Beyrouth (Liban), correspondance
La sidération et l’horreur. Des corps d’enfants empilés dans des morgues, des familles en pleurs entre les décombres de leurs maisons oblitérées. Si ces scènes de destruction sont devenues quasi-quotidiennes à Gaza depuis le 7 octobre 2023, les bombardements israéliens massifs ayant fait plus de 400 victimes palestiniennes, sans compter les blessés, depuis mardi 18 mars choquent le monde entier. Le 20 mars, des troupes israéliennes ont même été déployées au sol : l’offensive terrestre s’ajoute à l’attaque aérienne.
En pleine trêve, en plein mois saint de Ramadan : les bombes ont surpris les Gazaouis qui venaient de rentrer par milliers chez eux, profitant d’un répit inédit.
« Nous avons été réveillés à 2 heures du matin [mardi] par des frappes aériennes très lourdes, comme au tout début de la guerre. L’endroit où je me trouvais à Rafah [dans le sud de la bande de Gaza] secouait, le sol tremblait », témoigne auprès de Reporterre le docteur Mohammed Abu Moughaisib, coordinateur médical adjoint de Médecins sans frontières (MSF) dans le sud de la bande de Gaza.
Son collègue, le docteur Mohamed Qishta, raconte des scènes apocalyptiques à l’hôpital el-Nasser. « C’était un désastre, nous avons reçu beaucoup de bouts de corps de femmes et d’enfants, les morts s’entassaient dans les urgences », dit-il dans des messages vocaux transmis à Reporterre. « Nous priions que nos proches ne soient pas parmi les morts, des médecins pleuraient et plusieurs se sont effondrés à cause de l’intensité de la situation », ajoute-t-il.
Leur peur est partagée par les Gazaouis. « Je suis terrifié à l’idée que la guerre et les déplacements reviennent », témoigne Majed Abu Safyia, une Gazaouie de 31 ans, par messages WhatsApp. « J’étais heureuse parce que ma fille Manal, 7 ans, avait repris sa vie et ses études, mais la situation s’est depuis aggravée. »
Un Ramadan sous le signe de la famine
Au terme de presque 500 jours d’une guerre souvent qualifiée de génocidaire, faisant au moins 48 500 victimes palestiniennes jusque-là, un accord de trêve avait été trouvé entre le Hamas et Israël le 19 février. Il a permis le retour de 38 Israéliens, morts ou vivants, capturés par le mouvement islamiste le 7 octobre 2023, ainsi que de 2 300 prisonniers palestiniens, arrêtés et enfermés souvent arbitrairement par les forces d’occupation israéliennes.
Des milliers de familles gazaouies, déplacées par les bombardements, ont pu rentrer chez elles et commencer à rebâtir leurs maisons détruites. « Après avoir été déplacé onze fois pendant la guerre, j’ai retrouvé ma maison détruite et j’ai emménagé dans celle de mon frère [tué dans une frappe aérienne]. Ma fille et moi étions heureux de revenir dans notre quartier, même si la douleur subsistait », écrit Majd Ahmed Abu Safiya.
Le Ramadan, mois saint de l’Islam, devait apporter joie et convivialité chez les Gazaouis. « La chose la plus agréable est d’aller avec ma famille le soir sur le bord de mer de Gaza, de boire du café, de manger du qatayef [pâtisseries à la crème] et des sucreries », décrit le père de famille. C’était sans compter sur les violations répétées de l’accord par Israël, avec des bombardements continus et le blocage de l’aide humanitaire le 2 mars dernier.
Pendant leur mois saint, les habitants de Gaza ont été privés d’électricité, de nourriture, et même d’eau potable — la majorité des infrastructures publiques étant détruites ou hors service faute de carburant. « Au début de la trêve, l’aide parvenait à tout le monde, la nourriture était suffisante et variée, et les prix convenaient à tout le monde, mais avec la fermeture des points de passage, la situation a changé et est devenue catastrophique », écrit le jeune homme, qui dit manger principalement des boîtes de conserves pour la rupture du jeûne.
La situation politique s’est, elle aussi, enfoncée dans la stagnation. Aucun échange d’otages n’a eu lieu depuis le 26 février, et les deux camps s’accusent mutuellement de vouloir torpiller l’accord de trêve. C’est maintenant chose faite : l’attaque surprise, nommée « opération enfer » par l’état-major israélien, réduit à néant l’espoir des Gazaouis et des familles des prisonniers.
« Les conséquences psychologiques sont énormes »
« Voir les bombes de nouveau pleuvoir sur leurs têtes et les corps s’empiler, après des semaines de trêve, est inimaginable [pour les Gazaouis]. Les conséquences psychologiques de ces bombardements sont énormes », tempête Omar Sharkir, directeur de Human Rights Watch pour la région Israël/Palestine, joint au téléphone par Reporterre.
Selon lui et d’autres experts, Israël vise à infliger la terreur afin de pousser le Hamas à libérer les 58 otages israéliens restants — voire à se rendre. Un objectif assumé par le premier ministre israélien Benjamin Netanyahou. « Ce qui s’est passé à Gaza n’est que le début », a-t-il déclaré lors d’une allocution télévisée mardi 18 mars au soir, assurant que « désormais les négociations ne se dérouleront que sous le feu ».
« Les vies humaines ne devraient jamais être une monnaie d’échange pour des négociations, c’est une violation flagrante du droit international », s’indigne Omar Sharkir. « Même s’il va falloir une investigation poussée, ces bombardements s’inscrivent d’ores et déjà dans la lignée des autres crimes de guerre israéliens à Gaza. »
Depuis mardi, les dénonciations de l’ONU, de l’Union européenne et des organisations de défense des droits humains pleuvent. Mais derrière les paroles, les actes manquent. Pour Sharkir, « ces atrocités résultent directement de l’incapacité de la communauté internationale à sanctionner le gouvernement israélien pour ses crimes de guerre et à mettre en œuvre le mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale [à l’encontre de Benyamin Netanyahu] ».
Pourquoi Reporterre couvre ce conflit :
Y a-t-il un angle écologique dans l’horreur ? Comment trouver le moyen de parler de l’abomination ? Comment raconter l’écocide quand le crime de guerre abat des bombes sur des femmes et des enfants ? Depuis octobre 2023, l’équipe de Reporterre s’astreint à montrer que derrière le génocide commis par l’État d’Israël, il y a l’eau, les terres, les plantes, montrer que comme pour tout événement humain, l’on peut porter un regard écologique. Ce crime commis par le gouvernement d’extrême droite de M. Netanyahou concerne l’humanité. Aujourd’hui, notre correspondant au Liban raconte le nouveau drame subi par une population innocente. Reporterre, solidaire de l’humanité, solidaire de la Palestine, participera aux Assises pour la Palestine, le 5 et 6 avril à Pantin et animera un débat sur les conséquences écologiques de la guerre. – Hervé Kempf.
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