,7 millions en 2023, un chiffre en augmentation de 1,98 % en cinq ans, selon l’Identification des animaux domestiques (I-cad). Le fait que 12 à 35 % des chiens ne soient pas identifiés à l’aide d’une puce électronique n’aide pas à construire des données plus précises.

Vieille dame citadine cajolant son loulou ou chasseur du dimanche motivant sa meute ? On ne connaît pas non plus les maîtres de ces canidés. « En France, les seules recherches un peu sérieuses sur le sujet ont été menées par Nicolas Herpin pour l’Insee, explique le sociologue Jérôme Michalon, coauteur de Sociologie de la cause animale. Désormais, on adopte souvent un chien pour le plaisir de vivre avec, moins que pour garder la maison et faire peur aux voleurs. »

Les abandons, le grand flou

Dans ce contexte déjà flou, le phénomène de l’abandon est plus opaque encore. Le Code pénal prévoit une peine de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende pour « l’abandon d’un animal domestique, apprivoisé ou tenu en captivité ». Mais il n’existe pas de définition partagée de ce à quoi correspond cette négligence. « Est-ce que céder son animal à un refuge est un abandon ou une cession sous contrainte, un abandon responsable ? » interroge le cabinet du ministre de l’Agriculture Marc Fesneau. Aujourd’hui, un propriétaire qui conduit son animal en refuge n’est jamais sanctionné « alors que pour nous, c’est effectivement un abandon », tranche Lorène Jacquet, responsable campagnes et plaidoyers à la Fondation Brigitte Bardot.

Quant à évaluer le nombre d’animaux délaissés… « Le chiffre circule de 100 000 abandons par an pour les chiens et les chats, indique Lorène Jacquet. Mais si l’on recoupe les données de prise en charge de la SPA et des plus grosses associations de protection animale, on est sur une fourchette beaucoup plus haute, de l’ordre de 200 000 par an. » Pour contourner cette difficulté, on peut être tenté de comptabiliser le nombre de places en fourrières et en refuges. Sauf que ces chiffres n’existent pas. La fourrière est censée avoir une capacité en cohérence avec la taille de la commune — un animal perdu par an pour 250 habitants selon l’usage. Mais tout calcul sur cette base semble vain car, en 2012, seulement 60 % des municipalités respectaient cette obligation. Côté refuges, c’est aussi le grand flou, puisque les opérateurs ne déclarent pas tous leurs capacités d’accueil.

Le border collie fait partie des chiens achetés sur un « coup de tête ».
Wikimedia Commons/CC BYSA 4.0 Deed/Tsaag Valren

Pour y voir plus clair, une des missions que se donne le gouvernement est de travailler sur la notion d’abandon et d’élaborer des indicateurs fiables. Le Centre national de référence sur le bien-être animal (CNR BEA) créé en 2017 devra travailler sur une définition. Les données construites sur ces bases seront ensuite centralisées sur un site internet, prévu au second semestre 2024.

Chiffres solides ou pas, les gestionnaires de refuges sont unanimes : les refuges sont saturés. Avec des conséquences dramatiques pour les animaux. « Les fourrières n’ont plus la possibilité de placer les animaux errants. Les propriétaires qui cherchent à se séparer de leur animal sont inscrits sur liste d’attente. Se pose aussi la question des animaux maltraités qui vont devoir continuer à subir des sévices pendant des semaines, faute de solution d’accueil », énumère Lorène Jacquet. La situation est particulièrement critique pour les molossoïdes comme les american staff et pour les malinois, abandonnés en masse ces dernières années et qui, une fois en refuge, peinent à trouver un nouveau foyer.

Coûts en hausse, achats sur un coup de tête…

Comment en est-on arrivé là ? Les causes de ces abandons sont peu documentées. Le CNR BEA devra ainsi étudier leurs causes et celles de la maltraitance des molossoïdes et malinois. En attendant, il faut se contenter d’observations de terrain. Parfois, elles font état d’accidents de la vie. « Ce sont souvent des raisons familiales, explique Christophe Blanchard, sociologue, maître de conférences à l’université Sorbonne Paris Nord et maître chien de formation. En cas de divorce, comme il n’existe pas de garde alternée officielle, l’animal peut créer des tensions supplémentaires. Il y a aussi le cas du décès du propriétaire, ou de son placement en Ehpad. » À noter que la loi Bien vieillir d’avril dernier garantit aux résidents de ces établissements le droit de garder leur animal de compagnie.

