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À Dunkerque, un projet éolien offshore menace la biodiversité


Lille (Nord), correspondance

Célèbre pour ses blockhaus et son charme — vanté dans la chanson « Le Baiser » d’Alain Souchon —, la plage de Malo Bray-Dunes l’est également pour sa biodiversité. À quelques kilomètres de Dunkerque, les dunes Marchand et Dewulf, situées à Zuydcoote, sont des refuges pour de nombreuses espèces d’oiseaux. Un cadre préservé et idyllique qui pourrait bientôt être troublé : en 2028, quarante-six éoliennes devraient s’élever en mer du Nord, à 300 mètres de hauteur, face à la plage.

Ce projet, en pleine zone Natura 2000 et à 11 kilomètres au large de Dunkerque, est supposé couvrir les besoins de 1 million d’habitants par an en électricité. Il serait toutefois destiné, selon les associations écologistes, à alimenter le lourd appareil industriel du Dunkerquois et les nouvelles gigafactories. Et ce, sans compter les dommages sur la biodiversité.

Des répercussions sous-estimées sur la faune

Les opposants au projet éolien offshore accusent les promoteurs de largement sous-estimer les conséquences sur les animaux, et de privilégier l’argument économique à la biodiversité : la construction des éoliennes mettrait en effet en danger de nombreuses espèces dans ce corridor de la mer du Nord, très fréquenté par les oiseaux migrateurs.

L’étude d’impact du bureau d’études Biotope, commandée par les promoteurs du projet, est « pointée du doigt » pour diverses erreurs, explique Jérémy Castellani, coordinateur pour l’ONG Sea Shepherd France à Lille. L’avis du Conseil national de la protection de la nature (CNPN), une institution rattachée au ministère de la Transition écologique, a ainsi listé « tous les biais et les erreurs méthodologiques, et conclut à une minimisation des impacts », précise Jérémy Castellani.

« 1,3 million d’oiseaux migrateurs passent dans cette zone tous les ans »

Et d’ajouter : « Ce projet est dans un couloir migratoire d’une importance internationale. Une centaine d’espèces sont concernées, et 1,3 million d’oiseaux migrateurs passent dans cette zone tous les ans. [Les promoteurs du projet] parlent de dizaines de milliers d’oiseaux, alors qu’en réalité il y en a des millions voire des centaines de millions ». Comme erreurs méthodologiques, le CNPN relève notamment un manque d’études réalisées en amont du projet. Les migrations d’oiseaux terrestres la nuit sont par exemple « complètement occultées par le dossier », alors que des « millions de passereaux protégés survolent la mer du Nord en migration ».

Le projet éolien offshore à Dunkerque.
© EMD

Outre les oiseaux, d’autres espèces pourraient être victimes des éoliennes. Le promoteur EMD (société composée d’EDF Renouvelables, d’Enbridge et Innogy SE, acteurs de l’énergie éolienne) a demandé des autorisations de destructions sur 31 espèces : 23 d’oiseaux, 3 espèces de mammifères marins et 5 espèces de chiroptères, liste Jérémy Castellani.

Lire aussi : Éoliennes : comment éviter la mort des oiseaux ?

« Comme l’étude est biaisée en termes de méthodologie, la réalité aurait voulu qu’il y ait beaucoup plus d’espèces concernées par la demande d’autorisation, explique le coordinateur de l’ONG de protection des mers et océans. Aucune espèce de poisson n’est concernée par les demandes de dérogation. En termes de mesures compensatoires, deux espèces seulement sont concernées. » Il s’agit du plongeon catmarin, un volatile, et de la pipistrelle de Nathusius, un chiroptère. « La proposition minimaliste de compensation pour deux espèces demeure inexplicable », juge le CNPN.

L’ONG de défense des océans pointe d’ailleurs le non-respect du principe dit « ERC » (Éviter, réduire, compenser). « Quand on a détruit une zone d’habitat d’oiseaux marins, la compensation est impossible », rappelle Jérémy Castellani.

« Un manque de démocratie notoire »

Lancé en 2019, le projet est arrivé au stade de l’enquête publique, prévue pour s’achever le 1er juin 2024. Sur le site internet où se déroule la concertation, plus de 2 000 avis ont été rendus, et les avis sont négatifs à plus de 90 %. Un chiffre sans doute sous-estimé ; de nombreuses personnes, souvent âgées, n’ayant pu participer. Tout le monde ne maîtrise pas l’outil informatique, et les panneaux réglementaires placardés à Dunkerque et alentours le sont dans des endroits très discrets, avec une police illisible.

Opposée depuis le début aux éoliennes, l’association Vent Debout 59, composée d’habitantes et habitants de la côte, pointe cette asymétrie d’information de la part des promoteurs et des pouvoirs publics, et fustige la méthode expéditive des décideurs politiques — la décision finale étant prise par le préfet. « Il y a un manque de démocratie notoire », regrette Annie Jourdan, membre du collectif.

Manifestation contre le projet éolien à Bray-Dunes, le 11 mai 2024.
© Vent Debout 59

L’enseignante à la retraite évoque notamment un courrier du préfet demandant aux onze communes de la communauté urbaine de Dunkerque concernées par le projet de porter au conseil municipal un vote sur la question des éoliennes. « Quatre ont voté : trois contre le projet à bulletin secret [les communes de Ghyvelde, Bray-Dunes et Zuydcoote]. La commune de Leffrinckoucke a voté pour, à main levée. Comment ça se fait qu’au conseil municipal de Dunkerque, ils n’ont pas voté ? »

Ladite lettre, envoyée en juillet 2023, soit durant les vacances, précise en outre : « Votre avis doit être rendu dans un délai de deux mois à compter de votre saisine ; il sera réputé favorable au-delà. »

Le projet éolien est soutenu par des poids lourds politiques au niveau national (le président de la République) et local (le maire de Dunkerque et ministre chargé des Transports, Patrice Vergriete). Devant cette « machine de guerre » ayant atteint un rythme de croisière, les oppositions s’essoufflent : le nombre de manifestants a bien baissé au cours des derniers mois. « Tout le monde pense que c’est déjà plié », soupire Annie Jourdan. Si bien qu’aujourd’hui, le seul grain de sable dans cette machine pourrait être amené par un vent de Belgique : le pays a porté plainte contre la France, en raison de la trop grande proximité du projet avec la côte, impactant les communes belges frontalières.



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