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Rwanda, les témoins du génocide, par Christine Holzbauer (Le Monde diplomatique, juin 2024)

ByVeritatis

Mai 31, 2024


Avec la commémoration des trente ans du génocide des Tutsis au Rwanda, les témoignages se multiplient, comme une confirmation que tout, décidément, n’a pas encore été dit. Après La Battante. Renaître après le génocide des Tutsis (Fauves, 2018), François-Xavier Nsanzuwera, ancien procureur à Kigali puis avocat général au Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) pendant douze ans, poursuit son récit des événements, cette fois à partir de sa propre expérience (1). Dans un style dépouillé, il décrit la violence humaine en ce jour du 7 avril 1994. Seul survivant de sa famille — il avait 17 ans —, il raconte sa fuite dans un pays dévasté, du moment où il se cache dans une bananeraie jusqu’à son évacuation par la Mission des Nations unies pour l’assistance au Rwanda (Minuar). Arrivé en Belgique en 1995, un temps d’adaptation et de reconstruction intérieure lui est nécessaire avant de partir siéger au TPIR. Aujourd’hui, il est chercheur associé pour le Groupe de recherche en matière pénale et criminelle (GRPEC) et membre de l’association belge RCN Justice & Démocratie. Lorsqu’un bourgmestre lui demande de l’aider à accueillir des réfugiés syriens, ses souvenirs le rattrapent avec les épreuves de l’exil et du racisme.

L’enquête de l’anthropologue Violaine Baraduc met en scène deux mères de famille hutues. Après plusieurs semaines de massacres, Béata Nyirankoko et Patricie Mukamana, deux paysannes issues de familles « mixtes » comme il y en avait beaucoup au Rwanda, assassinent les enfants qu’elles ont eus avec leurs maris tutsis. À partir d’entretiens, d’archives judiciaires et d’observations, Baraduc donne à entendre la voix de ces deux infanticides. D’autres membres de leur famille, accusés ou rescapés, témoignent de ce chemin vers le crime qui fut celui de tant de Rwandais. Interrogeant le rôle des femmes et des rapports de genre dans les tueries, l’anthropologue dévoile avec minutie les rouages psychologiques et les pressions sociales à l’œuvre dans le retournement des liens affectifs et sociaux durant un génocide certes commandité par le pouvoir, mais massivement exécuté par les populations (2).

Enfin, l’ouvrage collectif Rwanda 1994. Quand l’histoire s’écrit à la machette se présente comme un manuel scolaire, riche d’informations inédites sur le génocide, notamment à travers des témoignages d’enfants, cibles privilégiées jetées en masse dans les fosses communes, comme le rappelle l’historienne Hélène Dumas (3). Organisé en trois parties (Le Temps des massacres, Des images contre l’oubli — photographies et caricatures des « 100 jours » — et Des traces indélébiles), ce recueil regroupe des contributions de chercheurs, des témoignages de rescapés, d’orphelins, ou de « figurants » (casques bleus, acteur humanitaire, journaliste). Parmi eux, la journaliste Colette Braeckman, qui a « couvert » le génocide pour Le Soir de Bruxelles, ou le militant Aloys Kabanda, l’un des membres fondateurs de l’association Ibuka en Belgique. Comme le souligne l’auteur et éditeur Marc Schmitz, l’ombre du génocide plane toujours sur la région.

(1François-Xavier Nsanzuwera, La Rage de vivre, Michalon, Paris, 2024, 168 pages, 17 euros.

(2Violaine Baraduc, Tout les oblige à mourir, CNRS Éditions, Paris, 2024, 304 pages, 25 euros.

(3Colette Braeckman, Hélène Dumas, Aloys Kabanda, Marc Schmitz, Damien Vandermeersch et al., Rwanda 1994. Quand l’histoire s’écrit à la machette, Couleur livres, Mons, 2024, 176 pages, 16 euros.



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