11 mars 2025 à 09h37
Durée de lecture : 5 minutes
Un monumental gâchis. C’est ce qu’est en train d’accomplir le gouvernement qui veut céder le magazine 60 Millions de consommateurs à un acteur du privé. Plus qu’un journal, « 60 » — comme ses salariéla pétition contre sa privatisation. Les représentants du personnel ont prévu de remettre ces signatures le 11 mars à Véronique Louwagie, ministre chargée du Commerce.
es le surnomment — est une véritable institution créée en 1970. Preuve de sa popularité, plus de 105 000 personnes ont signéComme ces 100 000 personnes, je suis attachée à ce journal, d’autant que c’est avec lui que j’ai débuté mon métier de journaliste. Je suis restée plus de vingt ans dans cette rédaction, avant d’intégrer celle de Reporterre en 2022. Un cheminement professionnel somme toute assez cohérent. Des médias sans publicité, indépendants, au service du citoyen… « 60 » et Reporterre se ressemblent sur bien des points. Ils divergent en revanche dans leur mode de financement : quand Reporterre vit grâce à ses donateurs, « 60 » est financé par ses acheteurs en kiosque et ses abonnés.
En France, c’est le seul magazine grand public à appartenir à un établissement public à caractère industriel et commercial (Epic), l’Institut national de la consommation (INC). Ce dernier bénéficie de subventions de l’État au titre de ses missions de service public.
La bête noire des industriels
Et l’écologie dans tout ça ? Né en plein avènement de la consommation de masse, 50 Millions (devenu 60 Millions en 1995) est rapidement devenu la bête noire des industriels pointant les abus en tout genre, notamment ceux mettant la santé des consommateurs en danger.
En 1974, le magazine a par exemple publié une enquête sur les hormones et les antibiotiques injectés aux veaux, et appelé à l’interdiction de ces substances. En 1998, il a mené la première étude en France de détection d’OGM sur des produits vendus en supermarché : des traces de soja ou de maïs transgénique étaient retrouvées dans des chips, huiles et biscuits de grandes marques, sans que rien ne le signale sur l’étiquette.
« Certaines révélations ont permis de faire bouger les lignes »
Dans les années 2010, la revue a multiplié les analyses de polluants dans toutes sortes de produits. Elle a identifié en 2013 des traces de médicaments et de pesticides dans plusieurs eaux minérales, et a alerté sur la nécessité de protéger cette précieuse ressource. Les industriels, vent debout, ont clamé la pureté de leurs eaux.
En 2017, « 60 » a révélé pour la première fois en France la présence de pesticides dans des roses, dont certains interdits en Europe. Il a fallu attendre dix ans pour que le scandale des eaux en bouteille frelatées et celui des fleurs bourrées de pesticides éclatent.
Certaines révélations ont aussi permis de faire bouger les lignes. Lorsque le magazine a détecté des toxiques dans des couches pour bébés en 2017, les pouvoirs publics se sont saisis de la question, les fabricants finissant par améliorer leurs processus de fabrication.
Tant pis pour la pluralité de la presse !
Plus récemment, « 60 » a dénoncé la présence de plastifiants dans des huiles d’olive, de pesticides dans des confitures ou encore de PFAS dans des poêles pourtant étiquetées « sans PFAS ».
Mais voilà : « Un journal n’a rien à faire dans le giron de l’État ! » Cette petite musique tourne depuis une quinzaine d’années dans les bureaux des cabinets ministériels qui se succèdent à Bercy. Elle est désormais écrite noir sur blanc dans un rapport de la Cour des comptes publié le 5 mars dernier qui conforte la décision de cession : « Le maintien d’une activité de presse subventionnée par l’État dans un marché concurrentiel et en déclin n’est plus justifié, surtout compte tenu de l’existence d’un second magazine spécialisé sur la consommation. »
Ce second magazine, Que choisir — édité par une association qui reçoit des subsides de l’État, comme l’INC — suffirait. Surtout en ces temps de réduction budgétaire. Tant pis pour la pluralité de la presse !
Pourtant, face à la multiplication des pollutions et des dégâts qu’elles provoquent, au déferlement de fausses informations, au lobbying toujours croissant des industriels… deux magazines pour défendre le droit des consommateurs à vivre dans un environnement exempt de polluants, à manger et boire des aliments sains, à accéder à des produits durables, etc. ne seraient pas de trop.
Or quel éditeur privé pourrait, aujourd’hui, garantir au média quinquagénaire une totale indépendance et l’absence de publicité ? « 60 » n’est pas un journal comme les autres. Réaliser des analyses de produits et des essais comparatifs coûte cher. Ce travail mobilise des journalistes, mais aussi des ingénieurs et des juristes. L’éventuel bon samaritain devrait accepter d’investir dans un journal de service public, donc par définition non rentable. Conclusion : vendre 60 Millions, c’est signer sa disparition.
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