Zéro artificialisation nette : à peine votée, la loi climat est déjà lézardée


L’euphorie de l’urbanisation a désormais une date de péremption. En France, ce sera 2050. Dans vingt-six ans, on ne consommera plus de terres naturelles ou agricoles pour y construire des bâtiments, des routes ou des parkings. À moins de rendre à la nature des terres déjà bétonnées. C’est en tout cas la promesse du ZAN, ou « zéro artificialisation nette », un principe introduit par la loi climat et résilience.

Sur les côtes bretonnes, la loi littoral limitait déjà le « mitage » de l’espace rural, tant bien que mal. Avec le ZAN, les collectivités seront mieux armées pour résister aux assauts immobiliers. Depuis le début de l’année, une commune peut d’ailleurs refuser un permis sur un terrain constructible s’il compromet son objectif de réduction de l’artificialisation.

Mais depuis l’adoption de la loi en 2021, parlementaires et ministres ont largement assoupli son application. Le 1er octobre 2024, Michel Barnier, tout juste devenu premier ministre, annonçait sa volonté de « faire évoluer de manière pragmatique et différenciée la réglementation du zéro artificialisation nette pour répondre aux besoins essentiels de l’industrie et du logement ».

Un signal rassurant envoyé aux élus les plus allergiques à la « sobriété foncière ». Ce qui pourrait aussi menacer le fragile consensus breton sur ce dossier. Son successeur, François Bayrou, ne s’est pas encore positionné sur la question.

Sur le papier, toutes les collectivités bretonnes se sont engagées à soigner leur dépendance au foncier d’ici à 2050 et s’entendent même sur la répartition des efforts. Cet accord a été obtenu par la région Bretagne, qui a révisé son schéma régional d’aménagement du territoire (le Sraddet) le 16 février 2024 pour y inscrire les principes du ZAN.

Vue de la baie de Douarnenez à la pointe de Tréfeuntec, le 11 juillet 2022. © Photo Vassili Feodoroff pour Splann !

La Bretagne débute la première étape de son régime, jusqu’en 2031 : réduire de moitié la consommation des terres agricoles et naturelles par rapport à la période 2011-2021. Sur l’ensemble de la région Bretagne, 14 310 hectares auraient été consommés durant ces dix années, selon le bilan établi par les agences d’urbanisme de Bretagne dans le Mode d’occupation des sols (MOS). Après quelques ajustements, l’étendue des terres déjà promises à l’urbanisation se chiffre donc à 6 665 hectares.

Les critères de répartition des droits à artificialiser sont particulièrement élaborés, afin de prévenir toute injustice. Ce souci d’équité rend encore plus surprenant une omission de taille, dans tous ces calculs : les bâtiments agricoles, qui ne sont pas pris en compte par le ZAN jusqu’en 2031, selon un décret ministériel.

Principale cause d’artificialisation dans certaines communes

Puisque le ZAN vise à protéger les terres agricoles aussi bien que les espaces naturels, l’agriculture ne représenterait donc pas de menace pour les sols, au contraire de l’industrie, des services publics ou de l’habitat. Les serres comme les étables participent pourtant bien à l’artificialisation des sols. C’est même leur principale cause dans certaines communes.

Dans les seules communes du littoral de la Bretagne administrative, l’agriculture a artificialisé 266 hectares de terres entre 2011 et 2021 d’après le MOS. Un bilan significatif si on le compare à celui de l’industrie et du tertiaire réunis : 372 hectares. La loi littoral avait déjà été assouplie en 1999, puis en 2018, pour permettre de construire en dehors des zones déjà urbanisées des bâtiments nécessaires à la production agricole (sauf dans les zones les plus proches du rivage).

Dans certaines communes, ces constructions représentaient le tiers, voire la moitié, de l’artificialisation entre 2011 et 2021, selon le MOS (Minihy-Tréguier, Plouguin, Pleudihen-sur-Rance, Le Vivier-sur-Mer, Pleurtuit, Plougoumelen, Saint-Martin-des-Champs, Pleudaniel, Landaul, Le Hézo, Ploumilliau, Plonévez-Porzay).

Le record est détenu par Saint-Pol-de-Léon, avec 20 hectares de bâtiments agricoles construits en dix ans, soit la moitié de l’ensemble des constructions de la commune sur cette période.

