• ven. Sep 20th, 2024

Trois pistes pour désarmer TotalEnergies


Comment désarmer les entreprises qui nourrissent la crise climatique ? À l’heure où laisser les énergies fossiles « dans le sol » apparaît de plus en plus impératif, la major TotalEnergies — à l’image d’autres grandes multinationales pétrogazières — a décidé de prendre la tangente. Plusieurs voix s’élèvent donc pour reprendre le contrôle et imposer à la multinationale française une sortie rapide des énergies fossiles. Dans un récent rapport, l’Observatoire des multinationales et 350.org proposent plusieurs options, visant à « rouvrir le champ des possibles ».

Il y a en effet urgence : le groupe, qui présente le vendredi 24 mai sa stratégie à ses actionnaires lors de son assemblée générale, prévoit d’augmenter d’un tiers sa production de gaz d’ici à 2030, sans réduire significativement sa production de pétrole. Une politique à rebours des recommandations du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) ou de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), qui appellent à stopper tout nouveau projet d’infrastructure d’extraction d’énergies fossiles. « TotalEnergies se présente comme un acteur résolument tourné vers la transition énergétique, mais il fait tout pour maintenir le statu quo et nous mène vers le chaos climatique », déplore Clémence Dubois, directrice adjointe des campagnes mondiales au sein de l’ONG 350.org. Pour « mettre une major pétrogazière hors d’état de nuire », l’association et l’Observatoire des multinationales proposent trois options :

Piste 1 : un cadre complet de régulation

Autant l’écrire tout de suite : la voie de la régulation est « souvent décevante et insuffisante pour contraindre l’industrie fossile à un changement rapide de comportement », observent l’Observatoire des multinationales et 350.org. Mais les ONG estiment toutefois que cette logique pourrait « être poussée bien plus loin » pour remettre TotalEnergies « sur les rails de l’intérêt général ».

Elles proposent aux parlementaires d’introduire, dans un paquet législatif, l’imposition d’une sortie rapide des énergies fossiles et d’une réduction des émissions de gaz à effet de serre compatible avec l’objectif de limiter l’augmentation des températures globales à 1,5 °C. Le respect de cette trajectoire serait contrôlé de manière indépendante, et les manquements sanctionnés.

Dans le même temps, il faudrait parer à toute tentative d’obstruction, tant TotalEnergies a les moyens d’influencer les décideurs et de s’assurer de leur soutien. C’est pourquoi les organisations invitent à s’inspirer de ce qui a été fait au niveau de l’Organisation mondiale de la santé, « où tout contact avec les lobbyistes et représentants de l’industrie du tabac a été proscrit ». Elles suggèrent aussi de limiter « le jeu des portes tournantes » — les allers-retours entre la sphère publique et privée (comme des ministres qui rejoignent des multinationales, et inversement) — et à interdire la présence des représentants des industries fossiles à la table des négociations climatiques.

Pour que la régulation soit la plus complète possible, elles appellent également à décourager les investissements des banques et autres bailleurs de fonds qui financent les activités de TotalEnergies, ou encore à mettre en place une imposition spécifique, particulièrement en cas de « superprofits », comme le proposent les listes des Écologistes et des Insoumis en vue des élections européennes du 9 juin prochain.

Piste 2 : démocratiser la gestion du groupe

« Une voie complémentaire de changement serait de transformer la conduite stratégique et la gouvernance de l’entreprise de l’intérieur, pour qu’elles reflètent un ensemble d’intérêts et d’objectifs plus larges que la rentabilité et le retour sur investissement des actionnaires », affirment l’Observatoire des multinationales et 350.org. « On ne peut pas laisser les actionnaires, qui sont dans une recherche court-termiste de profits, guider l’orientation d’une entreprise qui façonne notre futur énergétique », embraye Clémence Dubois.

Dans le rapport, les ONG défendent les vertus de la participation des travailleurs à la gouvernance de l’entreprise, et elles invitent à « étendre la composition et les prérogatives » des instances de concertation, d’information et de consultation au niveau des entreprises, voire à en créer des complémentaires sur l’enjeu climatique.

Une coalition de militants écologistes a lancé un blocage de l’assemblée générale de TotalEnergies, le 26 mai 2023.
© NnoMan Cadoret / Reporterre

Pour aller plus loin, elles imaginent aussi l’organisation d’états généraux ou d’une convention comptant sur la participation, aux côtés des travailleurs, de citoyens ou encore de scientifiques, « pour décider des mesures concrètes à prendre et les différentes étapes politiques à franchir ». Avant le lancement d’un tel processus, l’adoption d’un accord social cadre pourrait prévoir des garanties d’emploi ou de reconversion pour les salariés.

