une stratégie de lutte payante


La victoire contre l’autoroute A69 — le tribunal administratif de Toulouse a annulé l’autorisation environnementale délivrée au concessionnaire — a mis en lumière le rôle décisif qu’ont joué les grimpeurs d’arbres tout au long de la lutte, leur courage et leur persévérance face aux pelleteuses et aux forces de l’ordre. Perchés dans la canopée, parfois pendant plusieurs semaines, ces hommes et femmes ont ralenti le chantier et popularisé un mode d’action utilisé depuis des décennies au sein du mouvement écologiste.

Désormais, on ne compte plus une lutte en France sans son équipe de grimpeurs et de grimpeuses, sans ses « écureuils » comme on les appelle, qui dansent avec le vide, et sans leurs cabanes soufflées par le vent. À Saint-Péray, en Ardèche, contre un contournement routier, au mois d’octobre dernier ; au nord de Toulouse contre la LGV en novembre ; dans la forêt d’Hossegor contre une ligne THT en janvier ; contre le mégacanal Seine-Nord Europe dans l’Oise, en janvier encore…

Partout, des plateformes suspendues répondent aux projets des bétonneurs. Des dizaines de personnes sillonnent le territoire pour protéger les arbres, baudrier et mousquetons dans le sac. Des boucles de messagerie Télégram et Signal s’activent pour appeler les grimpeurs à la rescousse, au gré des urgences et face à l’arrivée soudaine des machines.

Une nouvelle figure de la résistance

« On n’a pas inventé cette technique de lutte mais on a réussi avec l’A69 à lui donner plus d’écho. On a démocratisé la grimpe d’arbres, se réjouit Thomas Brail, le fondateur du GNSA — le Groupe national de surveillance des arbres. Ça a aussi permis d’insuffler un nouvel imaginaire de lutte. »

Pendant plus de deux ans, les grimpeurs écureuils se sont retrouvés en première ligne contre l’A69, jusqu’à incarner une figure héroïque de la résistance. « J’étais fasciné de voir leur capacité à resurgir après chaque répression des forces de l’ordre. Ils ne se laissaient jamais abattre », raconte le photographe Alexis Pichot qui les a suivis pendant des mois.

Au total, plus d’une quarantaine de grimpeurs et de grimpeuses se sont mobilisés sur près de treize sites différents : le Labo, les Crêtes, la forêt de Sherwood, la Cal’arbre, etc. Lors du siège de la Crém’arbre à Saïx, dans le Tarn, en février 2024, certains sont restés trente-neuf jours dans les arbres. Sans ravitaillement, sans quasiment de nourriture, ni eau. Affamé, un des grimpeurs, Reva, en était réduit à manger des bourgeons de platane. Ils ont tous perdu entre 5 et 10 kg. Leur situation est allée jusqu’à scandaliser le rapporteur de l’ONU Michel Forst, qui a témoigné de son respect envers les militantes et militants.


En 2022, le grimpeur-arboriste Thomas Brail s’était perché dans l’un des platanes proche de la tour Eiffel pour dénoncer un projet d’urbanisation des jardins entourant le monument.
© Mathieu Génon / Reporterre

« Avec l’A69, l’occupation d’arbres est devenue une composante essentielle du combat écologiste, au même titre que les recours juridiques, les manifestations ou les sabotages, assure une zadiste. C’est un choix tactique et stratégique ».

« L’occupation d’arbres est devenue une composante essentielle du combat écologiste »

Et pour cause, l’efficacité de ce mode d’action n’est plus à démontrer. Les blocages provoqués par les écureuils ont expliqué en grande partie les retards observés sur le chantier et les délais qui ont explosé.

Dans une enquête sur la répression, Reporterre avait calculé le coût faramineux de l’expulsion des écureuils. Plus de 160 000 euros par grimpeur ! La cellule spécialisée de police, la Cnamo, était dépassée. Sur le site du Verger, une zad installée à la sortie de Verfeil en Haute-Garonne, le concessionnaire a même été obligé de recouvrir sous des tonnes de mètres cubes les arbres sur lesquels les militants étaient accrochés pour que la police puisse les arrêter.


Les opposants de la zad du Verger avaient installé des cordes allant du toit de la maison aux arbres occupés.
© Antoine Berlioz / Reporterre

Une lutte à hauteur d’oiseau

La bataille de l’A69 est donc venue mettre sur le devant de la scène cette pratique militante. L’occupation d’arbres a donné une tonalité et une esthétique particulière à la lutte. Elle lui a apporté aussi une forme de poésie, comme un ballet aérien, une révolte de funambule.