Pour l’essentiel, ces bâtiments ont été construits sur des terres agricoles. Mais une partie d’entre eux (18 %) empiète aussi sur des zones naturelles et des espaces boisés. Ainsi, pas moins de 47 hectares d’espaces naturels ont été recouverts par des bâtiments agricoles dans les communes littorales au cours de cette décennie 2011-2021.

Évidemment, ce bilan est déjà obsolète. L’artificialisation des sols par l’immobilier agricole s’est poursuivie depuis 2021, elle se poursuivra dans les prochaines années. Splann a même pu identifier où précisément, et qui en profitera, en analysant l’ensemble des permis de construire accordés récemment par les mairies sur le littoral (à moins de 5 kilomètres du rivage).

Nous avons pu isoler les permis délivrés depuis janvier 2020 (encore valides) sur des parcelles qui n’ont pas encore été construites fin 2023. Cela représente près de 7 000 permis, dont les constructions pourront recouvrir jusqu’à 197 hectares sur l’ensemble du littoral de la Bretagne à cinq départements. L’agriculture en prend une part non négligeable : pas moins de 43 hectares de nouveaux locaux, soit un cinquième de la surface totale des bâtiments à construire. L’essentiel des projets (90 % en surface) reste toutefois situé à plus de 1 kilomètre du rivage.

Le Finistère, épicentre des constructions agricoles

L’épicentre est situé sur le littoral du nord du Finistère, où les bâtiments agricoles représentent plus de la moitié (60,5 %) de la surface de locaux professionnels autorisés à la construction ces quatre dernières années.

On trouve les projets les plus étendus à Tréflaouénan, Plouénan, Plougoulm, Cléder, Saint-Pol-de-Léon, Mespaul et Plouescat. Dans ces sept communes du Haut-Léon, tous les nouveaux bâtiments agricoles autorisés depuis 2020 couvrent plus de 185 000 mètres carrés. L’équivalent d’une vingtaine de terrains de football. Il s’agit principalement de serres maraîchères.

À l’origine de ce régime d’exception : le lobbying conjugué des élus locaux et des organisations agricoles. Le sujet avait été effleuré à l’Assemblée nationale en avril 2023 par l’ancien député (Renaissance) du pays de Retz, Yannick Haury, qui s’inquiétait de voir les surfaces de serres entrer dans les calculs du Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema), l’organisme chargé de faire le bilan des surfaces artificialisées de chaque commune : « Avec cette comptabilité, ces espaces se trouveraient déduits du crédit d’espace communal consommable. »

Peu de temps avant l’examen de la loi sur l’application du ZAN, les chambres d’agriculture enfonçaient le clou. « Concernant les bâtiments agricoles, Chambres d’agriculture France propose qu’ils ne soient pas comptabilisés dans le compteur d’artificialisation au niveau communal, mais au niveau national, pouvait-on lire dans un communiqué daté du 9 juin 2023. Ils sont d’intérêt général, en particulier pour l’installation de jeunes agriculteurs ou pour le bien-être animal. »

Dans la région de Paimpol, de nombreuses serres chauffées ont vu le jour ces dernières années. © Photo Splann !

Une campagne suivie d’effets puisque pas moins de huit amendements ont été déposés à l’Assemblée dans des termes similaires. Et si son inscription dans la loi n’a pas été obtenue, l’exception du bâti agricole a été formalisée par un décret du 27 novembre 2023 : « Pour la première tranche de dix ans (2021-2031), les constructions ou installations à destination d’exploitation agricole qui sont réalisées dans les espaces agricoles ou naturels n’emportent généralement pas de création ou d’extension d’espaces urbanisés et donc de consommation de ces espaces. »

Cette exception ne choque pas Laurence Fortin, vice-présidente territoires, économie et habitat à la région Bretagne, qui invoque des enjeux de « souveraineté alimentaire » dépassant largement les frontières de la commune. L’élue plaide pour une application différenciée du ZAN, ciblant d’abord « l’habitat, responsable de 70 % de l’artificialisation, afin de garder des marges de manœuvre pour l’économie. Parce que si on divise par deux le foncier aussi pour les activités économiques, vous pouvez être sûrs qu’on transformera la Bretagne en Ehpad ».

Si le ZAN survit au gouvernement actuel, il restera à aligner l’ensemble des documents d’urbanisme (Scots, puis PLUi) sur les objectifs chiffrés par la région. L’opération pourrait s’étaler jusqu’en 2028… En attendant, sur le terrain, chaque collectivité peut continuer d’appliquer les règles du monde d’avant.



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