Gennevilliers (Hauts-de-Seine), reportage
Sur les marches de la mairie de Gennevilliers, le dress code annonce la couleur : des manifestants ont revêtu des chasubles jaune, orange et rouge, pour symboliser l’alliance entre les luttes écologistes et sociales. L’appel à la manifestation du 25 mai contre le projet d’entrepôt Green Dock a été signé par une trentaine d’organisations écologistes (Stop Greendock, Déroute des routes, Naturalistes des Terres…), de partis (Les Écologistes, La France insoumise, le Nouveau Parti anticapitaliste, etc.), mais aussi de syndicats (CGT Gennevilliers et Épinay, Solidaires 93 et Sud-Rail).
Ce n’est pas la première fois que des liens entre écologistes et syndicalistes se tissent à l’échelle locale. Après les actions réunissant les Soulèvements de la Terre et la Confédération paysanne, la raffinerie de Grandpuits, la papeterie de la Chapelle Darblay à Rouen et la ligne à grande vitesse Lyon-Turin, c’est au tour de l’opposition à « l’empire logistique » de renforcer cette alliance. « On lutte contre un même système capitaliste qui détruit notre santé, nos conditions de vie et la nature », introduit Hervé, de l’union locale CGT à Gennevilliers.
Contre les emplois précaires de la logistique
Sous les drapeaux représentant le grand cormoran, la ronce des bois ou le lézard des murailles, trois cortèges s’élancent dans les rues, en direction des bords de Seine. C’est là, dans le port de Gennevilliers, que doit être érigé Green Dock, un immense bâtiment de 30 mètres de haut sur 600 mètres de long.
Plus habitué aux piquets de grève qu’aux marches pour l’environnement, Hassan Letaief a revêtu sa chasuble de la CGT pour se joindre à la manifestation. Il est manutentionnaire dans l’entrepôt Geodis, situé dans la zone d’activités du port fluvial. « Les conditions de travail sont pénibles, soupire-t-il. Nous sommes 120 salariés et 75 intérimaires pour près de 60 000 colis par jour. J’ai été opéré deux fois de hernies discales, à cause des charges lourdes que je dois porter. »
700 emplois sont annoncés dans l’entrepôt Green Dock. « Mais quels emplois ? interroge la sociologue Carlotta Benvegnù, maîtresse de conférences à l’université Paris-Saclay. La logistique est le secteur qui a le plus recours à l’intérim et qui provoque deux fois plus d’accidents du travail que la moyenne nationale. » « Il faut travailler très vite, dans le bruit, le froid, les vibrations, la poussière, la pollution des gaz d’échappement… C’est épouvantable », appuie Laurent Sambet, conducteur routier chez Geodis, filiale de la SNCF.
Plus de trains, moins de camions
Des centaines de camions passent chaque jour par l’entrepôt. « Quand on sait qu’un seul train peut remplacer 50 camions, ce n’est pas top niveau écologie », souligne le routier. « Mon but, c’est que Laurent puisse devenir conducteur de train », réagit Julien Troccaz, secrétaire fédéral de Sud-Rail. Le cheminot plaide pour un « statut des salariés de la transition écologique », leur permettant de conserver leur ancienneté dans un nouveau métier. « La transition ne se fera pas sans les salariés. S’il y a moins de camions, il faudra prendre en compte nos collègues routiers », insiste Julien Troccaz, qui bataille pour la préservation du fret public ferroviaire.
De leur côté, les porteurs du projet Green Dock promettent de faire la part belle à la logistique fluviale. Dans le contrat avec le promoteur Goodman, « il est prévu un minimum de 15 % de transport fluvial », indique Antoine Berbain, directeur général délégué chez Haropa Port, l’établissement public regroupant les ports du Havre, Rouen et Paris. Il annonce que Goodman se fixe désormais un objectif de « 30 à 40 % de fluvial » au niveau de la plateforme. Toujours est-il que 700 camions devraient entrer et sortir de l’entrepôt chaque jour.
« On veut penser un contre-projet avec les travailleurs et travailleuses de la zone d’activités du port de Gennevilliers », explique Damien [*], du comité local 93 Nord des Soulèvements de la Terre. Tandis que son cortège longe le parc des Chanteraines, des militants s’y introduisent pour rejoindre la zone d’activités du port de Gennevilliers. Ils tentent alors d’en bloquer un accès routier, avant d’être délogés par la police et d’être violemment réprimés. Les activistes ont été couchés au sol mains dans le dos par les policiers de la brigade anticriminalité (BAC). Une soixantaine de personnes ont été interpellées.