Massacres en Syrie : le silence complice de l’Occident


Les réseaux sociaux regorgent de vidéos d’atrocités contre des civils alaouites, chiites et chrétiens perpétrées ces derniers jours par les milices du nouveau régime, adoubé par l’Occident «judéo-chrétien». Mais nos médias restent discrets sur cette épuration programmée de longue date, car ils avaient encensé les «rebelles» opposés à Assad, et ce malgré leur appartenance à la nébuleuse terroriste Daech, et qu’ils regardent toujours d’un regard complaisant les développements favorables à Israël, comme l’a démontré le traitement ignoble du génocide à Gaza.

par Alain Marshal

Si les massacres de centaines de civils alaouites et chrétiens en Syrie avaient été imputés au régime Assad ou à ses forces loyalistes, ou même aux forces russes en Ukraine, ils feraient les gros titres de l’actualité pendant plusieurs jours, et les descriptions d’exécutions sommaires par centaines (certaines sources parlent de milliers de victimes), de femmes et d’enfants égorgés et des torrents de sang qui rougissent la côte méditerranéenne de la Syrie ne nous seraient pas épargnées. Les noms et visages des victimes, hommes, femmes et enfants, assassinés après avoir été humiliés, qui sont légion sur les réseaux sociaux, ne resteraient pas inconnus. Les viols, les pillages, les destructions, les corps jetés dans des ravins et les enterrements dans des fosses communes seraient rapportés avec indignation, le Conseil de sécurité voterait des sanctions, l’envoi de forces internationales de maintien de la paix serait envisagé.

Mais puisque toutes ces atrocités sont le fait des «rebelles», les médias les ignorent ou les noient en présentant les victimes, de manière insidieuse, comme des conséquences directes ou indirectes de combats survenus dans le «berceau du clan Assad», comme si des actions armées contre les miliciens du nouveau régime pouvaient justifier ou même expliquer des exactions de masse contre des villes et villages civils. Ceux-ci ne sont pas ciblés car soupçonnés de proximité avec l’ancien régime ou ses «vestiges», mais uniquement en raison de leur identité religieuse. Les vidéos abondent, les terroristes se filmant eux-mêmes fièrement durant les tueries gratuites au fusil d’assaut ou à l’arme blanche, village après village, maison par maison, contre des civils sans défense, revendiquant ouvertement un projet d’extermination de toutes les minorités confessionnelles, et allant jusqu’à larguer des bombes sur leurs quartiers résidentiels (des frappes contre des civils, donc, et non des «miliciens»), loin de tout contexte d’affrontements. Les groupes takfiris assument on ne peut plus explicitement leur projet d’élimination de masse de ceux qu’ils considèrent comme des mécréants dont le sang doit être versé, sans aucune perspective de vengeance ou autre, ce discours étant ancré dans leur rhétorique depuis des années, des décennies et même des siècles dans les ouvrages d’Ibn Taymiyya, père spirituel du wahhabisme qui règne en Arabie Saoudite (un autre allié de l’Occident) et qui constitue l’idéologie commune aux mouvements takfiris.

Avec Al-Qaïda, l’Occident avait créé un monstre (des «combattants de la liberté» armés et entraînés pour lutter contre la présence soviétique en Afghanistan) qui s’est retourné contre lui, notamment le 11 septembre 2001. Mais aujourd’hui, c’est le chemin inverse : les hordes terroristes internationales de Daech et Al-Nosra, armées et entrainées par l’Occident et ses alliés (Arabie Saoudite, Turquie, Qatar), ont été adoubées en toute connaissance de cause, le grand public étant bien informé de leur nature sanguinaire (les donneurs d’ordre l’étaient dès le début : voir Daech, un «Frankenstein» créé pour «combattre le Hezbollah). Cela n’a pas empêché le système politico-médiatique de les présenter comme de nobles révolutionnaires, de dignes interlocuteurs, des artisans de la liberté et de l’égalité, un nouvel espoir pour la Syrie. L’épanchement de sang ne leur serait pas consubstantiel mais un simple «accident», un «dommage collatéral», un débordement qui aurait «échappé au contrôle» bienveillant d’Ahmed al-Charaa, terroriste revendiqué devenu Président respectable. Sans cela, les mots «terrorisme», «djihadisme», «fanatisme», «épuration», etc., ne seraient pas bannis, et l’UE n’aurait pas réagi aux massacres en invitant al-Charaa à la 9e conférence de Bruxelles sur la Syrie qui se tiendra le 17 mars, un signal on ne peut plus explicite qu’il a toujours carte blanche et qu’il n’aura pas de comptes à rendre. Pour beaucoup, il serait par trop gênant d’admettre que les «égorgeurs modérés» n’étaient pas si modérés que ça, et que les civils ne trouvent refuge qu’auprès des Russes —la base de Hmeimim accueille des milliers de déplacés— ainsi que dans les pays voisins (Irak et Liban, ainsi que la Turquie, qui est le principal sponsor des groupes terroristes en Syrie).