Piste 3 : une prise de contrôle par la puissance publique

La prise de contrôle publique apparaît pour les ONG comme une étape « sans doute indispensable pour libérer Total de l’emprise des marchés financiers, réduire sa capacité de nuisance et lui imposer de manière transparente et démocratique une trajectoire de sortie des énergies fossiles ». Elle pourrait prendre plusieurs formes :

• La nationalisation

C’est la forme la plus fréquente de prise de contrôle public. Elle nécessite l’adoption d’une loi par le Parlement, qui pourrait décider la gouvernance de la future entité et les modalités de compensation des actionnaires.

Cependant, jamais les vagues de nationalisation françaises, en 1981 et 1945, n’ont eu pour objectif de transformer complètement le modèle économique et industriel des grandes entreprises. Et la nationalisation, remarquent les organisations, « ne garantit pas à elle seule une supervision démocratique et la “bonne direction” des décisions de l’entreprise, et soulève des questions de justice économique et historique si elle implique une généreuse compensation des actionnaires actuels du groupe ».

• La réquisition

C’est l’option alternative pour faire payer les dirigeants et les actionnaires de TotalEnergies « de leur responsabilité passée dans la conduite de l’entreprise et de leur choix délibéré de poursuivre l’exploitation des énergies fossiles ». Pour les ONG, le groupe et son capital pourraient être traités comme « un “bien mal acquis” qu’il faudrait “restituer” à qui de droit, qu’il s’agisse des travailleurs, des citoyens français ou des populations dans les pays d’exploitation pétrolière et gazière ».

Historiquement, cette méthode a surtout été utilisée en temps de guerre, comme quand l’État français a pris le contrôle de Renault en 1944 pour sanctionner la collaboration des dirigeants du groupe avec les occupants nazis. Une réquisition ne pourrait porter que sur les actifs et les activités de TotalEnergies en France.

• La procédure de sauvegarde climatique

TotalEnergies, avec ses actifs échoués et les coûts de réparation environnementale et climatique induits par ses activités, ne risque-t-elle pas la « faillite climatique » ? Avec la procédure de sauvegarde climatique, sans précédent historique, TotalEnergies serait placée sous le contrôle d’un mandataire judiciaire représentant ses « créanciers » : les populations, les travailleurs, les gouvernements et l’environnement local et planétaire. Les dirigeants de l’entreprise devraient alors présenter un « plan de redressement climatique » suffisamment convaincant pour clore la procédure.

Cette option n’implique pas de propriété publique directe, donc pas de coûts d’acquisition et de compensation des actionnaires. Mais pour les ONG, « sous leur forme actuelle, les tribunaux de commerce de France n’ont pas les moyens et l’expertise — ni sans doute la volonté — de mener et juger une telle procédure de manière rigoureuse ».

Plusieurs ONG ont mené une action, le 27 septembre 2023, devant le siège social du Crédit agricole pour dénoncer le projet gazier Papua LNG de TotalEnergies.
© NnoMan Cadoret / Reporterre

Autres limites : quelle que soit la solution choisie, elle comportera inévitablement un risque de procédure en arbitrage international de l’investissement et une demande exorbitante de compensation de la part des actionnaires de TotalEnergies. Ces mesures pourraient aussi décider TotalEnergies à quitter la France, comme l’a fait la major pétrolière Shell en abandonnant son siège social à La Haye au profit de Londres, en 2022. TotalEnergies pourrait aussi décider de céder rapidement une partie de ses actifs pétroliers et gaziers, au profit de ses actionnaires, avec le risque que ses actifs continuent à être exploités par d’autres entités.

Pour l’Observatoire des multinationales et 350.org, cette prise de contrôle serait en tout cas plus efficace si elle était menée « dans le cadre d’un processus coordonné au niveau européen ou international », afin notamment de limiter le risque que certaines entreprises en profitent pour reprendre certains projets fossiles.

Tête de liste écologiste aux européennes, Marie Toussaint porte par exemple l’idée d’un fonds de souveraineté écologique européen, qui vise à « reprendre le contrôle stratégique sur les entreprises fossiles européennes les plus émettrices » et atteindre l’objectif d’un « mix énergétique 100 % renouvelable d’ici à 2040 ». Ce fonds permettrait « une participation majoritaire » de l’UE au sein de ces entreprises, par l’intermédiaire d’« une offre publique d’achat pilotée par la Banque européenne d’investissement ».

Pour Olivier Petitjean, cette proposition va dans le sens « d’un nécessaire changement dans l’imaginaire politique » : « Il faut arrêter de penser qu’on dépend des entreprises comme TotalEnergies pour réaliser notre transition. Ce discours, sur lequel prospère Patrick Pouyanné [le PDG de la multinationale], est très enraciné au sein des élites politiques et chez les consommateurs. Ne partons pas battus, et travaillons aux moyens de réduire notre dépendance aux majors. Nous avons des marges de manœuvre. »



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