Au-delà de son indigence sur les thématiques écologiques, le discours de politique générale prononcé par le Premier ministre le 14 janvier a confirmé une inquiétante tendance qui monte depuis des mois à la tête de l’État : les agences environnementales sont dans le viseur.
« Est-il nécessaire que plus de 1 000 agences, organes ou opérateurs exercent l’action publique ? » s’est interrogé François Bayrou. Question purement rhétorique, puisqu’il a enchaîné en fustigeant des agences dénuées de « contrôle démocratique réel » et constituant « un labyrinthe dont un pays rigoureux et sérieux peut difficilement se satisfaire ».
Sans la nommer, il a ensuite ciblé plus spécifiquement l’Office français de la biodiversité (OFB) : « Quand les inspecteurs de la biodiversité viennent inspecter les fossés ou les points d’eau avec une arme à la ceinture dans une ferme déjà mise à cran par la crise, c’est une humiliation. Donc une faute. » Un soutien appuyé à la FNSEA, le syndicat agricole productiviste qui s’en prend régulièrement à l’OFB et à ses missions de contrôle sur les fermes, et qui avait déjà obtenu du précédent gouvernement que le port d’armes de ses agents se fasse plus discret.
L’action publique délégitimée
Pas un mot, en revanche, de soutien pour les fonctionnaires, alors que ceux-ci sont victimes d’une montée spectaculaire des violences à leur encontre depuis des mois : sabotages de voiture, incendie de bureaux, dizaines de menaces, blocages et actions en tout genre.
Les attaques sont aussi institutionnelles : au Sénat, le parti de droite Les Républicains (LR), membre de l’actuelle coalition gouvernementale, travaille à une proposition de loi visant à réduire les pouvoirs de l’OFB. Un rapport d’information sénatorial consacré à l’OFB, publié en septembre dernier, dénonce les « comportements et postures » de ses agents qui alimenteraient les « critiques de partialité, de militantisme, voire de dogmatisme » de l’office public.
Difficile, pour le Premier ministre, de feindre d’ignorer un tel contexte brûlant au moment d’enfoncer l’agence, sous tutelle du ministère de la Transition écologique. « Je n’ai pas souvenir d’avoir entendu un tel niveau de désolidarisation dans un discours de politique générale, même si on notait une même tendance chez Gabriel Attal, déplore Florence Guéry, membre du comité d’animation du Lierre, un réseau écologiste des professionnels de l’action publique. Des gens sont censés être les chefs et les garants des administrations mais, non seulement, ils ne les protègent pas face aux attaques physiques, en plus ils délégitiment l’action publique. »
« On rend les agents de l’OFB responsables de tous les maux des agriculteurs alors qu’ils font juste respecter le droit. Le Premier ministre s’inscrit dans la lignée de la logique de déréglementation libérale et productiviste de ses prédécesseurs, qui s’en prend en priorité aux agences environnementales. Est-ce qu’on va fusionner des agences ? Ou tout simplement les supprimer ? On n’en sait rien », s’inquiète Véronique Caraco-Giordano, secrétaire générale du Syndicat national de l’environnement (SNE–FSU), qui syndique les personnels du ministère de la Transition écologique.
Attaques mondiales contre l’écologie
L’offensive en cours contre les agences environnementales de l’État touche également l’Ademe : l’Agence de la transition écologique est l’ennemie à abattre pour Les Républicains qui réclament rien de moins que sa suppression.
Au point de susciter, cette fois-ci, une réaction d’Agnès Pannier-Runacher, la ministre de la Transition écologique défendant les indispensables financements de la transition énergétique et écologique qui passent par l’Ademe.
La montée au créneau de la ministre cache mal, toutefois, le silence du chef du gouvernement. Sans compter ses critiques — voire son mépris — implicites. « Dans son discours, François Bayrou dit refuser que l’on assimile l’eau de surface et l’eau souterraine dans la gestion de la ressource. Comme si les agents ne savaient pas ça depuis des décennies ! » souligne Antoine Gatet, président de France Nature Environnement (FNE) et représentant de FNE au Conseil économique, social et environnemental (Cese).
Et d’ajouter : « Il est choquant que le Premier ministre dénonce l’absence de contrôle démocratique des agences, alors qu’il s’agit d’agences publiques, qui mettent en place les politiques décidées démocratiquement et qui sont, en outre, des lieux de démocratie participative forte, à l’instar des parlements des agences de l’eau. »
« J’en ai rêvé, Elon Musk va le faire »
Ces attaques contre l’OFB et l’Ademe, mais aussi contre les agences de l’eau quelques mois auparavant, de même que les violences contre une Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) ou contre les bureaux de l’Inrae, inquiètent d’autant plus qu’elles s’inscrivent dans une puissante dynamique mondiale de rejet de l’écologie par les pouvoirs réactionnaires néolibéraux.
L’ombre de Donald Trump plane notamment dans les esprits. Les agences environnementales étasuniennes avaient fortement pâti du premier mandat du président élu. Elon Musk, nouvellement chargé de « démanteler la bureaucratie gouvernementale » par Donald Trump, est une source d’inspiration revendiquée par la droite française. « J’en ai rêvé, Elon Musk va le faire », s’était ainsi réjouie Valérie Pécresse, présidente (LR) de la région Île-de-France, elle-même connue pour ses désirs de couper « à la hache » dans l’administration publique.
Du pain béni pour l’extrême droite
Le milliardaire libertarien inspire également le député centriste Guillaume Kasbarian, éphémère ministre de la Fonction publique de Michel Barnier fin 2024, qui disait alors avoir « hâte » d’échanger de bonnes idées avec son « homologue ».
Derrière la crainte d’une trumpisation des discours de la droite française, Antoine Gatet dit surtout redouter les effets à moyen terme d’une normalisation de ces critiques outrancières des agences publiques : « Les discours actuels font sauter toutes les barrières symboliques. Il devient légitime de contester l’existence même d’agences absolument indispensables pour la transition écologique des territoires. Il n’y a plus aucun garde-fou. »
Du pain béni pour l’extrême droite, qui aura de moins en moins de taboux à briser si elle arrive au pouvoir. « Que l’on attaque, au plus haut sommet de l’État, des agents qui ne font qu’appliquer la loi, ça ouvre une brèche inquiétante dans l’état de droit et nous oriente vers quelque chose d’illibéral », alerte Florence Guéry.
Lors des élections législatives anticipées de juin dernier, le SNE–FSU avait pris parti contre l’extrême droite, dénonçant les « dangers » de son programme, notamment pour les services publics et l’écologie, et son accointance avec le néolibéralisme. « François Bayrou participe aujourd’hui à normaliser ce discours, soupire Véronique Caraco-Giordano. On espère que ce gouvernement va tomber ; si ce n’est pas le cas, nous serons extrêmement inquiets pour notre avenir. Les agences de l’eau, les parcs nationaux, l’OFB, l’Ademe… Au sein du ministère, tout le monde est déjà en train d’essayer de sauver les meubles. »
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