https://twitter.com/AlainMarshal2/status/1898861819600507035

Si on peut comprendre que le patriarche d’Antioche, dont nous traduisons l’appel ci-dessous, prenne des précautions oratoires en s’adressant au Président syrien, la sécurité des minorités menacées d’extermination étant sa responsabilité, c’est absolument impardonnable de la part de la prétendue «communauté internationale» et des médias occidentaux, qui ont fait montre de leur abjecte partialité durant le génocide à Gaza, et poursuivent sur la même lancée en Syrie. Soit dit en passant, ces mêmes médias ne sont guère diserts sur l’expansion israélienne en Syrie, qui a pris des proportions considérables après la chute du régime Assad, alors même que le prétexte de la présence de l’Iran et du Hezbollah —qui était présenté comme la seule cause des frappes israéliennes depuis des années— a complètement disparu. Rappelons que Wikileaks avait publié des emails d’Hillary Clinton datant de 2012, où la Secrétaire d’État à la défense d’Obama prédisait que «La chute d’Assad pourrait bien provoquer une guerre sectaire entre les chiites et la majorité sunnite de la région qui entrainerait l’Iran, ce qui, selon les commandants israéliens, ne serait pas une mauvaise chose pour Israël et ses alliés occidentaux.» Tout se déroule donc comme prévu, pour paraphraser une réponse que lui avait adressée son conseiller Jake Sullivan. Nul doute que lorsque Israël entreprendra d’annexer de nouvelles zones de la Syrie au prétexte de protéger la minorité druze, les massacres trouveront plus d’écho dans nos médias.

https://twitter.com/AlainMarshal2/status/1846280482692218988

Le peuple syrien est aujourd’hui en première ligne face à l’horreur, mais comme l’expérience du World Trade Center et du Bataclan le révèle, nul n’est à l’abri face au danger takfiri (et non pas «islamiste», les principales forces qui ont tenu Daech en échec se définissant comme telles). Il serait temps que nos élites politiques, opportunistes et enfermées dans des visions à court terme, ainsi que leurs chambres d’écho médiatiques, tirent des leçons de l’histoire.

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L’appel du Patriarche Jean X

Homélie du Patriarche d’Antioche et de tout l’Orient

Dimanche de l’Orthodoxie, Cathédrale Mariamite

9 mars 2025

Jean X d’Antioche est le chef de l’Église orthodoxe d’Antioche, l’une des plus anciennes Églises chrétiennes du monde, fondée selon la tradition par les apôtres Pierre et Paul à Antioche (aujourd’hui en Turquie). Né en 1955, il est devenu patriarche grec-orthodoxe d’Antioche et de tout l’Orient en 2012. Il est responsable de la direction spirituelle et administrative de son Église, qui regroupe des millions de fidèles, principalement en Syrie, au Liban et dans d’autres pays du Moyen-Orient. Son siège est à Damas, en Syrie, depuis plusieurs siècles, à cause des bouleversements politiques et historiques. Jean X joue un rôle clé dans la protection des chrétiens du Moyen-Orient, qui sont souvent confrontés à des guerres, des persécutions et des tensions interreligieuses. Il défend la coexistence entre chrétiens et musulmans et s’exprime régulièrement sur la situation en Syrie et au Liban, appelant à la paix et à la réconciliation. Cet appel, en filigrane, est lancé à l’ensemble de la communauté internationale.

Traduction Alain Marshal depuis Youtube

Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, un seul Dieu, Amen !

Ce dimanche, premier dimanche du Grand Carême, est le Dimanche de l’Orthodoxie — le dimanche de la juste croyance, de la foi véritable. Il met en lumière l’importance de cette foi droite, que notre Seigneur accorde à travers la clarté d’esprit et la pureté du cœur. La juste croyance est une mission qui engage celui qui la porte à l’exprimer et à la proclamer ouvertement. Ne demandez-vous pas, à chaque Divine Liturgie, en priant le Seigneur tout-puissant d’accorder à l’évêque cette foi véritable et de la proclamer, en disant :

«Parmi les premiers, souviens-toi, Seigneur, de notre Père et Métropolite Untel en divisant droitement la parole de ta vérité !»

