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Tremblements du temps, par Hubert Prolongeau (Le Monde diplomatique, juin 2024)

ByVeritatis

Juin 3, 2024


On ne peut pas vraiment dire que l’Américain Jack Finney est un inconnu en France. Son roman, The Body Snatchers (1955), a un titre célèbre, mais cette célébrité est due principalement aux films qu’en ont tirés Don Siegel (L’Invasion des profanateurs de sépultures, 1956), Philip Kaufman (L’Invasion des profanateurs, 1978), Abel Ferrara (Body Snatchers, 1993)… Les amateurs de science-fiction ont salué l’étonnant Voyage de Simon Morley (traduit par Hélène Collon, Denoël, 2015) et un recueil de nouvelles, Contretemps (traduites par Jérôme Vérain, Clancier-Guénaud, 1988). Grâce au Bélial’, et sans équivalent en langue anglaise, un nouveau recueil, de vingt-deux nouvelles dont onze inédites, enrichi d’une bibliographie de l’œuvre de Finney, lui redonne une visibilité ô combien légitime.

Il était temps, dira-t-on… Oui. Et l’expression sera d’autant plus juste que le temps est le moteur de beaucoup des textes rassemblés ici — allers-retours entre les époques, jouant moins d’ailleurs sur le fameux paradoxe spatio-temporel que sur l’émerveillement du « voyage ». Rassurons tout de suite ceux que rebuteraient les explications scientifiques : Finney n’en fournit aucune, et ces mystères n’existent que par leurs vertus poétiques ou morales. On est davantage dans le conte voltairien que dans la hard science. Ainsi, dans La Lettre d’amour, une missive découverte dans un vieux meuble inaugure une correspondance amoureuse entre deux personnes d’époques différentes. Dans Des voisins originaux, des vacanciers venus du futur s’installent près du domicile du héros, qui les trouve très agréables à fréquenter. Dans Le Troisième Sous-Sol, la Grand Central Station de New York dissimule un passage menant en l’an 1894…

Ce rapport au passé est souvent nostalgique et la plupart des personnages sont des mélancoliques, déplacés dans leur époque, mal à l’aise dans leur vie et cherchant, sans toujours la trouver, une embellie dans ce qui n’est plus. L’écriture est délicate, sans grands effets, mettant en avant des gens simples confrontés à plus grand qu’eux. Quand il ne s’intéresse pas aux voyages dans le temps, Finney détourne certains classiques du fantastique pour les intégrer à son univers feutré. Ainsi des fantômes dans Il est une marée ou des maisons hantées dans Où sont les Cluett ? Il y a un charme désuet très prenant dans ce recueil, qui rappelle (même si Finney n’y a curieusement pas participé) la célèbre série télévisée de Rod Serling La Quatrième Dimension.

Cette obsession du temps est la principale thématique de cet ensemble, où l’on retrouve quelques nouvelles dénuées de fantastique comme l’angoissante Contenu des poches d’un mort, qui voit un homme risquer bêtement sa vie pour récupérer un vieux papier. Si l’on voulait opérer des rapprochements, c’est moins du côté de ses confrères américains de la même époque (Ray Bradbury, Richard Matheson ou Robert Sheckley) qu’il faudrait aller les chercher que de celui de l’Italien Dino Buzzati, qui confrontait lui aussi en toute innocence des héros de tous les temps à des aventures invraisemblables et révélatrices. On aimerait bien qu’un autre éditeur nous offre également les nouvelles de Finney ne relevant pas de l’imaginaire.



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