Entretenir un chien peut coûter cher. Sur ce plan, l’inflation a fait des dégâts. « Le motif d’abandon n’est pas tant le coût de l’alimentation, précise Lorène Jacquet. Le vrai problème, c’est l’augmentation des frais vétérinaires. Si des propriétaires ne peuvent pas payer, ils sont prêts à abandonner leur animal ou à le faire euthanasier. » Ceci, dans un contexte où les ménages paient davantage pour leur animal, observe Jérôme Michalon. Il y a eu « une montée en gamme des services et produits destinés aux animaux, accompagnée d’un changement des discours prescripteurs », indique le sociologue. Autrement dit, pour être considéré comme un bon maître aujourd’hui, on ne peut plus se contenter de nourrir son chien de restes et d’appeler le vétérinaire le plus tard possible, s’il est appelé.

« Des gens achètent un chien comme ils achèteraient une bagnole »

De nombreux abandons sont aussi la conséquence d’une acquisition irréfléchie, à mauvais escient. « Des gens vont, sur un coup de tête, acheter le chien de race du moment. Avant de très vite se rendre compte qu’ils sont incapables de le gérer », rapporte Christophe Blanchard. L’american staff et le malinois en ont fait les frais, mais aussi le border collie, un chien de travail extrêmement vif et intelligent qui a besoin d’être stimulé en permanence. « Face à ces races très exigeantes, des gens achètent un chien comme ils achèteraient une bagnole, sans réflexion derrière », soupire le chercheur, qui peste contre la starification de Messi, le border collie décoré de la « Palme Dog » à Cannes pour sa performance dans le film Anatomie d’une chute. Les réseaux sociaux ont aggravé le phénomène, selon Lorène Jacquet : « Ils véhiculent des images souvent un peu trop positives sur la détention d’un animal, sans informer sur les contraintes que cela engendre. »

Pour lutter contre l’abandon, la loi de 2021 contre la maltraitance animale imposait la signature d’un « certificat d’engagement et de connaissance » et un délai de réflexion de sept jours avant l’adoption d’un animal. Le plan gouvernemental présenté le 22 mai entend renforcer ce dispositif en l’inscrivant dans un « parcours d’acquisition responsable ». « Tout ne passe pas par la réglementation et le contrôle, mais plutôt par l’appropriation et la compréhension globale de ce que veut dire acquérir un animal et s’en occuper », a plaidé le cabinet de Marc Fesneau, qui veut « agir le plus en amont possible en modifiant la manière dont on conçoit notre relation avec les animaux ».

Les associations de protection animales, elles, plaident pour refermer un peu plus le robinet de l’offre. La loi de 2021 interdisait déjà la vente des chiens et des chats en animaleries à partir de 2024, les offres de cession sur internet (sauf annonces labellisées par le site ou émanant d’éleveurs ou d’animaleries) et la cession ou le don aux mineurs. La Fondation Brigitte Bardot réclame des mesures supplémentaires, qui n’ont pas été intégrées dans le plan : interdiction de la reproduction par des particuliers, interdiction de la vente en salons.

Pour Jérôme Michalon, la lutte contre le délaissement doit nous conduire à réfléchir de manière plus radicale à la place de l’animal dans notre société. Si l’abandon existe, c’est qu’il est tenu pour acquis qu’un chien doit obligatoirement avoir un propriétaire. « Aujourd’hui, dans notre société, les possibilités d’existence des chiens ont été radicalement restreintes. Le chien errant n’existe plus. Soit il est ramassé et devient un animal de compagnie, soit il meurt », explique-t-il. La libération et la libre circulation des chiens, meilleur remède à l’abandon ?



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