C’est avec cette responsabilité envers vous, mes bien-aimés, et envers notre cher pays — sa sécurité, sa stabilité et son unité territoriale — que je m’adresse au Président :

Monsieur Ahmad Al-Shara, Honorable Président de la République arabe syrienne,

Nous vous avons béni et félicité pour la victoire de la révolution ainsi que pour votre accession à la présidence. Vous êtes désormais le premier dirigeant et chef de la nation, et nous souhaitons que vous soyez le président d’une Syrie unie — une seule Syrie, embrassant toutes ses régions, toutes ses communautés, toutes ses sensibilités, ses tribus et ses confessions.

Monsieur le Président, il y a deux jours, j’ai entendu un cheikh, un ami personnel, déclarer publiquement que le Noble Prophète avait donné à ses disciples ces instructions :

«S’ils partent en guerre contre un peuple, ils ne doivent pas faire de mal aux innocents, ne doivent pas trahir, ne doivent pas mutiler, ne doivent pas tuer une femme ou un enfant, et s’ils trouvent un moine dans son ermitage, ils ne doivent pas le tuer. Telle est la tradition du Prophète, et quiconque la viole n’appartient ni à notre religion ni à nos valeurs. Notre religion interdit de tuer des innocents. Tuer des personnes âgées n’est pas conforme à notre foi. Brûler des maisons n’est ni un rite ni une pratique de notre religion. Notre révolution repose sur des principes nobles, et nous ne permettrons à personne de la corrompre, de la salir ou de ternir son honneur.»

Tel fut la déclaration de notre vénérable cheikh.

Chers amis, nous invoquons avec ferveur la miséricorde divine sur tous les civils et membres des forces de sécurité publique tués, et nous prions pour le prompt rétablissement des blessés. Nous affirmons également l’impérieuse nécessité de constituer une commission d’enquête afin que les responsables de l’effusion de sang innocent, qu’il s’agisse de civils ou de forces de sécurité, répondent de leurs actes.

Monsieur le Président,

Les événements tragiques qui secouent actuellement la région côtière syrienne ont coûté la vie à de nombreux civils et membres des forces de sécurité, et blessé tant d’autres. Or, la majorité des victimes n’étaient aucunement des «vestiges du régime [Assad]» ; c’étaient des civils innocents et non armés, parmi eux des femmes et des enfants.

L’honneur et la dignité des populations ont été violés, et les cris et slogans scandés attisent la division, alimentent le sectarisme et minent la paix civile. De nombreuses villes et villages ont vu leurs maisons incendiées, leurs biens pillés. Les zones visées étaient, pour l’essentiel, habitées par des Alaouites et des chrétiens, et de nombreux civils chrétiens innocents ont également été massacrés.

Dans certaines régions, des habitants ont été arrachés de force à leurs foyers avant d’être exécutés. Leurs maisons, leurs biens et leurs véhicules ont été pillés — comme ce fut le cas à Baniyas, dans le quartier d’Al-Qusour.

Monsieur le Président,

L’icône de la Vierge Marie a été brisée, piétinée, profanée. Il s’agit de la Vierge Marie, que tous les musulmans honorent à nos côtés et à laquelle le Saint Coran consacre un chapitre entier — la Sourate Maryam, affirmant que Dieu l’a élue et élevée au-dessus de toutes les femmes du monde.

Monsieur le Président, ce n’est pas là votre discours. Ces actes sont en totale contradiction avec votre vision d’une nouvelle Syrie après la victoire de la révolution.

C’est pourquoi nous vous lançons cet appel :

Avec votre sagesse et vos efforts, mettez immédiatement un terme à ces massacres. Arrêtez-les sans délai et rétablissez la sécurité et la stabilité pour tous les Syriens, indépendamment de leurs appartenances.

Monsieur le Président,

Nous vous exhortons à promouvoir la réconciliation nationale, la paix civile et la coexistence pacifique, et à défendre les libertés comme valeur suprême dans une société fondée sur le principe de la citoyenneté — un principe que vous avez toujours proclamé et défendu.

Monsieur le Président,

Nous prions pour votre bien-être et pour que votre leadership guide la Syrie vers les sources du salut et le port de la sécurité et de la stabilité.

Que le sectarisme s’efface, et que la nation vive. [Applaudissements]

Longue vie à une Syrie libre et digne.

Longue vie aux Syriens, musulmans et chrétiens.

Restons unis, main dans la main, pour témoigner que nous sommes les enfants du Très-Haut, Seigneur du ciel et de la terre.

Réjouissons-nous avec les anges du ciel, proclamant :

«Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et sur la terre paix et bienveillance envers les hommes !»

Que la paix soit avec vous tous.





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