« Toucher l’épaisse peau d’un arbre, c’est faire l’expérience de sa propre tactilité, c’est se sentir touché par l’arbre », écrivait David Abram dans Comment la terre s’est tue, pour une écologie des sens (La Découverte, 2013). Vivre dans les arbres est une manière de ne pas perdre la chair du monde. C’est une lutte à hauteur d’oiseau. Une façon de se relier charnellement au vivant que l’on défend, et de faire corps ensemble.

De nombreux écologistes en ont fait l’expérience à travers l’histoire. L’A69 n’en est que le dernier écho. Déjà en 1969, à Austin, au Texas, des militants avaient grimpé dans des cyprès et des chênes pour empêcher leur abattage lié à l’extension d’un stade qui aurait pollué une rivière locale. En 1971, dans le quartier Plainpalais de Genève, des activistes avaient occupé le houppier d’arbres menacés.


Des écureuils, qui occupaient quatre platanes depuis quarante-cinq jours, avaient été délogés en octobre 2023 par les forces de police.
© Emmanuel Clévenot / Reporterre

À l’époque, la grimpe d’arbres était vue comme une arme astucieuse dans une guerre asymétrique. Un acte de légitime défense où une corde et un peu d’agilité peuvent terrasser une armée de moteurs et de lobbyistes.

Dans les années 1980, le mouvement Earth First ! en a fait la pierre angulaire de ses combats et le théorise. Dans son Manuel d’action directe — un livre qui circule depuis quarante ans dans les luttes — les auteurs consacrent une centaine de pages à ces « blocages aériens » et autres « treesitting ». On y apprend tout sur la pose de filets, de tyroliennes, de traverses hautes ou de ponts de singe.

738 jours dans un séquoia géant

Earth First ! s’est fait connaître par des occupations spectaculaires, comme aux États-Unis sur la côte ouest contre les coupes rases et l’industrie forestière, ou en Angleterre, contre les chantiers d’autoroutes des gouvernements néolibéraux. À chaque fois, les camps dans les arbres étaient l’occasion d’expérimenter « une vie en communauté » dans des « zones autonomes », affranchies des pesanteurs terrestres, de la police et de l’État.

En 1998, en Californie, une militante âgée de 23 ans, Julia Butterfly Hill, s’est accrochée à « Luna », un vieux sequoia de 1 500 ans qui risquait d’être abattu comme les forêts alentour. L’Étasunienne pensait habiter les cimes une seule semaine mais resta finalement 738 jours sur une plateforme à 55 mètres de hauteur. Elle y endura deux hivers glacials, des tempêtes terribles et un siège par les bûcherons. Une expérience qu’elle raconte dans le magnifique livre De sève et de sang (traduit en français aux éditions Libre).

Vers une Internationale du mousqueton

C’est, d’ailleurs, au même moment que la technique est arrivée en France. Elle est apparue d’abord contre le tunnel de Somport, dans la vallée d’Aspe qui relie l’Espagne et la France. Puis en 2003 dans un parc urbain de Grenoble, avant de se répandre dans les zad et de connaître à partir de Notre-Dame des Landes une diffusion dans le milieu de l’écologie radicale.

En 2012, cette technique a freiné l’opération César — deux mois durant, les forces de l’ordre avaient tenté de déloger les zadistes opposés à l’aéroport, en vain — et a sauvé la forêt de Rohanne. En 2014, à Sivens dans le Tarn, des activistes contre le projet de barrage s’accrochaient à « Grande perche », un vieux chêne majestueux, et des zadistes passaient leur journée dans les arbres sous les gaz. À Roybon, en 2015, à nouveau, des cabanes se montaient sous les houppiers contre un projet de Center Parcs. Puis à Bure, en 2016, des villages suspendus, reliés par des cordes et des tyroliennes apparaissaient à l’aune de l’occupation du bois Lejuc. Des militants de la lutte d’Hambach, en Allemagne, et des Finlandais formaient les opposants antinucléaires.


En 2021, des centaines d’activistes s’opposaient à la démolition du hameau de Lützerath dans le cadre de l’extension d’une gigantesque mine de charbon. Une cabane dans les arbres gardait l’entrée de la zad.
© Philippe Pernot / Reporterre

Une « internationale du mousqueton et du prusik » [1] s’est mis en place, les techniques de grimpe et de nœuds se sont diffusées au-delà des frontières, les compétences se sont transmises.

« On est les héritiers de ces combats passés. Les défenseurs des arbres. Mais aujourd’hui, je crois qu’on a franchi une nouvelle étape. Avec une généralisation de la pratique et l’arrivée de professionnels cordistes et arboristes, le mouvement est plus massif. C’est porteur d’espoir », dit Thomas Brail.

Pour beaucoup, grimper aux arbres est devenu une évidence. Comme un cri de ralliement. « Dans les arbres, on a sous les yeux pourquoi on se bat, sa beauté, sa force, raconte Kiwi, une grimpeuse de l’A69. On a le sentiment chevillé au corps d’être là où on doit être ».

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